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La page d'Odile -La transmission

La Transmission


Il y a quelque temps de cela, une petite fille habitait le même village que ses grands parents.

Elle y passait après l’école, leur faisait un petit coucou et leur racontait sa journée, les copines… Pendant ces quelques minutes, elle dégustait les gourmandises que lui avait préparées sa grand-mère, elles avaient le goût de cannelle, de vanille et du regard sucré de ses deux aïeuls.

Elle y allait le mercredi pour partager le soin du jardin avec son grand père, glisser  les graines des futures fleurs dans des enveloppes pour l’année suivante. Elle avait appris, avec bonheur, à écraser les mottes de terre entre ses mains, à récupérer celles des taupes pour recouvrir les graines et chercher le trou par lequel elles avaient évacué leurs tunnels.

Le grand père lui dévoilait les trésors du sol, le travail des vers de terre, la vie des arbres qui devaient se séparer des feuilles à l’automne pour en refaire de plus belles l’année suivante.

Il poétisait la nature.

La grand-mère cuisinait avec discrétion, car jamais elle ne se vantait de ses réalisations mais les palais se réjouissaient de ses nombreuses gourmandises.

La fenêtre de la cuisine donnait sur le jardin et on sentait bien que même si l’activité était différente, l’harmonie et la paix régnaient.

 

Pourtant, un jour, la grand-mère s’assit dans son fauteuil et ne se releva plus jamais.

 

Bien sûr, la petite fille fut triste, pleura comme les adultes, se demanda qui ferait les gâteaux, qui dirait BRAVO  à Grand-Père quand il apporterait une botte de radis ou de carottes sur l’évier de la cuisine.

Elle le vit très malheureux. Ses yeux étaient toujours humides, son mouchoir en tissu toujours en main. Progressivement, il s’arrêta de regarder les fleurs, il oublia d’arracher les mauvaises herbes, il laissa les feuilles mortes au sol.

Ce n’était pas son habitude, ça ! se dit la petite fille. Elle réfléchit longuement, des bouts de nuit s’échappaient de son sommeil. Elle se dit que la mort de sa grand-mère affectait trop son grand-père et que la vieille dame n’aurait pas aimé.

Elle imagina que lorsqu’elle pensait à sa grand-mère, aux moments heureux, aux instants si drôles que son grand-père venait voir ce qui leur arrivait, aux minutes pleines de tendresse partagée, elle imagina donc que ces moments privilégiés issus de sa mémoire redonnaient vie à sa grand mère.  C’était  de jolies histoires qu’elle revivait et rêva que sa grand-mère venait les re-partager avec elle : la cuisine s’anima, la petite fille cuisina seule, enfila le tablier, remua les ustensiles … Son dynamisme et ses réalisations  laissa penser au grand-père, soit qu’elle était douée, soit que quelqu’un la conseillait. Il lui demanda comment elle avait réussi à faire les gâteaux de Grand-mère.


–  Mais elle était là avec moi. Je me rappelle de tout, elle m’aide, je pense qu’elle me parle, je crois qu’elle est contente de revenir dans sa cuisine, elle est avec moi, tout autour.


Le grand père, noyé dans son chagrin, fut surpris de la capacité de sa petite-fille et surtout, trouva l’idée de l’accompagnement imaginaire très heureux pour elle.


–  Elle est donc avec toi ?

– Ben oui, quand je pense à elle, tu sais, c’est comme si elle dansait autour de moi, toute légère. Mais si je n’y pense pas, parce qu’à l’école je n’ai pas le droit de rêver, elle est ailleurs. Elle est peut être près de toi. Tu ne la vois pas et si tu ne lui parles pas, en vrai ou dans ta tête, elle n’existe plus.                          

Alors, moi, je ne veux pas qu’elle n’existe plus. Je veux la garder au fond de mon cœur, tout près de ma tête, dans mes souvenirs, je crois qu’elle veut bien. Tu veux qu’on essaie ?


Le grand père souleva les épaules, se moucha fort et prit sa petite fille dans ses bras.


–  Allez Grand-père, rappelle toi un bon souvenir avec Grand-mère.


Le chemin fut long (l’homme n’approche pas ou évite ce qui n’est pas cartésien). Mais la petite fille prit la main de son grand-père et l’entraîna dans le jardin.


– Ben, Grand père, on n’a pas ramassé les graines de capucines ni les graines d’œillets. Grand-mère serait heureuse qu’on ait de nouvelles fleurs l’année prochaine pour les jardinières, tu te rappelles, on en avait parlé tous les trois. Grand-père, si Grand-mère voyait les herbes folles dans le potager, elle ne serait pas contente. Il faut qu’on lui fasse plaisir, je vais t’aider.


Progressivement, soit pour faire plaisir à sa petite fille, soit parce que celle-ci l’avait attiré dans son jardin secret (celui des souvenirs, de la tendresse et de l’affection), le grand père reprit goût à l’entretien du jardin. On l’entendit parler à voix haute. On se disait qu’il vieillissait…


– Mais non ! dit la petite fille. Il demande à Grand-mère si ça lui va et je suis sûre que Grand-mère est contente qu’on lui demande son avis et qu’elle me dise les recettes quand je les ai un peu oubliées.


En fait, elle n’est plus là mais elle est partout où on est.


Texte d'Odile

Sur une présentation de Ginette Flora

Avril 2025

© AKG-Images cimetière de Paul Klee

Reproduction d'Art



Notes


Nous avons le plaisir de présenter Odile Rousseau qui nous rejoint au salon littéraire et musical. Professeur des écoles, elle a tiré une grand enseignement au contact des enfants.

Depuis qu'elle jouit d'une retraite bien méritée, elle aime développer ses connaissances en couture en créant divers objets de décoration.

Mais laissons-la parler d'elle :

J'ai passé mon temps actif ( dit-on) en école maternelle. Si j'ai peut-être semé quelques graines, les enfants m'ont donné énormément en retour. Je suis heureuse et riche de ce vécu-là.
La retraite est pour moi un temps tout aussi actif, je suis auto-entrepreneur, je joue avec les tissus, je les respire, je les caresse et couds des sacs, coussins, tabliers... en fonction de mes envies.  
Quand  l'idée ou les évènements d'écrire me prennent, je suis absorbée et fais courir mon crayon à papier pendant des heures. 
Tout cela n'est que du plaisir.

Odile Rousseau, avril 2025


5 Comments


viviane parseghian
Apr 17

Bienvenue Odile et bravo pour ce joli texte, si doux d'imaginaire et de pensées vivantes ... tout se continue alors et c'est beau ❤️

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Bienvenue sur ces pages, Odile. Que de souvenirs je retrouve dans votre texte.

Merci pour ce beau partage !

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Merci pour ce message de bienvenue!

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De vous souhaiter la bienvenue, Odile ! ^^ Votre texte est tendre et fleure bon les souvenirs d'enfance ! Puis surtout, il nous rappelle que la première et véritable maison où résident nos proches se trouve être notre cœur ! ^^

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Merci pour ce message de bienvenue et le partage.

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