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L'île des vents et des pierres

Dernière mise à jour : 20 janv.


Les vents ont une place considérable dans la vie des insulaires de cette île battue par des vents aux noms mythiques. Quand Xaloc souffle en fourrageant les branches des pins maritimes, l'humeur des habitants s'en ressent. Ils scrutent la direction que prennent les géants de l'Aquilon, ils calculent le moment où leur vocifération aérienne s'affaiblira. Ils attendent le pire car Migjorn et Llebeig suivent avec une rage décuplée, porteurs des germes de la folie, disent les poètes qui en essuyèrent les gifles sur leurs pages en papier vélin.

Soudain le soleil non pas timide mais coriace, d'un seul enlacement, déboule pour étreindre toute l'île qui n'a de meilleure parade à offrir que ses rayons torrides. Toujours farouches comme sortant d'une guérilla sauvage et échevelée avec les huit vents de l'île.

Le soleil plonge ses dards dans la mer et en réveille ses couleurs, sa palette de bleu turquoise resplendit.

Le soleil dans toute sa radieuse opulence pour un ciel devenu aveuglément bleu, évince orages et vents hurleurs et pour l'heure décide de savourer sa revanche.

Le reste de l'île, c'est de la pierre, des roches, des falaises, des côtes déchiquetées par l'érosion et les coups de boutoir des bourrasques. Depuis l'âge de bronze, la culture talayotique en rappelle le souvenir par les constructions de tours et de nécropoles, en blocs de calcaire, les "marés" infaillibles que rien ni les âges ni les orages n'ont ébranlées. Les "navetas" sont des monuments funéraires en forme de navire tandis que "les talayots", autres constructions pierreuses sont des sépultures collectives de forme ovoïdale.

Le plus surprenant, qui impressionne et force sinon l'admiration du moins l'ébahissement, ce sont les nécropoles sous forme de grottes nichées entre les falaises et les criques, les fameuses hypogées. L'île est ainsi connue sous le nom d'un " gros tas de pierres", dénomination peu amène et qui peut rebuter mais les blocs massifs comme des silhouettes de mastodontes semblent occuper tout le paysage de l'île dans une tranquille assurance. Il faut s'en approcher pour voir surgir çà et là sur le sol rongé de sel, les constructions primitives, lourdes d'un temps qui a existé et qui en rappelle indéfiniment les origines. Puis plus loin au fur et à mesure que des pistes apparaissent, surgissent des tours circulaires, des cabanes à bestiaux qui sont comme des jalons sur une terre aride.

Quelques rares plantes s'efforcent de vouloir survivre en s'accrochant aux fissures, surgissant du sable après être allées chercher l'humidité en deçà de la terre. Des racines dénudées par les vents mordants se découvrent.

En tirant dessus, la racine ne rompt pas, elle se relève, elle se dresse. Elle montre le trajet qu'elle a fait, venant du plus profond du sol desséché, érodé par les vents. Vivant des embruns marins, les socarrells et la camomille de Mahon montrent leurs tiges verdâtres, aigue marine à peine serties de gouttes salées. Les espèces résistantes s'adaptent à la configuration des lieux et s'acharnent à vivre. Ainsi les joncs et les salicornes, les salsons, les alguers tapissent la rocaille. L'ail sauvage et les chardons rampent sur les passages en bois, les quelques planches équarries qui bordent les rivages.

Il y a une telle vie sauvageonne et farouche que nul n'ose en bousculer l'intime ordonnancement. L'ophryx, une orchidée endémique se couvre de nacre auprès des asphodèles mauves. Les pins d'Alep sont une variété qui poussent en pliant leurs branches pour former des arcades couchées sur le bord des balcons du vent, offrant un spectacle unique d'une flore sauvageonne. Les fleurs de champs frétillent jusque sur les sentiers côtiers des cavaliers qui, à petits trots, font ruminer à leurs chevaux le temps "poc à poc", celui qui s'écoule lentement. Et si les tours en pierre marquent leur territoire, la filaire à feuilles étroites se joue de la rude roche et s'infiltre entre les murets, au bas des abreuvoirs, des barrières et des puits.

Le grand éphèdre supporte tout, vent, sable, soleil, sol sableux, fortes et basses températures et l'armoise mange ce qui lui résiste. Les plantes drossées par le vent, brûlées par les embruns, aux racines apparentes viennent se creuser une place très profonde là où elles ont échoué et c'est comme si après avoir appris à vivre sur un sol hostile, elles ont choisi de rester dans l'espace qu'elles ont su dompter.


Au delà des falaises, des maisons aux façades chaulées de gréseux clair, ne craignent pas de rosir sous le feu du crépuscule particulièrement ardent dans cette partie de l'île aux criques protégées, à l'eau turquoise et si transparente qu'on s'y mire avec volupté car le visage qui se réfléchit sous l'onde est aussi pur et lisse que celui du jour. Puis un bateau passe, accoste et déverse son petit groupe de visiteurs. Rien de précipité, rien de nodosité dans le coeur, s'il palpite c'est de la joie simple de pouvoir s'agripper à un cordage, de s'y arrimer et descendre la frêle passerelle qui conduit à la crique. Le timonier assure que trois coups de corne signaleront l'heure du retour.

Si les arbres sont tordus par le vent, les espèces qui sont d'une croissance lente et de petite hauteur comme les tamaris qui ont un tronc court semblent échapper au passage des vents. Les caroubiers forment un houppier large que des feuilles persistantes conservent dans un état de vigueur à l'éventail perpétuellement ombragé. Et les dragonniers émeraudent les sentiers de leurs troncs trapus, de leurs feuillages étendus. Une légende est attachée à cette famille des plantes du dragon. On raconte qu'Hercule dut combattre un dragon pour pouvoir voler les pommes d'or du jardin des délices. Il tua le dragon d'un coup de flèche. En agonisant, le dragon laissa couler tout son sang qui alla fertiliser le sol et donner naissance à des plantes aux feuilles pointues.

Ce sont les oliviers sauvages, comme l'olivier borda, l'ullastres, qui comme les pierres reflètent le passage du temps avec leurs troncs replets, déformés, noueux et intensément reliés à une essence originelle.



Les nombreuses plantes de l'île ont des vertus thérapeutiques et sont mentionnées dans la culture populaire et traditionnelle.

Des liqueurs appelées "Hierbas de l'île" sont confectionnées à base d'extraction des arômes de diverses plantes dont chaque famille garde jalousement le secret. La plante phare étant la camomille, la santonina endémique de l'île. Souvent une simple infusion de la camomille ou de la verveine citronnée suffit à entrer dans un espace en lévitation !

Dans ma charrette, j'ai tout posé par bouquets ficelés, un peu de menthe sauvage, de thym et de romarin, d'aloe vera et de lavande et quelques plantes dont l'île s'est faite une réputation comme la Daphné Rodriguezii.


Le poète Ponç Pons, né à Minorque en 1956, et qui très tôt a découvert que son destin serait la littérature, exprime dans son œuvre lyrique "Illoman" le regard qu'il porte sur son île natale :

" Je suis un poète minorquin

Qui est exilé dans sa propre île

J'écris pour ne pas mourir

Comme Sabato, la solitude

Et aussi parce que c'est la seule manière

Que je connaisse de survivre "

"J'écris des vers qui nous ouvrent aux autres et au monde
Pour ne pas vivre enfermé dans l'espace d'un poème"

Ponç Pons, Minorque


Ginette Flora

Juin 2024

6 Comments


Colette Kahn
Colette Kahn
Jun 22, 2024

Merci pour ce très beau voyage, Ginette. Un voyage que j'ai parcouru avec, à l'arrivée, les deux derniers vers du poète Ponç Pons (une autre découverte pour moi !)

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Je suis bien contente que cela t'ait fait plaisir !

Belle fin de journée à toi, Alice .

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Fredoladouleur
Fredoladouleur
Jun 21, 2024

Un texte qui via de superbes photos et ta passion perceptible des plantes nous fait voyager de bien jolie manière ! Merci de nous avoir amené jusqu'à Minorque, Ginette ! ^^

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Une parenthèse salutaire qui dépayse où ne rien faire prend un sens insolite et surprenant !

Bonne fin de journée, Fred.

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""J'écris des vers qui nous ouvrent aux autres et au monde

 Pour ne pas vivre enfermé dans l'espace d'un poème" Que c'est beau !

Merci Ginette pour ce beau voyage ... ça me fait envie d'ouvrir les ailes que j'ai pas et de voler là bas... suivre le vent ! ..❤️


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Nous avons les ailes du vent et de l'imagination , cela peut suffire !!

Belle journée à toi , chère Viviane .

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