La page de Colette Alice - Johanna van Gogh

À l'ombre de deux frères

     Johanna van Gogh

                                                               (1862-1925)

© Photographie de Johanna van Gogh en avril 1889

Il existe peu de photos de Johanna. Elle y apparaît dans toute l'austérité qui s'impose aux femmes dans la  Hollande protestante de la fin du XIXe siècle.

Dans la famille van Gogh la légende du génie s'est écrite au masculin : Vincent l'artiste tourmenté et Théo le marchand d'art mécène.

Or l'histoire a oublié un troisième personnage : la discrète Johanna, belle-sœur de l'un et épouse de l'autre.

Johanna est la cinquième des sept enfants d'un assureur calviniste hollandais, Hendrick Bonger. Elle est élevée dans une atmosphère cultivée et musicale. Contrairement à ses sœurs aînées, elle a la permission de poursuivre ses études jusqu'à la licence d'anglais. Depuis l'âge de 17 ans, elle tient un journal intime qui est une source importante dans la connaissance de la vie de Vincent van Gogh et de l'ambiance de cette époque. À 22 ans, elle devient professeur d'anglais dans un pensionnat de jeunes filles d'Elburg, puis au lycée de jeunes filles d'Utrecht. C'est à cette époque qu'elle est présentée par  son frère Andries, au cours d'un séjour à Amsterdam, à Théodore van Gogh. L'année suivante, lors d'un nouveau séjour à Amsterdam, Théodore fait sa demande en mariage. La jeune fille est étonnée car elle le connaît à peine et repousse dans un premier temps sa demande, avant d'accepter quelques mois plus tard. Ils se marient à Amsterdam le 17 avril 1889 et le couple s'installe à Paris. Théodore officie comme marchand d'art et Johanna donne naissance à un fils, Vincent Willem, le 31 janvier 1890. Mais leur bonheur sera de courte durée. Le 29 juillet 1890. Vincent van Gogh se tire une balle dans la poitrine avec un revolver. Théo, qui a regagné précipitamment Anvers, assiste à l’agonie de son frère qui décède deux jours plus tard.  Celui qu’il a soutenu toute sa vie n’est plus.

Johanna note alors dans son journal : "Je surmonte, comme je peux, le chagrin de mon mari. La mort installe dans la maison une atmosphère cérémonieuse et définitive [...]. Dorénavant, dans ce journal, Vincent sera le prénom par lequel je désignerai mon fils. L'autre, le mort, celui des cobalts et des jaunes, celui des champs de blé mûr et des tournesols contre le monde, je l'appellerai van Gogh." Théodore est dévasté. Elle note : "Théo est très absent : aujourd'hui il n'a pas dit un mot de la journée. Son deuil l'a rendu taciturne et je crains que son état de santé ne se dégrade à  nouveau."

Il faut quitter Paris. Le couple s'installe à Utrecht au Pays Bas, mais rien ne semble apaiser la douleur de Théo. À son chagrin, immense, s'ajoutent les affres de la maladie. Il souffre de syphilis et décline rapidement. Son humeur est sujette à de violentes variations, au point qu'il devient nécessaire de le faire interner dans une maison de santé.  Six mois après le décès de son frère, le 25 janvier 1891, Théodore succombe de la syphilis, à l'âge de 33 ans.

La jeune veuve se retrouve alors dépositaire d'un volumineux héritage : plus de quatre cents tableaux et cinq cents dessins réalisés par son beau-frère, auxquels s'ajoute l'abondante correspondance qu'ont échangée les frères Van Gogh pendant près de quinze ans. Johanna s'installe avec son bébé à Bussum, près d'Amsterdam, dans la Villa Helma qu'elle achète. Commence alors pour elle un combat opiniâtre. Bravant les préjugés de son temps, elle vit de traductions d'anglais et de français et des revenus que lui rapporte la Villa Helma, transformée en pension de famille. Elle en fait  également un musée dans lequel elle présente la toute première rétrospective du peintre.

Par ailleurs, elle devient membre d'un parti féministe où elle se bat pour que les femmes obtiennent le droit de vote au Pays-Bas, écrit des articles et affiche ouvertement ses opinions socialistes en soutenant, notamment, la paix lors de divers congrès.

En 1901, elle se remarie avec le peintre Johan Cohen Gosschalk  (1873-1912) et s'installe avec lui à Amsterdam en 1903.

                    Portrait de Johanna par son second mari Johan Cohen Gosschalk (1905)

Dans le but de mieux faire connaître la peinture de Vincent van Gogh, elle organise, en partie à ses frais, des expositions qui lui sont consacrées. La plus importante de cette période est celle de 1905 qui a lieu au Stedelijk Museum d'Amsterdam et qu'elle finance elle-même. Pendant deux mois, en juillet et août, plus de 2 000 visiteurs se pressent pour admirer tableaux, aquarelles lithographies et dessins. Au total 474 œuvres sont exposées, dont 234 tableaux.

 Le marchand d'art allemand Paul Cassirer (1871-1926) qui avait organisé une toute première exposition dans sa galerie de Berlin au tout début de l'hiver 1901-1902, aidera Johanna à organiser d'autres expositions, notamment celle de la Sécession viennoise à Munich, et celle de la Sécession viennoise de Berlin, puis celle au musée Folkwang d’ Essen en 1913. Cette même année les œuvres de Van Gogh sont présentées à l'exposition de la Sonderbund de Cologne et pour la première fois aux États-Unis. D'autres expositions ont lieu après la Première Guerre mondiale et la cote du peintre monte principalement à New York, Londres et Paris.

En 1914, Johanna fait transférer la dépouille de Théo au cimetière d'Auvers-sur-Oise,  à côté de la tombe de Vincent. Un lierre, symbole de fidélité, pousse sur les deux tombes. Comme pour réunir les deux frères dans l'éternité, un lierre qui provient du jardin du docteur Gachet (1828-1909).

Colette Alice

Avril 2025