Le tilleul et l'érable
- Ginette Flora Amouma
- 12 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Ils étaient tous deux seuls à rester dans le jour qui déclinait entre les grisailles des ramures flageolantes des arbres éteints. Les chênes vieillissaient, de mousse envahie, ils reculaient dans la brume. Les frênes friands de coulures, s’emparaient des derniers pastels dans les ombres qui envahissaient les sous-bois.
Entre les allées remontées par quelques promeneurs gagnés par le charme des lieux, il y avait bien un arpège qui fuguait.

© nos arbres remarquables
Tant de passages engourdissaient les aiguilles alourdies de samares et de cônes que le ciel s’affaissait, tout s’éloignait peu à peu mais eux deux seuls, le tilleul et l’érable restaient sans comprendre.
Le tilleul en prit conscience quand il attendit le temps des fins de saisons. L’arbre à ses côtés guettait aussi la prochaine somnolence. Ils se préparaient tous deux à se laisser aller à une profonde rêverie. C’est qu’il fallait tisser autour des écorces, les liens qui permettent de remonter le temps.

© art majeur- arbres
Le tilleul réalisa qu’une vie se jouait après de lui. Il en apprécia la constance, l'évidente aptitude à supporter les écorchures. Il découvrit les fêlures, les traces des griffures sur le tronc, les cendres d'un bois de rose et en éprouva une singulière émotion.

© jacques villeiet-le bonheur est dans les arbres
C’est ainsi qu’il commença à donner aux couleurs une réelle approche intuitive. Il lui fallait comprendre ce que les fleurs roses, de ce vieux rose suranné du printemps réveillaient en lui, le jade du feuillage d’été le ranima, les fauves de l’automne le firent tressaillir. Un cri qu’il n’avait pas voulu prendre en considération vint érafler sa conscience.

© images rossini-arbres
L’hiver dépouillé les rapprocha. Tous deux n’avaient plus rien à donner et ce rien qui restait révéla la véritable beauté de leurs âmes.

© aquarelles pattie-canalblog.com
Ils ne surent pas pour quelle raison ils veillèrent l’un sur l’autre comme une vêture précieuse et l’autre sur lui comme une flamme chaleureuse.
En face d’eux, les peupliers reconnurent qu’un lien s’était mis à frémir, qu’une nouvelle graine sourdait, se mettait à exister. Ils édifièrent des jeux d’esprit pour chercher une raison ou un défaut ou une qualité rare à leur présence insolite.
Le tilleul et l’érable n’en savaient rien car tout en eux devenait parole, musique, peinture, une vie invisible comme un greffon se dilatait allongée sur l’écorce, immuable jusqu'à la cime des feuilles comme une effusion sans qu’un seul geste ne soit composée.
Tout parlait, tout les rapprochait.

© Aquarelles forêts
Ils se soutenaient même quand l’un perdait ses feuilles en premier et que l’autre diffusait encore son charme impérial.
Ils se sont vus au bord d'un jour tourné par des sylphes, totalement appréciés, l’érable du Japon portait encore sa couronne pourpre, le tilleul conservait sous son immense dôme les travaux des saisons passées et la créature y trouva son royaume.
L’attente inquiète devint une assurance constante de sentir des racines enserrées au plus profond du sol. Quand la feuille première de l’un tombait en automne, l’autre attendait que la sienne aille rejoindre celle perdue.
Ils en souffraient ensemble quand l’extrémité de leurs branchages se touchait avant la dérision de l’hiver.
Ils s’acclimatèrent, la lourde racine du tilleul s’avança vers la racine apeurée de l’érable pour qu’à travers eux deux se glisse une pensée, celle qui éclaire comme une lueur dans la brume blafarde de la nuit.
Quand le vent souffla plus fort, les deux arbres se réconfortèrent, s’avouèrent leurs craintes en puisant sur l’écorce, l’énergie de la sève.
Toujours côte à côte, toujours l’un près de l’autre, ni dans l'esquive mais attentifs, ni retenus mais émus, ils ne se voyaient pas vivre autrement que de savoir qu’ils ranimaient une ancienne existence. Tempêtes et bourrasques, dénuement et abandon ne parvenaient pas à rompre leur aubier qui recommençait à nourrir leur joie de se savoir reconnu.

© freepik-deux arbres et un banc

© Kaiszu-two-trees of Valinor- l’âge des arbres- gardalph shop
Ginette Flora
Mai 2025
Une ode aux arbres, une évasion loin de mon univers bétonné... Merci pour ce partage, chère Ginette et bon W.E.
Une histoire d'arbres, beau comme un conte, leurs vies nous émerveilles au fil des saisons...
Les arbres nous apportent un regain de vie et nous contemplent majestueusement.
Ce récit est touchant Ginette. Merci beaucoup.
trop beau, Ginette ...merci de ce récit, j'ai adoré ...une histoire d'amour, en fait ..;"Le tilleul et l’érable n’en savaient rien car tout en eux devenait parole, musique, peinture, une vie invisible comme un greffon se dilatait allongée sur l’écorce, immuable à la cime des feuilles comme une effusion sans qu’un seul geste ne soit composée.
Tout parlait, tout les rapprochait."❤️