L'œil du micocoulier de Provence
- Ginette Flora Amouma

- il y a 8 heures
- 5 min de lecture

©- Peinture de Babeth Louisa - arbre de Provence
C’est ma première étrenne d’automne que j’ai trouvée en brassant les feuilles rouges qui se blottissaient au pied des sapins. Le vent était là aussi, ce matin et elles ne voulaient pas être emportées avant de m’avoir livré une feuille rose cendré qui disait en pointillés :
« Le micocoulier qui est devant ma terrasse a encore beaucoup de feuilles et finira de les perdre avant Noël !
Je voulais te parler de cet arbre du Midi qui pendant un temps a été remplacé par les platanes car ils deviennent très grands et ne peuvent pas être taillés ou très peu !Mais depuis que les platanes notamment ceux du Canal de Midi ont dû être arrachés pour cause de maladies, on a repensé aux Micocouliers qui produisent de tout petits fruits que les petits enfants et les oiseaux apprécient.
Dans la cour de l'école de mon village, il y avait des micocouliers et nous en faisions un régal comme des affamés. Les garçons gardaient les petits noyaux qu'ils mettaient dans le tube des stylos et le lançaient entre eux ou sur les filles Chaque vieux village avait ses micocouliers sur les lieux stratégiques : places, boulodromes, devant l'école, devant la mairie. Ces arbres peuvent devenir très beaux.
C’est mon idée de ce matin. (Babeth Louisa)
C’est un bel arbre d’origine subtropicale, au feuillage caduc, d’une couleur vert émeraude qui prend une forme arrondie et s’étale amplement à mesure qu’il arrive à maturité. Son écorce grise, en noircissant avec les ans, porte des protubérances comme des marques d’usure mais à quelle blessure renvoie chacun des moignons que l’on peut voir sur l’écorce écartelée ? Un micocoulier est un mot provençal qui signifie « arbre ». Ses fleurs donnent naissance à des fruits appelées des micocoules, comestibles et de couleur violet sombre quand ils arrivent à maturité. Les fruits, régal des oiseaux, nous offrent leur goût de datte quand ils sont utilisés en boulangerie comme en pâtisserie et leurs confitures couvrent les étals des marchés de Provence. Le micocoule est peu utilisé dans l’alimentation et peu connu. Pourtant il est riche en valeurs nutritionnelles.
Le micocoulier de Provence a besoin de chaleur et d’humidité. Il peut pousser dans les sols humides comme dans les sols pauvres. Il est capable de supporter le froid pas autant que son cousin de Virginie aux Etats-Unis qui lui, résiste à des températures très basses. Cet arbre se retrouve plus loin que sa zone géographique. Implanté dans la France, on le rencontre aussi en Occitanie, dans l’Hérault et le Gard. On le voit grandir aussi en Inde et il s’est implanté le long de l’Himalaya.
Ses feuilles deviennent jaunes en automne, son feuillage luit d’un éclat qui le rend mystérieux. C’est l’arbre fétiche de la Provence. Il voisine avec le platane et le marronnier. Il est planté en ville, dans un alignement propice à donner un ombrage bienvenu pendant les fortes chaleurs. C’est aussi une plante d’ornement car elle déploie avec majesté sa haute taille en s’élançant vers les hauteurs.
C'est un arbre qui remplace souvent les arbres malades comme les ormes et les marronniers.
Les plus âgés sont classés « Arbres remarquables ».
Le bois de l’artisanat
Son bois est utilisé pour fabriquer des cannes, des cravaches, des fourches, des manches de fouet et des manches d’outils. Ses racines permettent de fabriquer de la teinture jaune.
Il existe à Perpignan, dans la commune de Sorède, un atelier qui travaille le micocoulier comme on le faisait au XIIIème siècle. Il a la particularité de faire perpétuer ce métier d’art par des personnes en situation d’handicap qui se passionnent pour un bois reconnu pour ses vertus de souplesse et de résistance.
« Nous utilisons l’aubier, la partie située au cœur de l’arbre, pour confectionner nos cravaches. Une scie à ruban nous permet de suivre le fil du bois, pour que la fibre ne casse pas. Puis à l’aide de machines, nous rendons le brin conique et cylindrique », explique le responsable des usagers de l’atelier.

© Pyrénées orientales - atelier bois de micocoulier
En parlant de bois, c’est faire un beau voyage que de lire le livre de Patrick Verlinden qui parle du bois comme présence immuable dans nos vies. L’auteur nous invite à une randonnée où il est question du bois dans tous les aspects de notre vie quotidienne, dans l’habitat, dans les objets, les forêts, la décoration, l’usage de toutes les parties du bois, écorce, aubier, racines, branches, le bois comme l’œil fixé sur chacun de nos gestes nous rappelant qu’il est le symbole d’une force où s’emmure une extraordinaire foi dans la nature.
Le bois charpente de nos vies
de Patrick VERLINDEN, Editions les 7 collines, 2010

© www. provence 7.com – tout sur le bois
Un peu de littérature et de musique
Frédéric Mistral
Quand on parle de la Provence, il nous vient à l’esprit dans l’instant le nom de Frédéric Mistral qui évoque les micocouliers dans son poème épique Mireille (1859).
Dans le chant 9ème : Le mas des micocoules ( extrait)
L’assemblée
Les grands micocouliers pleurèrent
Affligés, s’enfermèrent
dans leurs ruches les abeilles, oubliant le pacage
Plein de tithymales et de sarriettes
Avez-vous point vu où est Mireille ?
Demandaient les nymphéas
Aux gentils alcyons bleus abonnés au vivier. (F. Mistral)
Le micocoulier comme le platane est l’arbre emblématique de la Provence. C’est un arbre à sieste, surnom affectueux qu’on lui donne car son feuillage étalé, arrondi procure un ombrage très appréciable en des lieux aussi ensoleillés que sont les villages de Provence. Sur les places des villages, les micocouliers sont centenaires.
Lévon Minassian ( né à Marseille en 1953)

© œil de micocoulier - photo google
Il est d’origine arménienne. Il joue du duduk, un instrument ancien, emblématique de la culture arménienne. Le duduk est pour lui la voix intérieure d’une âme.
Comme tout ce qui est attaché à un lieu, que ce soit un arbre, une bâtisse ou un arpent de terre, le duduk est l’instrument qu’il découvre dans son enfance. Tout se met à prendre forme. Dans son subconscient, la musique venant du duduk le révèle. C’est pour lui l’expression de son identité.
Le son particulier que rend le duduk, élégiaque, nostalgique, devient l’épanchement lyrique d’une pensée qui lui est propre. Il souhaite faire entendre une voix humaine à travers une nature qui se renouvelle toujours belle et intacte. Le murmure des vents, l’âge des arbres, une vie à qui il confie sa vie humaine dans les jours traversés avec douleur, étonnement, joie et incrédulité, c’est ce qui importe.
De ce voyage, il en fait d’abord le difficile apprentissage en apprenant la technique de l’instrument. En partant chercher des enseignements dans les lieux de ses origines, Il comprend pourquoi il porte un appel secret en lui, c’est l’appel du Dle yaman, cet hymne aux montagnes de l’Arménie.
Pour lui, quand il chante ou quand il compose, c’est plus qu’un art, c’est un besoin, c’est le lent cortège de ceux qui ont vécu et qui n’ont rien pu transmettre hormis le passage d’une vie anonyme.
En jouant de son duduk, Minassian révèle la quintessence des éléments qui durent.
Le micocoulier a 600 ans, le platane, le marronnier, l’olivier, tant d’arbres remarquables traversent le temps.
Le musicien prolonge une vibration. Elle est aussi prégnante que les profondes racines du micocoulier.
C’est la beauté qui demeure, c’est le vent d’ailleurs, le souffle parti rejoindre cet ailleurs, brisant les fragments du temps :
- D’où vient-elle, avons-nous un passé, un vécu ?
- Où va-t-elle, pourrons-nous vivre d’un temps qu’on imagine ?
- Que fait-elle quand elle nourrit notre âme présente d’une mélancolie qui abolit toute haine et tout renoncement ?
Minassian après une longue route où il se fait connaître par ses compositions qui touchent notre être intérieur, où surtout il apprend à maîtriser son instrument, est remarqué. Il donne des concerts, reçoit des commandes, collabore aux projets des arts scéniques.
Comme si l’œil du micocoulier l’avait suivi, accompagné, encouragé à exister.
Les critiques musicaux s’accordent à dire que l’œuvre de Minassian dépasse les attributs d’une culture folklorique et s’enracine davantage dans ce mystère qu’est l’humain.
Sur une idée de Babeth Louisa
Chronique de Ginette Flora
Décembre 2025




Commentaires