La porteuse d'eau
- Ginette Flora Amouma

- 28 oct. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars

Aayi pensait que son destin était de diriger un sanctuaire de luxure, l’oxymore ne lui apparaissait pas comme un outrage aux bonnes mœurs. Du reste, elle ne savait pas où siégeaient le mal et le bien. Son commerce se portait bien et elle ne se formalisait pas des questions de moralité ou de bienséances, ses gains lui avaient permis de vivre sans maître.
Les médisances ne lui parvenaient pas. Sa beauté, sa bonté et son humeur égale lui avaient valu un agrément tacite de la part des gens du village.
Vint un jour où le roi Krishnadevaraya qui régnait depuis quelques longues années sur l’empire Vijayanagar de la province Sud de l’Inde, incluant le village de Pondichéry, dut se rendre dans ces terres pour rencontrer un notable.
En approchant du village, à peine arrivé à 5 kilomètres de Pondy, il fut captivé par la prestance d’une fière bâtisse à la surprenante architecture, qu’il prit pour un temple. Il s’empressa de faire halte pour se prosterner en psalmodiant quelques versets sacrés.
– Oh Mon dieu ! Quelle belle sculpture et comme son architecture est originale !
Les villageois embarrassés lui dirent qu’il se méprenait sur la destination de la bâtisse.
– Votre Majesté, pourquoi vous prosternez-vous devant ce bordel ?
Le roi se redressa, horrifié et balbutia :
– Que dis-tu là ?
– Votre majesté, ce beau manoir est une vulgaire maison close, gérée par Aayi, la reine des femmes de petite vertu.
Le roi, humilié donna l’ordre de démolir la dite maison et d’enchaîner Aayi qui implora sa grâce. Elle lui proposa, puisque la bâtisse devait être détruite, de la détruire elle-même de ses propres mains et d’ériger à sa place une grande réserve d’eau. Le roi accepta l’accord.
La jeune femme acheva la démolition du bâtiment et fit creuser un étang, une réserve d’eau pour les habitants dont la vie s’en trouva grandement facilitée.
Pour la remercier de sa généreuse contribution au village, la nouvelle installation fut nommée « L’étang d’Aayi » qui devint, les années passant, un symbole spirituel où l’on puise l’amour et l’énergie.

En 1673, deux siècles plus tard, Pondy, devenu un comptoir français, doit faire face à une pénurie d’eau. Les habitants ont beau creuser des puits, ils ne tirent que de l’eau salée.
Napoléon III, averti des difficultés que rencontre à Pondy le gouverneur Alexandre Durand D’Ubrauye, envoie un expert géomètre Mr Lamairesse pour résoudre le problème.
L’expert en recherchant une eau de qualité, s’interroge sur l’étang d’Aayi.
A partir de l’œuvre d’Aayi, l’expert met en place un mécanisme de levage à poulies et fait creuser un tunnel de canalisation sur les 5 kilomètres qui mènent au cœur de Pondy.
Ainsi, les habitants de Pondy peuvent s’abreuver de l’eau fournie par le puits de la courtisane Aayi.
Reconnaissants, ils font ériger un monument en hommage à Aayi en plein cœur d’un jardin, le parc Bharati qui porte le nom du poète tamoul qui séjourna une vingtaine d'années dans le comptoir.
Ce monument blanc de style gréco-romain s’élève au centre d’une place ronde entourée des canons d’époque, l'ancien Fort-Louis. Une fleur de lys trône en son sommet.
La plaque en pierre écrite en tamoul et en latin traditionnel rend hommage à Aayi, la remerciant d’avoir fourni de l’eau potable, qui une nouvelle fois dans son histoire devient celle qui sauve par l’eau tout un village qui désespérait de trouver une issue à son problème.
De nos jours,
© photos site shrimadindia.com

L’étang est asséché, ses ressources épuisées.
La nappe phréatique ne donne plus grand chose et le puits n’est plus qu’un mémorial.
Des associations locales se mobilisent pour conserver ce lieu historique et espèrent un jour revoir de l’eau couler dans l’étang.
Dans le parc que l’on visite pour ses espèces tropicales, son calme reposant et sa brise venue du front de mer, on pense au geste désintéressé d’Aayi.
Le monument devient l’emblème du Territoire de Pondichéry et figure dans son sceau.

© photos personnelles 2025
Ginette Flora
Octobre 2024




Superbe découverte, une histoire qui émeut et tu nous l'offres trop bien ....Merci❤️
Il y a (fort) longtemps j'ai passé quelques jours à Pondichéry... alors grand merci, Ginette, pour ton récit sur l'histoire de l'Aayi Mandapam.
Quelle histoire in croyable que celle de l'Aayi Mandapam ! Quelque part, s'il n'y avait pas eu cette goutte d'eau pour faire déborder le vase, il n'y aurait jamais eu d'étang…! ^^