L'étoile de Babeth
- Ginette Flora Amouma
- 9 janv. 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 févr. 2023

Nous suivions notre étoile comme nous l’ont dit de faire Melchior, Gaspard et Balthazar que nous avons rencontrés à l’étable où dormait un nouveau-né.
Nous étions venus avec une adresse dans nos poches, nous cherchions à rejoindre le Sud de la France où nous avions une fête à préparer. Randolph, notre meneur avait tenu à emporter ses parchemins, ses boussoles, ses cartes complétées au fur et à mesure que nous avancions avec l’immensité galactique au-dessus de nos têtes et les étendues de prairies sèches devant nous. Fred, notre ménestrel suivait avec ses clefs et ses croches qu’il enfouissait dans sa lyre. Quand le vent voulait bien l’aider, il saisissait au vol les notes mélodiques et à chaque pause, nous le voyions s’efforcer de composer une ballade. J’avais une plume et un parchemin.
Les bergers ont été surpris de nous voir. Ils semblaient sortis d’un vieux codex, assemblage de scènes peintes au pinceau fin. Leurs bâtons de bois rêche, leurs longs manteaux de grosse toile et leurs bandeaux de tissu de lin qui couvraient leur tête les figeaient dans une posture quasi immuable. Une ceinture de cordons de gros fils retenait les plis de leurs vêtements.
– Décidément, c’est le jour des visites, dirent-il. Trois seigneurs sont arrivés cette nuit et vous maintenant !
Les bergers, entourés de leurs moutons nous racontèrent toute l’histoire, comment ils avaient suivi une mystérieuse nuit où les cris d’un bébé avaient déchiré le ciel, comment les ténèbres étaient éclairées par une étoile qui s’était immobilisée sur l’étable offrant sa clarté sur les murs chaulés de la vieille étable où un couple veillait sur leur nouveau-né.
L’histoire nous bouleversa et nous fûmes présentés aux mages. Eux avaient des présents de pure beauté, nous n’avions rien, quelques lettres de l’alphabet que je jonglais dans mes pensées pour en sortir quelques mots qui auraient fait plaisir à l’amie que nous allions visiter là-bas dans son beau pays de lavande et de roses. Fred avait juste le souffle coupé par le dénuement de l’endroit que des rameaux d’olivier couvraient de leurs majestueux rideaux vert céladon. Il vit le toit de rondins, il prit le museau d’un mouton dans sa main, le barde recevait l’inspiration brute, il s’en enveloppait. Nous savions qu’un chant allait surgir de l’émerveillement de ses yeux. Randolph cherchait à reproduire les paysages. Il voulait tout figer dans un cliché. Le mot lui était venu brusquement, il se posait des questions sur sa provenance, lui qui faisait des croquis de tout ce qui l’entourait. Il convenait que dessiner la jeune mère penchée sur l’auge auprès de son compagnon ne pouvait pas se faire en deux coups de crayon.
Il osa griffonner juste les traits essentiels, frustes mais précis de ce qui allait devenir un sujet très admiré. Randolph n’avait qu’un stylet, il cherchait à reproduire les paysages et les scènes de la vie extérieure. Il nous disait toujours que tout ne commençait que par le noir et blanc et que pour les couleurs, il fallait juste apprendre à contempler.
Et c’est ce que nous fîmes, devant tant de rayonnement, un âne qui mâchouillait, un bœuf qui sentait le bousin. Des bottes de foins accrochaient nos chausses et nos pelisses. Randolph trouva la scène très douce, empreinte de paix et de sérénité. Je le vis en faire un croquis.
– Ce sera mon cadeau pour Babeth, dit-il, concentré sur sa page.
Fred s’était agenouillé près de la mangeoire et commençait à gratter sa lyre. Il y mettait toute sa sensibilité de musicien passionné. Mes lettres s’impatientaient, quelques lettres pour composer mon message de vœux pour notre amie. Devais-je lui parler de notre long voyage depuis le Bosphore jusqu’en Judée et qui allait se terminer par le passage au large des îles de la Méditerranée ?
Les bergers nous dirent :
– Vous n’allez pas partir maintenant ? Reposez-vous d’abord. Il y a une sacrée trotte à faire d’ici jusqu’au sud de la France.
– On doit absolument y être dans trois jours et nous sommes déjà très en retard.
A ce moment de nos tergiversations, les trois personnages vêtus de capes de velours, de turbans dorés se mêlèrent à la conversation. Ils en avaient fini avec leurs génuflexions et leurs cassettes de myrrhe, d’encens et d’or qui s’en étaient allés rejoindre la paille et le foin. Les trois mages rajustaient leurs tuniques dotés de broches sur le revers des cols :
– Restez, on vous invite pour cette nuit sous notre tente. Demain, vous reprendrez votre route et nous vous donnerons un guide : l’étoile de Babeth vous guidera.
Perplexe, Fred l’était. Randolph se rongeait le crayon, ce qui était mauvais signe. Et moi, j’échafaudais mille possibilités pour résoudre les mystères : comment ces personnages connaissaient-ils le nom de notre amie pour baptiser ainsi l’étoile qui allait leur servir de guide ?
Fred dit :
– Les miracles, n’oubliez pas que c’est la nuit des miracles et c’est par un phénomène de visitations et de voix célestes que ces princes sont venus jusqu’à cette étable. Il est fort possible que des voix leur ont soufflé une autre mission à accomplir. Nous n’avons plus qu’à nous raccorder à cette autre voix pour nous mener vers Babeth. C’est le fil voyageur, c’est la route de la caravane sans point de chute.
Randolph dit :
– Peut-être que nous qui recevons cette offrande, nous aurons à propager la nouvelle. Nous avons de quoi raconter. Cette pérégrination va nous régénérer, c’est une marche qui va nous permettre de nous vivifier à la source des choses simples.
Moi, je ne dis rien, je trouvai que cela faisait trop de voix à écouter, trop d’indications de routes à suivre, trop de miracles ou de mystères à élucider. Mon vieux réflexe sceptique venait comme un serpent insidieux fausser la magie de notre escale. Je vivais un songe, celui d’une nuit où tout partait des profondeurs d’une pensée universelle qui nous incitait à accepter le scintillement des choses invisibles. Je me demandais si un tel prodige pouvait exister. Une voix vint me sortir de mes limbes :
– Oh, toi qui doutes, fais le voyage, fais tout le voyage et tu sauras que l’illumination est au bout de l’effort que tu auras fait.
Un éclair zébra le ciel, un doux chant s’étira dans le lointain. Je fus emportée dans une sorte de radieuse pensée.
La nuit chez les rois mages fut mirifique. Maintes fois, nous nous sommes demandés si nous ne rêvions pas. Le campement des rois ressemblait à une oasis féerique avec des tentes colorées. Un dôme brillant de soieries et de clinquants avait surgi de la terre humble et sèche de cet endroit du village isolé. Tout était beau, chatoyant. Les princes sortirent des mets rares et d’une saveur qu’il nous fallut apprécier, nous n’avions jamais mangé que nos pains et nos dattes. Eux, ils présentèrent du thé brûlant et parfumé, sept sortes de fruits, des galettes et des gâteaux confectionnés avec art : des cornes de gazelle, nous dirent-ils, des loukoum et des baklawa. Et sûrement un intrus en la présence d’une liqueur euphorisante car nous nous sommes endormis d’un sommeil complètement extatique !
Le lendemain, après les adieux et les dernières prières à l’enfant qui allait changer la face du monde, nous avons pris la route, celle de l’Occitanie où nous attendaient d’autres moments d’allégresse.
Notre voyage fut si riche en évènements que je pensai à ceux qui nous avaient précédés sur les routes bordant les côtes méditerranéennes, de la Turquie, puis de la Grèce où nous prîmes un bateau qui nous débarqua sur les côtes italiennes. Nous nous rapprochions de notre but.
Sur la voie Appienne, nous suscitions de la curiosité. C’est ainsi que les rencontres avec des pèlerins et des inconnus nous comblèrent de joie. Nous croisions aussi d’étranges personnes qui spontanément vinrent nous offrir qui, une flûte en os pour Fred, qui un papyrus pour Randolph et moi, des bardes avec leurs chants mélancoliques nous accompagnèrent et nous eûmes l’incroyable chance d’entendre réciter les chants somptueux de l’Odyssée.
Pendant trois jours et trois nuits, nous passâmes devant les villes de Neapolis, Roma et Gênova. Nous traversâmes les montagnes alpines en nous reposant dans les cabanes des bergers en compagnie de leurs chiens. Fred chantait sa composition, Randolph nous éclairait de son candélabre qu’il allumait dès que les premiers tours de la nuit se dressaient. Et moi j’alignais les mots dans un ordre chaque fois différent, recommençant sans me lasser de poser les mots qu’on allait dire à Babeth et comment on allait le lui dire.
Randolph avait tracé une carte et donné un nom à chaque raccourci que nous faisait prendre notre étoile à laquelle nous obéissions aveuglément. Lorsque les massifs montagneux de la France se profilèrent, nous fûmes soulagés d’être presqu’arrivés, nous étions fourbus mais heureux. Nous étions enfin arrivés aux portes du grand Sud. Après avoir quitté la via Domitia, nous avons pris un simple chemin, le CamiRoumieu. Suivre la côte méditerranéenne jusqu’au Gard en passant par Nissa et Massalia fut une découverte pour nos yeux admiratifs et après quelques heures, nous étions contents d’approcher la Tour des Pins et les remparts de la ville de Babeth. Suivre la côte méditerranéenne jusqu’ au Gard en passant par Nissa et Massalia ne fut qu’une bien bonne dernière marche qui nous attendait.
Je regardai Randolph et lui demandai :
– Qu’est ce qui nous permettra de dire qu’on est enfin aux portes de son village ? Babeth n’a jamais rien voulu nous donner quelque chose de repérable au premier regard.
Je voyais bien que Randolph devenait fébrile, froissait et défroissait une vieille carte. Il nous montra une croix tracée par un pèlerin sur le parchemin usé. La croix était entourée d’un cercle indiquant l’entrée de la ville.
Le cercle symbolisait l’arbre emblématique de la cité « Le cupressus dupreziana », le fameux cyprès du Tassili. Nous étions arrivés et au même moment, Fred s’écria :
– Regardez ! L’Etoile ! Elle se dirige vers les maisons ! Vite, suivons-là !

En nous précipitant dans les ruelles pavées, nous courûmes, surexcités et remplis d’une immense joie.
Lorsque l’étoile s’arrêta brusquement sur une petite maison, nous nous regardâmes, prêts à dire d’une même voix :
Bon Anniversaire, Babeth !
Chère Babeth,
Pour ton anniversaire le 9 janvier 2023, Randolph, Frédéric et moi-même, nous reprenons ce texte écrit l'an dernier pour te fêter un très beau moment de joie et de bonheur.
Que notre amitié si pleine de sensibilité , de connivence et de douceur dure toujours, c'est notre souhait le plus fervent.
Une année a passé et le quatuor est toujours aussi plein de ressources et de créativité.
Merci beaucoup pour vos vœux
Babeth
Chère Babeth,
Je réitère ici mes vœux de santé, de joie et de créativité pour ton anniversaire.
La chronique de Ginette est d'une exactitude confondante ! Que notre scribe chroniqueuse soit ici remerciée.
Pour les raisons que tu sais, mon parcours vers toi se fait lentement, d'autant plus que, comme chaque année depuis cinq ans, je fais un détour par le village de mon petit-fils né le même jour que toi .
Pour me faire pardonner ce retard ( j'ai failli ne pas venir du tout), je dépose quelques signes pour toi seule signifiants......
🥀🌷🌺🏵️🌻🌈🌞🎂🎊💝.
Ton ami Randy
Quel merveilleux texte et quel beau cadeau! Merci à vous trois, et Bon Anniversaire, Babeth!
Comment vous remercier pour ces mots qui me touchent infiniment
Merci d'être venus me voir
Le plus beau des cadeaux que vous puissiez m'offrir
Je vous embrasse très fort
Babeth
Un très joyeux anniversaire Babeth ! On sent à travers toute cette épopée la belle complicité du quatuor tellement apprécié par ceux qui ont la chance de découvrir vos œuvres.