Le chantre de la Chartreuse, l'Abbé Calès
- Ginette Flora Amouma
- 12 janv. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 avr.
On l’appelait l'abbé Calès.
Il était curé, il était peintre. C'était le peintre de l'Isère.
Jean-Pierre Calestroupat, plus connu sous le nom d'Abbé Calès, est un peintre français, né à Vienne le 31 août 1870 et mort à Tencin le 15 octobre 1961.
Il est très tôt attiré par la peinture. Ses premiers tableaux sont des portraits qu'il délaisse pour ne peindre que la nature qui le fascine. Il découvre l'exubérance de la nature, ses humeurs saisonnières, la diversité de ses couleurs, la lumière qu'elle dégage.
"Je vocalise la réalité en lui donnant tout ce que je ressens de charme, d'admiration, de reconnaissance pour le dieu Créateur."
Quand il s'installe au village de Tencin dans les montagnes de l’Isère où il reçoit sa nomination de curé de campagne, il a 32 ans et n'a de cesse de magnifier les paysages dauphinois, les contreforts de la Grande Chartreuse, les plaines de la vallée du Grésivaudan et les pics du Vercors. Son sujet de prédilection est la vallée du Grésivaudan, qu'il capture dans les diverses couleurs des saisons. Il ne quittera plus son village de Tencin, la place, la fontaine et le tilleul, tous points de repère vite devenus ses compères à tel point qu'il fulmine quand on arrache une branche de " son " arbre.
Le personnage est atypique et il promène sa très haute taille dans ce petit village de Tencin qu'il aime reproduire sur sa toile à grandes couches épaisses de peinture, en travaillant au couteau. Il aime les animaux. Est-ce lui qui a un faible pour eux ou sont-ce les animaux qui viennent à lui ? Il est dit qu'il a pour ami un crocodile nommé Alexandre.
Il est simple, direct dans ses propos et sans fioriture, il dit ce qu'il pense, frappant son entourage par sa verve spontanée et caustique. Seuls quelques amis savent quel être profond il demeure.
Sa foi est dans la nature, sa cure est l'hommage incessant qu'il adresse au créateur d'avoir prodigué d'immenses richesses dans la nature et couvert l'espace infini de vastes étendues de verdure, de prairies, de montagnes et d'étoiles.
Et ce n'est pas seulement dans la peinture qu'il loue le Seigneur.
Car l'abbé Calès est aussi un musicien, un organiste qui maîtrise les claviers de l'orgue et ne perd aucune occasion d'assister à des concerts quand il n'en donne pas lui-même.
Ses tableaux sont souvent panoramiques, travaillés au couteau par touches épaisses. Il peut être rapproché des impressionnistes ou des post-impressionnistes, mais aussi des fauves par les couleurs qu'il choisit, expansives ou fondues dans la brume.
Plusieurs de ses tableaux se trouvent exposés dans son église, dans les musées ( musée de Grenoble ) et dans les villages de sa vallée.
Quelques photographies des tableaux que voici m'ont été envoyées par un auteur passionné par les oeuvres de Calès.
Envoûtée par les couleurs qui se dégagent des tableaux, j'ai écrit un texte :
" Comme un tableau de feu et de glace "

La vallée du Grésivaudan
Comme un tableau de feu et de glace
Je déjeunais dans un restaurant du village de Tencin. En face de moi, la lumière brisée en guipure descendait des montagnes aux pics festonnés de rinceaux bleu pâle. Cela s’agitait comme des volants de dentelles. Les murs du restaurant étaient couverts de tableaux. L’un deux m’attira. Quelque chose dans ce tableau reflétait bien ce que je voyais bouger au dehors. Quelque chose de dépaysant. J’en fus troublé. Le gérant intercepta cet instant. Il me dit simplement :
– C’est un tableau de Calès, le peintre en soutane, celui qui peignait à cru sur les rochers pour ne pas rater la lumière. Ici, elle fugue. Quand Samuel me raconta cette histoire, il avait encore une émotion mouillée accrochée dans ses yeux et sur ses lèvres, l’envie de dire des mots qu’il cherchait sans les trouver. Alors je lui proposai d’aller entendre Calès « vocaliser la réalité, transmettre son admiration pour les beautés des montagnes. » – Et si on y allait au-devant de Calès et de ses illuminations ? Samuel accepta de faire le chemin du peintre, d’aller à la rencontre d’une perception, d’être à l’affût des couleurs, de ne rien perdre des bruissements, de se pencher dans les anfractuosités lorsque les roches ouvrent leurs écorchures. En quittant l’auberge où nous avions posé nos effets de moindre importance, une zone de taillis échevelés se frotta contre nos chevilles. Les longues tiges des roseaux s’écartaient. Une chantourne s’écoulait sur les cailloux, jouait de l’onde en palpitant le long des bermes des herbes aquatiques sous l’ombrage des saules pleureurs. Dans les tapis de characées, joncs et fluteaux secouaient leurs coiffes. Le lycope aux feuilles dentées libérait ses frottements dans le trop plein de luminescence. L’épilobe hirsute en hérissant ses poils sur ses longs pédoncules rendait un son ténu repris par une grive musicienne. Les troncs fuligineux se miraient plongeant leurs branches qui se reflétaient tels des stalactites dans l’eau frémissante sous la houppelande des feuillus. On entendait l’orgue des flots argentés parcourus par une douce clarté de notes. Puis la vallée de Grésivaudan s’ouvrit comme dévalant d’un ciel luisant s’échappant d’une coupole couturée de filaments nacrés. C’était les premiers jours de l’été. Les cornouillers sanguins levaient leurs rameaux comme pour présenter le ciboire de leurs graminées dans un ciel s’effilochant sous les coups de pinceau d’une brume capricieuse. Nous approchions des poirées à cardes rouges quand les oseilles sanguines aux veines gonflées d’encre rouge sang giclèrent. Même les genévriers ouvrirent leurs paupières. Le chaudron des dorines bouillonnait, libérait les fastes inouïs d’une vallée entourée de sentinelles perchées sur les crevasses. Si au bout de chaque rivière et de chaque chemin, il y avait une montagne, au bout de l’horizon, il y avait une passion. Elle coulait sur la palette du peintre. Il en était imprégné lui, le feu follet des moraines et plus il sentait monter en lui la sève des menthes sauvages, plus il avait eu besoin de la plaquer au couteau sur de larges toiles comme si embrasser le ciel dans de longues écharpes parvenaient à le rassasier. Plus on avançait, plus on comprenait son œuvre. Au contact d’une présence cachée dans les fissures et les encoignures des toits émergeant des villages floutés, dans les voiles d’un œil globuleux nappant de diamant les hauts pics neigeux, le temps n’avait plus cours, le temps s’isolait. Arrivés devant la corniche d’où s’étalait une vue nimbée de folle amplitude, il nous sembla voir le peintre devant son gigantesque tableau s’efforçant de capturer les teintes oscillant dans les strates de tons fauve que prenait le soleil enchâssé comme dans un ostensoir. Parvenu à rejoindre la béatitude, absorbé par ce cantique qui éclatait sur les crêtes et les versants déchiquetés sur lesquels s’accrochait le nuancier de blanc et de gris, pouvait-il s’arrêter de peindre quand, sachant sa dernière heure venue, il demandait encore son pinceau, criant aux herbes chères de s’attendrir sur sa tombe ? Il souhaitait que les fibres de lin de sa toile couvrent la pierre pour laisser sur le marbre la marque rouge du géranium, le jaune du pissenlit, l’émeraude du millepertuis, le mauve de la salicaire. Mais le plus dépaysant, nous le vécûmes à la tombée des lumières. Nous eûmes beau chercher ce qui avait préludé à son approche, nous ne trouvâmes rien que le passage d’un vent plus frais. Le ciel commença à rougir comme des grappes de lobélie cardinale. L’horizon fut strié de cardes rouges. Le jour s’enlisait dans un cratère béant de lueurs fantomatiques. Des flambées de faisceaux grenat, traînées sanguinolentes comme des jonchées de feuilles d’érable apparurent. Après la coulée de lave pourpre sur les toits assombris, un tourbillon de fumée rougeâtre explosa son feu d’émotions qui couvaient. Des torches écarlates s’allumèrent. Quand l’incarnat des nuages s’allongea sur le clocher du village, on crut qu’un soupir dans un abandon intime s’exhalait. A chaque coin du paysage, vous irez à la rencontre d’une luciole, au détour de chaque sentier vous entendrez un bruit d’écorces, au loin vous verrez couler des larmes de sang et d’encre. Un peintre ne pouvait qu’y voir la manifestation ensorcelante d’une puissance à l’écart, distante des espèces environnantes, montrant les expressions changeantes d’un visage ému, gardant une profonde connexion avec l’humain. Ces vibrations, ces hasards qui transposent des touches de sublime dans l’humilité des attentes, génèrent plusieurs variations qui vagabondent, ne durent que quelques fractions d’instants qui se figent d’ambre et de perles en suspension dans l’air. C’était comme si on entendait des appels à une contemplation étonnée du monde. Dans ces espaces de solitude, le silence devenait un langage, une respiration apaisée, une invitation au relâchement.
Ginette Flora
Janvier 2024
Matheysine et Hauts Pays et la vallée de Grésivaudan
Voici un lien :
On y retrace la vie et l'œuvre de l'Abbé Calès.
– "C’est un tableau de Calès, le peintre en soutane, celui qui peignait à cru sur les rochers pour ne pas rater la lumière. Ici, elle fugue."
j'ai tout découvert avec bonheur ...merciii Ginette ...superbe !💓
De belles peintures