Mary Oliver, femme de lettres
- Ginette Flora Amouma
- 5 juil. 2024
- 5 min de lecture
C'est une poétesse américaine née en 1935 dans l'Ohio aux USA et morte en Floride en 2019 à l'âge de 83 ans.
Son enfance semble avoir été particulièrement difficile. Les drames enfouis en elle la dirigent vers la contemplation de la nature, du minéral, de l'animal, du végétal et des éléments essentiels, terre, ciel et eau.
On peut dès la première lecture s'étonner de n'y voir personne hormis la présence des arbres.
Ce mystère intérieur restera longtemps le faisceau énigmatique de son œuvre qui par ailleurs est écrit dans une langue simple à la limite de l'austérité.
Elle travaille pour l'Université Buckwell puis poursuit une carrière poétique couronnée de plusieurs prix dont le prestigieux prix Pulitzer.
C'est à l'âge de 28 ans qu'elle publie ses premiers poèmes.
En 1963, le recueil " No voyage and other poems"
Le voyage
" Un jour enfin tu as su
ce que tu devais faire et tu t’y es mise
malgré les voix autour de toi qui hurlaient encore leurs mauvais conseils-
malgré toute la maison qui s’est mise à trembler
et la vieille corde que tu sentais à nouveau sur tes chevilles.
« Répare ma Vie ! » pleurait chaque voix.
Mais tu ne t’es pas arrêtée.
Tu savais ce que tu avais à faire, malgré le vent qui attaquait de ses doigts raides
tes fondations les plus intimes, malgré leur mélancolie déchirante.
Il était déjà fort tard, et la nuit violente,
et la route pleine de branches tombées et de pierres.
Mais, peu à peu ,comme tu laissais leurs voix derrière toi,
les étoiles ont commencé à briller à travers le manteau de nuages,
et il y a eu une voix nouvelle que tu as lentement
reconnue comme la tienne, qui t’a tenu compagnie
tandis que tu arpentais le monde de plus en plus loin,
déterminée à faire la seule chose que tu pouvais faire-
déterminée à sauver la seule vie que tu pouvais sauver. "
Traduction : Patrick Thonart
On note déjà la volonté de rester dans l'attachement à trouver sa liberté dans une seule foi, celle de ne croire qu'à ce qu'elle éprouve au contact de la nature, des évènements, des signes qu'elle reconnaît comme étant une invitation à aimer l'entrée dans ce qu'elle appelle son monde dénoué de toutes les entraves.
Bien des années plus tard, elle redira la même chose comme si rien n'avait changé :
Feuilles et fleurs le long du chemin
"Dieu ou les dieux sont invisibles, c'est tout à fait compréhensible
Mais la sainteté est visible entièrement
Certains mots ne quitteront jamais la bouche de Dieu
Peu importe à quel point vous écoutez
Toutes les idées importantes doivent inclure les arbres
Les montagnes et les rivières
Pour comprendre beaucoup de choses, il faut tendre la main de votre propre condition
Pendant combien d'années ai-je erré lentement à travers la forêt
Si j'avais été pressée, j'aurais manqué tant de merveilles !
La beauté peut à la fois crier et chuchoter
L'essentiel, c'est que vous êtes "vous" et c'est pour toujours. "
Sa poésie est simple pour être lue et comprise facilement. Pour elle, dire ce qui doit être dit dans une langue simple est le summum de la poésie.
Profiter de l'instant présent, en déceler la magie et savoir recevoir quelque signaux que la nature nous envoie est une sorte de comportement mystique, une démarche qu'elle ne cesse d'adopter pour se laisser capter par les plus petites choses, se laisser surprendre par des énergies que l'on croyait invisibles et muettes.
Elle se tient dans le couloir qui sépare le végétal de l'humain, elle traverse le pont de la poésie pour se laisser habiter par les forces de la nature.
1986 "Wild geese " du recueil "Dream work "
Les oies sauvages
"Tu n’es pas obligé d’être pur.
Tu n’es pas obligé de faire à genoux
cent kilomètres dans le désert pour te repentir.
Tu ne dois que permettre au doux animal qu’est ton corps
d’aimer ce qu’il aime.
Raconte-moi ton désespoir, et je te raconte le mien.
Entre-temps le monde continue à rouler.
Entre-temps le soleil et les gouttes claires de la pluie
traversent au-dessus des paysages,
au-dessus des plaines et les forêts profondes,
les montagnes et les rivières.
Entre-temps les oies sauvages, très haut dans le ciel frais et bleu,
reviennent chez elles.
Peu importe qui tu es, peu importe ta solitude,
le monde s’offre à ton imagination,
il fait l’appel à toi comme les oies sauvages, dur et passionnant,
encore et encore pour déterminer ta place
dans la famille des choses."
En 1983, elle écrit " Dans les bois marécageux", extrait du recueil " American primitive " qui lui valut le prix Pulitzer.
"Regarde, les arbres transforment leurs propres corps en piliers
de lumière, ils dégagent de riches effluves de cannelle et de plénitude,
les longs cierges des roseaux éclosent et ondulent au large sur les épaulements bleus
des étangs, et chaque étang, quel que soit son nom, est
désormais sans nom.
Chaque année, tout ce que j’ai pu apprendre
dans ma vie me ramène à cela : les flammes et la rivière noire de la perte dont l’autre rive
est le salut et dont le sens nous échappera à jamais.
Pour vivre dans ce monde,
tu dois savoir faire trois choses : aimer ce qui est mortel, le serrer
contre tes os en sachant que ta vie en dépend, puis, une fois le temps venu de le laisser aller, le laisser aller."
A la fin de sa vie, elle s'interroge sur elle-même : " La conscience de soi ".
Comme d'autres célébrateurs du lyrisme américain de la nature , Marainne Moore, Walt Whitman, elle voit dans la nature et ses épanchements une voie vers la rédemption au milieu des rigueurs de la terre.
Dans son poème de 2006 intitulé When Death Comes (Quand la mort viendra), Mary Oliver écrit :
"Quand ce sera fini, je veux pouvoir dire que, toute ma vie, je suis restée l’épouse de l’étonnement.
Et j’ai été le marié qui prend le monde entier dans ses bras.
Quand ce sera fini, je ne veux pas me demander si j’ai fait de ma vie quelque chose de particulier, et de réel.
Je ne veux pas me retrouver soupirant, effrayée ou pleine de justifications.
Je ne veux pas finir après n’avoir fait que visiter ce monde."
Et puis ailleurs, elle écrit encore :
" Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière.
Mais je sais comment prêter attention, comment tomber
dans l’herbe, comment m’agenouiller dans l’herbe,
comment flâner et être comblée,
comment errer à travers champs,
ce que j’ai fait tout au long de la journée.
Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre?
Tout ne finit-il pas par mourir, trop rapidement ?
Dis-moi, qu’entends-tu faire de ton unique, sauvage et précieuse vie ? "
Mary Oliver, La journée d’été dans Jon Kabat-Zinn, L’éveil des sens. Vivre l’instant présent grâce à la pleine conscience, Les Arènes/Pocket Évolution, 2009,
Ginette Flora
Juillet 2024
Portrait que j'ai découvert et adoré et j'aime sa vision de la poésie ...❤️"Sa poésie est simple pour être lue et comprise facilement. Pour elle, dire ce qui doit être dit dans une langue simple est le summum de la poésie."... je crois à ce pouvoir là ! vrai ...❤️
Je te remercie, Ginette, pour cette magnifique découverte ! Bonne journée 🌞