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Pelléas et Mélisande, le symbolisme de Debussy, vu par Wajdi Mouawad



Le 28 février 2025, le metteur en scène de théâtre Wajdi Moawad sonde le symbolisme de Pelléas et Mélisande dans une représentation sobre, épurée qui nous rapproche du sens que Debussy souhaitait donner  au drame lyrique français.

Claude Debussy est un compositeur français, né en 1862 et mort en 1918 à Paris. Il est considéré comme un avant-gardiste dans le paysage musical occidental où Mozart et Wagner tenaient le haut du pavé.

Debussy compose un parlé musical nouveau, ce n’est pas du Mozart, ce n’est pas du Wagner, c’est du Debussy aux harmoniques nouvelles où s’impose le drame lyrique français.

Le symbolisme de Debussy est incarné par l’approche de l’invisible, la compréhension intuitive de la densité opaque et poétique  du sentiment non pas émotif mais inné d’une dimension existante  qui n’est perçue que si elle se détache du monde matériel. 


Pelléas et Mélisande est créé en 1902 sur le livret de Maurice Maeterlinck d’après sa pièce de théâtre du même nom.

La première représentation en 1902 à l’Opéra Comique de Paris ne fut pas de tout repos. Debussy éclaire la compréhension du récit en disant qu’il est une transposition du mythe de Tristan et Yseult c’est à dire de l’histoire de deux jeunes gens qui sont attirés l’un vers l’autre mais leur amour est interdit par la présence d’un mari jaloux. L’action tragique s’achève sur la mort des deux jeunes gens, l’un tué par le mari jaloux tandis que  l’autre  personnage meurt  de chagrin et de maladie.

 Debussy dit à ce sujet :

 « La musique s’accomplit dans une sphère qui se soustrait à la matérialité. »

 La mélodie est ininterrompue, ensauvage les décors dont chaque élément porte un symbole. Et les symboles sont d’un ordre nouveau.  Ce ne sont plus les mythes antiques qui sont repris mais des forêts, une fontaine, un château, un anneau, une couleur, l’obscurité, des scènes sombres où l’on se fuit, où l’on s’égare, où l’on cherche, où l’on se rencontre.


Vers la fin du  XIXème siècle, Wagner et Verdi restent les figures imposantes qui coiffent l’art lyrique occidental.

Debussy ne va pas sur leurs brisées. Il innove, il prend l’autre chemin, celui où l’on ne s’aventure pas car  on ne sait pas où il mène, vers quel mystère, vers quelle origine qu’on ignore.

 C’est une  nouvelle dimension que Debussy ajoute à son drame lyrique. Il aborde l’idée du « destin qu’on subit ». Il décrit la musique de l’inexprimable. Là où la parole déserte par impuissance, la mélodie y trouve une percée et sait mugir son égarement.


L’entretien avec Wajdi Mouawad


Le scénariste Wadji Mouawad l’explique en nous donnant quelques clés d’écoute dans son entretien de Mars 2024.  

On lui propose de mettre en scène Pelléas et Mélisande et il s’aperçoit que c’est une œuvre pleine de contradictions où les personnages parlent peu, où le nuancier du noir et du bleu roi décolorent l’atmosphère. Il s’attelle au texte qui ne le laisse pas indifférent d’autant qu’il a besoin de quelques clés pour déverrouiller l’étrange mystère qui entoure les personnages. Il pose des questions pertinentes, de celles qu’on a occultées.

Qui est Mélisande ? Après tout, on l’a trouvée égarée dans les bois.

Qui est Golaud ? Car il a un passé, il est le petit-fils d’Arkel. Il porte un destin. Un passé violent.

 Qui est Pelléas ? Lui aussi est le fruit d’un destin.


 Et Wajdi s’interroge :

 «  Qui est Geneviève ? C’est la mère de Golaud  ou c’est la fille d’Arkel  ? Mais  qui est le père de Pelléas ? Et on append que le père de Golaud  a tué le père de Pelléas  et là on se trouve devant un drame shakespearien. C’est du Hamlet ! »

Ils sont tous issus d’un univers matériel violent. Rien n’est dit, pourtant tout est suggéré. Les affrontements, les blessures cachent d’intenables secrets mais lesquels ? Le propos du drame lyrique est de dépasser ces questions et d'entrer dans un autre univers. Peu à peu, la musique s’échappe de la réalité et nous emmène loin.

S’il y a quelque chose à comprendre, il faut comprendre que les grottes sont obscures, que la forêt est sombre et s’écroule sous les lianes, que les eaux figées se troublent sur les lignes d’un visage.

 Tout le symbolisme est dans ce que nous ne savons rien du destin qui pèse sur eux, qui les égare, les jette dans un autre monde comme si l’autre monde est un refuge, un recommencement du monde.   

 Mélisande égarée rencontre Pelléas qui lit son égarement et comprend le sien.

 La mélodie devient la mélodie  de deux âmes qui se sont vues par delà des mots.

 L’œuvre est un mystère par ses imprécisions, certes voulues pour créer le positionnement de deux personnages complètement innocents, victimes, écrasés par un destin qui les préoccupe, ignorant tout de ce destin et c’est précisément parce qu’ils ignorent  tout qu’ils deviennent dépendants d’ombres qu’ils veulent fuir pour créer leur propre espace.

 « Car ils sont innocents et ils vont mourir. Là cela devient intéressant. Ils sont victimes.  »

 Le décor est simple, de l’eau coule et fuit entre les cailloux et les roches. On entend son ruissèlement comme l’écoulement de sanglots qu’on ne voit pas.

«  Dans le monde des humains, dit le metteur en scène, la majorité des êtres vivent dans le monde du visible, du matériel et de l’épique. Seul un infime pourcentage d’humains se contente de s’appuyer sur le monde visible pour accéder à autre chose comme l’amitié, l’amour. »

C’est la différence entre Golaud qui est dans le monde froid, net, visible tandis que  Pelléas et Mélisande ont un rapport avec l’invisible. Ils projettent quelque chose de poétique et conçoivent le monde de l’invisible de la même façon. Ce sont des esprits, des âmes qui se rencontrent.  C’est inexplicable. On se laisse surprendre par cette ineffable découverte et Wajdi de conclure :

 « On n’est victime d’aucune culpabilité à porter. »

 On porte des urnes parce que l’on vient de cette source  où on a éparpillé des cendres.


© entretien de Wajdi Mouawad (mars 2024 )



 Ginette Flora

 Février 2025  

    

 

 

2件のコメント


viviane parseghian
2月19日

 "Tout le symbolisme est dans ce que nous ne savons rien du destin qui pèse sur eux, qui les égare, les jette dans un autre monde comme si l’autre monde est un refuge, un recommencement du monde. " j'ai adoré tout ce que tu nus offres ici ...merci   ❤️

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C'est un opéra un peu à part dans le monde de l'opéra.

C'est surtout un beau moment de réflexion sur nos deux faces, celui du matériel et celui de l'imaginaire.

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