L'olivier pensant

A l’extrémité de l’Italie, dans  ce qu’il est commun d’appeler le talon ou la botte de l’Italie, s’étend la région des Pouilles, le grenier agricole du pays, connu pour ses extraordinaires arbres centenaires voire millénaires. 

Dans la province de Tarente et dans la commune de Ginosa, un arbre fait sensation par le tableau qu’il donne de son tronc noueux. La torsion du vieil olivier fait penser à un visage de vieillard qui garderait près de ses racines,  des malles venant du fond de la terre.  

C’est   « el ulivo pensante »

Pour préserver sa sécurité et son bien-être, le lieu exact de son existence n’a pas été dévoilé. 

Les Pouilles, au Sud de l’Italie

Les Pouilles sont célèbres pour leurs oliviers centenaires. Ces arbres avec le temps sont devenus des sculptures et ont pris des apparences que la nature a modelées en les  secouant de ses violents coups d’orages et de bourrasques, les privant d’eau lors de périodes de sécheresse et en asséchant le sol qui empêche leur croissance normale.

 Les troncs noueux et les feuilles argentées de ces arbres leur ont donné  une réputation d’arbres remarquables  dont l’huile recueillie est devenue le symbole de cette région qui produit 40% de la production oléifère de l’Italie. 

Tous les peuples méditerranéens depuis les Grecs et les Romains, raffolent de cette huile qui fait partie d’une tradition  agricole dans le paysage économique de  cette région.

 Si la science a expliqué le phénomène naturel qui est à l’origine des torsions des oliviers, l’esprit des légendes s’en est vite emparé pour tisser de fascinantes histoires de combats entre les divinités agraires qui auraient tordu les arbres quand elles se sentaient frustrées ou quand elles s’enlaçaient trop fort dans les moments d’allégresse.

Entourés de légendes, ces arbres jouissent d’une indéniable curiosité et d’une authentique popularité. L’âge des oliviers, leur résilience, leur capacité à résister aux variations climatiques ont contribué à tisser autour d’eux  une symbolique qui les entoure d’un charme comparable aux contes qui essaiment la Méditerranée.  

L’olivier pensant  

C’est une merveille naturelle.

Ces arbres avec le passage des ans, sont devenus des sculptures vivantes. Leurs troncs sont tordus comme si un sculpteur s’est agenouillé pour tailler, creuser dans les écorces un vivant témoignage de l’être humain dans sa  continuité.

L’olivier pensant raconte une histoire. Le visage pensif du vieil homme qui retient auprès de lui ses malles comme si elles contenaient toutes ses années vécues dans la tourmente et la joie m’a complètement interpellée. Les malles de l’olivier pensant sont si riches des existences de l’être humain que l’on ne peut s’empêcher de nous pencher puis de nous agenouiller auprès de  cet arbre pensant pour apprendre à écouter son histoire.

Saisie, je me suis dit que l’histoire de chaque personne, c’est aussi l’histoire du végétal, comme c’est aussi l’histoire d’une flore exaltée, résistante et résiliente, capable de surmonter les épreuves et de les contourner. La terre laisse la vivante présence de ceux qui l’ont peuplée.

L’olivier de Ginosa a si longtemps vécu, assimilé tant de moments intenses, qu’il porte sur ses troncs sphériques les anneaux de sa culture.  

Grâce à lui, nous sommes médusés, bouleversés par le regard du vieil homme qui semble nous observer et nous enseigner la véritable odyssée du monde.

Le mystère des torsions

Pourquoi les oliviers se tordent-ils ?

Les études scientifiques s’accordent à dire que  la croissance de l’olivier est lente et que la torsion se fait avec le vieillissement et la pression atmosphérique amorcée par  les vents  ou la lumière ou la chaleur ou le grouillement des racines qui se divisent,  remontent  et  sortent de terre pour suivre le lent mouvement sphérique des troncs.

L’arbre instinctivement répartit son poids musculeux venu de sous terre et de sa croissance en largeur et non en hauteur, par des torsions qui lui permettent de ne pas basculer en avant.

La torsion est donc en tous points bénéfique pour l’olivier qui résiste à la volonté des caprices météorologiques en opposant sa volonté d’arbre précautionneux, soucieux  de préserver sa nature profonde qui est de vivre avec ce que la nature lui a donné  c'est-à-dire des racines qui s’étagent et suivent une  croissance sphérique.

Le sol est calcaire donc les racines se débrouillent pour survivre en ne s’étendant pas mais en se croisant et en partant vers le haut.

L’olivier pensant est donc devenu un symbole de force, d'intelligence intuitive et de résilience face au passage des ans.

 « Les malles tordues »  des oliviers   sont considérées comme la métaphore des difficultés et des triomphes de la vie.

 La torsion n’est pas une déformation mais un mécanisme de survie de l’olivier.

Néanmoins malgré sa résilience et ses nombreuses qualités, l’olivier souffre depuis quelques années  d’une maladie bactérienne qui l’affaiblit.

Les troncs tordus sont aujourd’hui menacés. Les troncs en spirale stockent de l’eau dans leurs cavités. Or les bactéries qui rongent l’écorce obstruent  les tissus conducteurs d’eau  et entraîneraient la mort à longue échéance car elles  empêchent le stockage de l’eau donc de l’alimentation de l’arbre. Des efforts et des moyens de préserver les oliviers sont étudiés pour assurer leur longévité.  

 Art et légendes

C’est dans les arts et la culture populaire que l’olivier connaît ses plus beaux moments.

L’olivier et son apparence si particulière  a inspiré poètes, peintres, sculpteurs et écrivains.

Le bois a servi de matériau pour la fabrication de meubles et de menus objets d’artisanat.

Une légende tenace raconte que les divinités de la sylve poétique tordent les arbres pour exprimer leur colère, leur tristesse ou leur joie.

De mauvais esprits viendraient également anéantir l’olivier qui prendrait trop de place dans le cœur des humains.

Ces  bisbilles ajoutent au grand mystère des oliveraies des Pouilles.

Les oliviers symbolisent le lien entre la nature et la culture de cette région et force est de constater combien ce visage nous renvoie à l'extraordinaire capacité de la terre et de ses habitants, minéral, végétal, animal, humain de s'adapter et de se défendre face à l'adversité.

Dans vos malles, homme-olivier, que nous ferez-vous découvrir ?

Et comme je suis émue de savoir que mes malles

viendront un jour rejoindre les vôtres !

Ginette Flora

Novembre 2024