Marius Noguès, le poète de "l'air pur" des champs
- Ginette Flora Amouma
- 9 août 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 janv.
C’est un écrivain, un poète et un agriculteur français, autodidacte, venu à l’écriture parce que, dit-il, il aimait lire et écrire en gardant le bétail. Il serait venu à la peinture si le contexte avait été différent, la démarche est la même. Il voit son âme le solliciter et la libère par l’écriture.
Il appréhende le monde en marche et il veut témoigner de sa parole.
Il aime vivre auprès de la nature, il ne quittera pas sa ferme dans le Gers, à Haget où il est né en 1919. Il décède à Tarbes en 2012.
C’est un agriculteur, un paysan qui aime sa ferme, sa terre, la cultive en piochant et activant sa bêche. Il eut l’idée de parler des labours avec des mots simples mais riches d’une sensibilité qu’on approche … à pas de loup.
Car l’homme sait qu’il est de petite extrace mais cette graine est si riche de sève quelle ne lui laisse pas reposer son admiration. Il décide de le dire même si ses mots sont rudes frustes, concrets, réalistes mais spontanés :
« Je me fous de bien écrire, de bien parler, qu'importe l'élégance, le poli, le policé des simulacres ou de la manière. Imposture. Hypocrisie. Il faut agir sans façonnades, sans passer les gants, sans pudeur et sans crainte. Porter le choc du fer de lance dans le ventre mou des niais, des égoïstes, des passifs, des pleins de soupe, des pleins de fric, leur faire mal, les contraindre à forer le cri qui leur ouvrira les yeux et la conscience du cœur. Les tirer de leur état de poissons morts. Les ressusciter. »
En 1942, il publie son premier recueil de poésies « Air pur »
En 1957, il publie son premier roman « Petite chronique de la boue »
Ces deux premiers recueils situent l’écrivain. Son domaine, c’est la terre qu’il laboure, ensemence et moissonne. Ce sont les grandes prairies où le blé voltige sa tige et ses antennes blondes. C’est le tracteur, le travail dans la boue au grand air dans la grande traversée des saisons.
C’est avant tout cette figure emblématique du Sud-Ouest de la France qu’il donne de lui et qu’il ne quittera jamais.
Le blé et les hommes
S’il parle du terroir, il parle aussi des hommes.
Il parle de sa colère quand les hommes craignent de s’engager dans des causes plus intègres, plus conforme à l’enracinement d’un peuple paysan.
Il révèle la vie des animaux, cette faune qui guette dans les fourrés, le passage des hommes.
Il leur parle des végétaux à qui il s’adresse comme à ses amis. Il est le spectateur impuissant du choc des civilisations citadines et paysannes, urbs et rus, autant de thèmes qui font le terreau de ses livres.
En 1972, il fait partie d’une association des écrivains-paysans aux côtés de Jean Robinet et de Jean–Louis Quéreillahc.
Mais il est l’homme d’une seule individualité. La dénomination écrivain-paysan le dérange. Il y voit une restriction comme si ceux qui ne venaient pas de la terre ne sauraient l’apprécier à sa juste valeur. Tout un chacun peut dire ce qu’il éprouve avec l’outil de sa démarche, avec le cœur, le moteur qui le propulse.
Il refuse les catégories de classes. Ce n’est pas une science, l’écriture, c’est un cri. L’écriture de l’écrivain ne serait-elle réservée qu’à une élite ?
Il a 25 hectares de terre au pied des Pyrénées et cette nature vivifiante quoique massive est la seule présence qui occupe son œuvre.
Ses œuvres et son écriture
Les titres de ses recueils poétiques annoncent la thématique de son travail :
« Air pur » , « Du pain et des roses »
« Mal vivre » , « Soleil de la terre »
« L’instant qui passe fait l’écorce des jours »
et montrent à quel point le paysan gascon qui vit sur les berges de l’Arros, avoue que sa vie retirée dans sa ferme lui est source de plénitude où il cherche à travailler au plus près des valeurs primitives de la terre avant qu’elles ne se dégradent ou se perdent ou se transforment, avant que n’arrive l’ère nouvelle apportant son lot de méthodes novatrices que le poète observe avec inquiétude.
Tel que le voit Jean-Louis Quéreillahc ( rapporte Edmond Thomas dans la préface du « Grand Guignol de la campagne » )
Le vieil adage disait :
« Une récolte ne fait jamais plaisir deux fois ». Mais, dorénavant « si l’on ramasse 40 quintaux à l’hectare, 30 sont déjà bouffés d’avance par les frais et l’endettement qu’ils supposent ». A l’opposé de Marius Noguès, Jean-Louis Quéreillahc paraît moins préoccupé de la survie de l’agriculture naturelle que des drames de l’agriculture moderne, notamment l’endettement : « chez nous, devoir de l’argent, hypothéquer ses biens représentent une souffrance physique : on est atteint dans son être, dans sa dignité ». Non, Jean-Louis Quéreillahc n’est pas contre le progrès, il l’a vécu avec enthousiasme, et reste à l’affût des nouveautés plus adaptées : « pourquoi pas le leasing en agriculture ? ». Lui aussi regrette de voir partir les jeunes pour Toulouse, Bordeaux ou Paris : « on ne peut tout de même pas entourer nos communes de barbelés »
Noguès écrit des livres où la terre est le lieu où se fondent les espaces en friche de l’esprit.
Il publie :
« Lutèce et le paysan » , « Petite chronique de la boue »
« Terre des hêtres » , « Grand guignol à la campagne »
« Les contes de ma lampe à pétrole »
Il meurt à 93 ans avec toujours dans les yeux
« Le soleil de la terre » et vivant de « L’instant qui passe fait l’écorce des jours »
Son écriture
Là où cela pose problème, c’est que je n’ai trouvé aucun extrait ni aucun poème de l’auteur comme s’il cachait dans sa grange ses trésors et que je devais aller chercher moi-même sa prose moissonnée.
Les sites Internet ne donnent aucun extrait, juste des déclarations dans des entretiens et je me suis rapprochée de Jean Giono et de Ramuz pour comprendre l’écriture de Marius Noguès.
Il reste bien sûr les bibliothèques que je ramone pour emprunter un livre de Noguès.
Les critiques s’accordent à dire que c’est une plume énergique et que c’est un amoureux des mots. Il est, semble-t-il, difficile de parler de lui car il est tantôt tout feu tout flamme tantôt contradictoire, sage et fougueux, il s’apaise comme il piaffe.
Son style est plein d’humour et de gouaille. La bonne humeur est chez lui une deuxième peau et sa truculence rustique fleure bon le sel de la terre.
C’est un farceur avec un goût prononcé pour la réplique goguenarde où parfois pour des situations burlesques qui touchent à la satire.
Parce qu’il se veut attaché aux grandes valeurs traditionnelles de la terre et que le bouleversement du monde rural lui mordille l’oreille, il se confie dans ses écrits à grandes brassées de mots. Le monde est en marche, il s’interroge. Quelle parole faut-il laisser dans le champ des cultures ?
Lui comme tant d’autres auteurs sont des auteurs qui sont dans la tradition des écrivains qui écrivent sans être nommés mais dont l’écriture se révèle à mesure qu’elle devient essentielle. Leur écriture est remise cent fois sur l’enclume, elle prend de l’âge, acquiert en saveur et en arôme, elle « goulaye en bouche ».
Noguès mène ainsi son écriture. C’est sa vie qu’il bascule toute entière dans ses mots, ses combats, les pissenlits qu’il arrache, les chardons, les centaurées, toute la zone sauvage forme une prose qui comble le personnage en même temps quelle le délivre de lui-même, de ses prises de position. Entre réalisme et lyrisme, il s’impose seul.
On pense à Charles-Ferdinand Ramuz, on pense à Jean Giono, on pense à Henri Pourrat. Marius Noguès est de la même veine qu’eux.
Littérature et peinture, il pense que les deux disciplines ont le même élan venant du tréfonds de l’âme. Il parle de la peinture car le peintre comme le poète délivre un regard à coups de peinture et à coups de plume, rustre dit-on de lui. Gauche aussi, primitif et combien si vrai, si pur !
C’est une tonalité, une voix, une langue et j’ai bien peur que pour l’heure, je n’ai pas d’extrait à donner pour qu’on puisse le lire à haute voix.
Son humour le sauve d’un épanchement incontrôlé mais ce qui est contradictoire, c’est que ce même humour le ramène à deux fois plus de ferveur à donner à ses lecteurs.
Son éditeur dit de lui :
Marius Noguès « L’instant qui passe fait l’écorce des jours »
« Dans un chant d'amour et de vérité, où les couleurs jaillissent vivantes, Marius Noguès appelle à l'exaltation du bonheur vrai, les poings serrés, le sourire aux lèvres, la fleur à la boutonnière.
Interdit aux aigris. »
Août 2024
Ginette Flora
oh j'ai adoré et la découverte est précieuse ...Merci Ginette ...❤️
J'aime beaucoup ce poète sa plume et le prolongement du soc. ses lignes sont des sillons
bien droits.... Merci chère Ginette pour cette belle découverte