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Rose ou mimosa

Dernière mise à jour : 16 mars


Les sapins viraient à l’ocre rouille, leurs aiguilles séchaient. Chaque jour, je voyais bien que les sapins repliaient leur armure. Je pensai que l’hiver leur prenait les dernières sèves, je les arrosai, l’idée ne me vint pas d’aller plus loin. Je ne faisais que passer devant eux en me détournant. Les thuyas aussi se lamentaient. La haie conservait ses feuilles pérennes prêtes à s’écrouler sur le gazon chargé de mousse.

Puis vint le printemps. Les bourgeons s’enhardissaient, vite déportés par de voraces chenilles et d’habiles pucerons. Les pyéris et les azalées peinaient à éclore. Au pied de mon rosier infécond, je vis des jonquilles se vêtir de leur robe jaune d’or. Un carillon fit entendre son vibrato, je reçus des éclats topaze, on déchirait une peau. Quand je trouvai la jacinthe se dresser près des grilles en ne montrant que quelques pétales, je la fixai, éberluée. Elle s’était hissée malgré tout l’abandon des sols et agitaient ses menottes graciles.

Les jardins du voisinage avec leurs haies de lauriers sculptés me consternaient.


–  Mais comment faites-vous ?

– Pour les petits travaux, j’ai la main verte, je peux redonner vie à certaines progénitures. Mais pour l’abattage et les élagages, je fais appel à Mathieu.

–  C’est qui Mathieu ? L’apôtre ?

– Mais non, Mathieu le jardinier. Il propose ses services. Il remplace Léon, l’ancien.

 

Mathieu, je le vis devant ma grille quand il fit grincer le loquet au bout de trois appels infructueux. Je me rappelai que la sonnette ne vivait plus, faute de lainages. Je l’avais oubliée.


– Votre cerisier menace  les voisins qui m’envoient vous dire  qu’un bon élagage lui ferait du bien. Et les cèdres des clôtures  ont besoin aussi d’un bon coup de fraîcheur.

– Je n’ose plus aller jusqu’au grillage. Il y a  de drôles de bêtes qui me dévisagent. J’entends crisser des pas, il y a des brèches où se faufile n’importe quelle espèce de petite faune. J’ai vu des museaux sortir de terre et sur le tertre au fond, il y a des choses …  je ne sais pas mais j’ai vu s’agiter une plotée de petits animalcules.


 Mathieu me toisa un bon moment. Puis il décida :


– Je passerai m’occuper de votre jardin.


 Il avait pris l’affaire en main. Je vivais dans un jardin que je ne connaissais pas tant la présence de petits êtres maléfiques me terrorisait. Ma détresse déteignait sur l’herbe courte, hérissée de mauvaises herbes.

 

Il vint tous les jours, en salopette et grosses chaussures de combattant. Le cerisier fut vite coupé au ras de sa nuque envahie de larves. Il nettoya les branches en les aspergeant d’un fluide à base de savon noir, lui redonna une cuirasse neuve. Il épila le sapin de l’entrée, le remit en forme, massa les racines, creusa la terre, ajouta un substrat de compost. Je le vis transporter des sacs de terreau, revenir brosser l’écorce abîmée, repartir chercher un produit, je le suivis de ma fenêtre  puis je cédai à la curiosité.

Il lança son offensive pour reconquérir le fond du jardin que je lui avais présenté comme étant une fosse problématique  grouillant d’espèces sombres, de prédateurs, de  ceux qui viennent hanter les nuits des nains de jardin. Il y avait des cris, des mouvements de patrouilles, une continuelle agitation, cet espace je ne m’en approchai jamais. Mathieu y lança ses grenades, fruits mûris par une longue réflexion. Il m’en avait dit quelques mots, à mi-voix comme s’il craignait que je me braque.

Je le vis sarcler, bêcher, jeter douilles et déchets, déraciner les broussailles, frapper, se battre contre la vie souterraine. « C’est un nid d’araignées ! » Il s’empressa d’ajouter :


–   Je leur ai ôté l’envie de revenir sur vos terres.  Elles ne reviendront pas.  On pourrait cultiver quelques légumes.


 Et j’explosai :


–   Et des herbes aromatiques ! C’est mon rêve : du thym, du basilic, de la menthe…

Je me surpris à ramener des planches de bois, des pierres, des galets et des fagots. Je récupérai les feuilles des haies, les branchages de la viorne aubier, « Boules de neige » pour les intimes avant qu’il ne les embarque dans sa camionnette.  Les écureuils vinrent inspecter les deux monticules qui trônaient sur la terrasse, l’un aplati de feuilles, à déposer aux déchets végétaux et l’autre portant un écriteau : ne pas jeter.

Nous fûmes deux à travailler, lui à refaire la clôture et les massifs et moi à fabriquer une mangeoire pour les oiseaux. J’encerclai mes plates-bandes d’une barricade de galets  pour délimiter un carré dissuasif propre à éloigner les curieux. Un peu de glu sur les pierres pouvait repousser les éventuels carnassiers.

 Mathieu s’occupait du pied de camélias qui vivait seul, cerné depuis longtemps par de drôles d’étrangers qui retardaient son épanouissement. Mathieu fit un engrais en écrasant les chutes du gazon tondu, plantain et pissenlits, mélange survitaminé avec lequel il capitonna le camélia.

 Il nettoya les vasques, leur redonna le lustre caché sous les taches de calcaire. Musaraignes et mulots, fort du silence alentour, étaient venus voyager à chaque point d’orgue de la pelouse dévastée. Il ramassa les taupinières, les mélangea de sable et rempota des godets de semis. Mathieu laboura, sarcla et quand il ruisselait de saine fatigue, je lui proposais du thé glacé.


–  On pourrait penser à quelques plants de fraisiers. 

–  Ces envahisseurs auraient tôt fait de mobiliser la terre et enliser les autres légumes, dis-je, la mine soucieuse.

–  Non, on limitera les plants et on surveillera leur croissance en corrigeant leurs turbulences.


Les rosiers se rongeaient l’âme et ne donnaient plus de roses. J’avais essayé vainement de les faire repartir. Leurs pétales s’ouvraient à peine, je me piquai invariablement à leurs épines.


–  Les roses ont besoin d’une attention journalière. Rien à voir avec les crocus, les narcisses et les tulipes que leur floraison immuable dispense de soins intensifs.

–  Cette année, mes roses m’ont vraiment boudée.


Mathieu avait son idée.  « Je crois qu’elles calquent leur désir sur l’humeur ambiante. Elles voudront même rivaliser  d’ardeur et de coquetterie. Mais si elles ne voient que tristesse, elles feront juste leur devoir et retourneront en terre. » Yeux malicieux, sourire en coin, buste rigide, maintien impeccable du seigneur faisant le tour du propriétaire, Mathieu prenait de plus en plus de place. Le jardin lui obéissait, l’attendait, ne demandait que ses soins. Ce fut un jour que je marquai au poinçon et qui fut à l’origine de ma renaissance.

Mathieu avait besoin de pelles de tailles différentes, de pioches, de râteau, de tout un arsenal.


–   C’est mon escadrille, disait-il quand il ne bougonnait pas.


La première rose qui naquit, il l’attendait avec impatience.  Il ne passait plus par le portillon du jardin, il venait directement  par le joli parterre de massifs de roses de l’entrée où le sapin avait aussi profité de ses soins attentifs.

La rose arrivait avec une telle grâce que j’en fus émerveillée.


– Elle est pour vous. Elle a besoin d’être offerte,  choyée.


A chaque fois qu’une rose venait à éclore, il m’appelait et nous la contemplions ensemble.

Il vint me parler du forsythia :


–  Quel forsythia ?

– Celui que j’ai trouvé derrière les broussailles. Quand j’ai vu le poudroiement jaune près du cerisier, j’ai pensé que j’avais la berlue. Je l’ai  sauvé des méchants rustres qui l’étranglaient.



Les massifs d’iris violets, Mathieu les redressa et  leur redonna vie. Généreuses, dynamiques, prêtes à peupler les angles morts du jardin, les cavalières firent danser leurs dentelles mauves. Mathieu canalisa leur ardeur à se reproduire, les dirigeant du bout de son sécateur et nous rencontrâmes la glycine, esseulée, que nous arrachâmes  aux arènes de la mort.

Mathieu prit l’habitude de me parler des fleurs. Il s’attardait sur le rosier et ses consœurs.  Le seringat jouait de son effluve, l’hortensia gonflait ses cols, le magnolia offrait sa virginale blancheur.


– Rose ou mimosa ?  me demandait-il alors.

– Rose gallique  parce qu’elle ne fleurit qu’une fois.



 Ginette Flora

 

4 Comments


nicole.loth
nicole.loth
Jun 04, 2024

Enfin du soleil, cher nous en Belgique. Le beau texte de Ginette partagé, ajoute du beaume au coeur, telle la douceur des roses. merci pour cela.

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Oui enfin le soleil est revenu !

Les roses l'ont senti et reviennent à elles !

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Une poésie de fleurs qui vit au delà des mots ... c'est beau ! Merci Ginette ❤️

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J'ai retrouvé dans mes archives ce texte qui parle de rose , ce qui est très approprié pour ce mois de Juin qui lui est consacré !

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