La page de Patricia- Saltimbanque
- Ginette Flora Amouma

- 12 oct.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 oct.

Après six mois de rééducation du genou, opéré deux fois, suite à une chute sur le verglas un matin d'hiver sur le chemin du travail, Pauline allait commencer à revivre.
Elle se trouvait jusqu'alors confinée dans sa maison à profiter de son balcon et de son jardin même si entre deux séances de kiné, c'était mieux que d'être dans un appartement.
Et, oh combien elle avait soupiré de soulagement et de joie quand le chirurgien lui avait donné l'autorisation de sortir de cette vie de prisonnière qui commençait à l'étouffer....
Après avoir bu son café en ce bel après-midi d'automne amorcé, Pauline prit sa canne anglaise pour sa première grande sortie, il fallait jouer la prudence.

Une bouffée d'air emplit agréablement ses poumons quand elle arriva aux étangs bordés de joncs, d'iris et d'autres plantes lacustres au milieu desquelles eiders, poules d'eau, grenouilles se la coulaient douce.
Puis elle suivit le chemin qui mène aux bords de Seine, un de ses bras propice à la pêche; deux jeunes d'ailleurs lançaient leur ligne, joyeux.
- Ça mord leur lança-t-elle ?
Et l'un de montrer sa nasse pleine de truites à faire pâlir les bleus de la pêche !
Puis elle continua vers le petit jardin aux marronniers où des bancs bienvenus n'attendaient qu'elle.
Pauline se posa, suivi d'un grand ''ouf"; il ne fallait pas trop forcer la machine, ce n'était que le début des escapades.
Un livre à la main, et après avoir lu trois fois la même page, elle le reposa.
C'était plutôt l'heure de la sieste se dit-elle en baillant un peu...
De loin elle vit soudain arriver un homme promenant son chien; elle le connaissait déjà de vue pour l'avoir X fois croisé l'année d'avant.

Coiffé d'un chapeau feutre de travers, d'un costume en velours côtelé un peu trop grand pour lui, la veste mal attachée, le visage rouge, il semblait sortir d'une séance de guignol.
Flanqué de son chien, un fox-terrier, tout aussi original que lui avec un nœud papillon en guise de collier autour du cou, il déambulait d'un air goguenard.
Pauline ne put s'empêcher de sourire à la vue de cet Olibrius et s'amusa à faire de lui un autre homme, à une autre époque.
Elle le voyait bien au dix-neuvième siècle déambulant sur les routes de France, un baluchon sur l'épaule droite, un violon sur l'autre.
Coiffé d'une casquette à la Gavroche, en caraco large sur un pantalon de grosse laine tenu par des bandelettes de coton, des guêtres sur des croquenauds, il paradait.
Il paradait bien avec son chien dont le cou et la queue décorés de fanfreluches multicolores faisaient se retourner tout le monde sur leur passage...
Il faisait le tour de France, comme un compagnon, à la différence qu'il voulait exceller dans l'art du comique de rue, pour divertir ses compatriotes.
On l'appelait le "violoneux" mais il avait d'autres cordes à son arc...

De places publiques en fêtes foraines il essayait de divertir au mieux les bonnes gens aidé de son chien presque savant lorsqu'un numéro terminé ce dernier semblait tenir la casquette à oboles, et sourire...
Il avait appris à se contorsionner comme une poupée de chiffon, héritage du père, atavisme oblige, ou à jongler avec plusieurs balles, ce qui faisait monter dans l'assistance des 'ho!' et des ' ha!'; et le chien à aboyer, à tourner sur lui-même dans l'attente d'en attraper une.
Par dessus tout, il faisait rire les enfants qui adoraient son nez rouge, son maquillage et ses mimiques...
Il faisait des grimaces avec sa bouche et ses oreilles, et ses yeux roulant comme des billes émerveillaient les plus petits.
Chacun regardait et écoutait avec attention celui qui leur donnait du bonheur dans leur vie de labeur; en ce temps-là les pauvres étaient légion, et le divertissement était pour eux une sinécure.
Le clou du spectacle attendu, c'était le violon qui enveloppe l'air d'une mélodie grinçante, et les pieds qui scandent une gigue approximative et les mains qui suivent en vagues rythmiques et envoûtantes..

Sous les « bravos » les pièces tombent, en veux-tu en voilà, et notre homme heureux va pouvoir partir sous d'autres cieux avec la certitude d'avoir le gîte et le couvert encore cette fois-ci !
A chaque jour suffit sa joie dans la liberté de vivre comme il veut, près des gens qu'il aime et qui le lui rendent bien, et cela n'a pas de prix !
En sifflotant il repart sur les routes de France, avec un regard bienveillant sur son fidèle et précieux compagnon.
Pauline est tirée de sa rêverie par le klaxon d'une voiture impatiente.
L'homme au chien est parti et pourtant encore si présent dans sa tête.
Elle avait oublié de dire que sur son chapeau une plume, si discrète qu'elle lui avait échappé, se trouvait là pour signifier en toute humilité qu'il était fier de sa vie passée, une vie de saltimbanque accomplie.
Elle reprit son bouquin dont l'histoire lui semblait bien fade à côté du personnage sorti de ses pensées.
La page de Patricia –
Sur une présentation de Ginette Flora

Octobre 2025
© Peintures de Chagall – le violoniste
© Monet- bords de seine




oh c'est doux et beau ... une hsitoire dans une histoire, trop doux à lire et on s'envole ..Merci, Zouzou ❤️
Un belle histoire de Saltimbanque ma chère Patricia. Accompagné d'un de mes peintre préféré, ce qui met du réalisme à ton texte. Merci ma chère Zouzou, te lire est un plaisir.
Belle journée et au prochain partage. Bisous