Charles-Ferdinand Ramuz
- Ginette Flora Amouma
- 7 avr. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 janv.
Ramuz est un poète, un écrivain, né à Lausanne en Septembre 1878, natif de ce pays de Vaud en Suisse qu'il dira toujours qu'il est aussi français que peut l'être une commune des bords du Rhône.
Après des études en lettres classiques, il enseigne au Collège de la commune suisse d'Aubonne et se met à composer des poésies, des sortes d'églogues que l'homme épris de paysages naturels s'attache à exprimer dans un style nourri au seigle de la terre.
Ramuz n'oublie pas qu'il a des racines vigneronnes et paysannes.
Il se veut et se voit écrivain. Il part pour Paris faire une thèse sur Maurice Guérin, un poète français mort prématurément.
Il décède en Mai 1947 après avoir fait pour seuls voyages, des déplacements fréquents à Paris où il a étendu sa carrière littéraire et noué des amitiés solides et pu faire d'étonnantes rencontres comme celle de Henri Pourrat, écrivain auvergnat.
Le petit village
A 20 ans, il est à Paris pour sa thèse qu'il abandonne en cours d'étude quand il découvre et explore les racines de la langue vaudoise en s'intéressant aux lettres classiques. Les particularités de la littérature écrite grecque l'interpellent : le récitant qui prend la place du narrateur pour présenter des tableaux de vie lui ouvre des perspectives novatrices pour sa recherche stylistique. Son travail d'écrivain commence.
Il s'essaie d'abord à la poésie. Il le dit lui-même :
"Il n'y a plus de solitude là où est la poésie. "
"Et il n'est d'éternellement neuf que l'éternellement vieux. "
Ses premiers recueils de poésies comme " Le petit village", " Les pénates d'argile " expriment tout son attachement pour sa terre et ses donations naturelles.
A la lisière de la chanson, ses poèmes, il les veut ruisseler comme une source vive, il les entend comme le pépiement des grives, il les fait masser comme la caresse du vent sur son visage.
Et c'est "Le chant du Rhône ".
Son style est très peu orthodoxe. La phrase de Ramuz rase la prose, se découpe en tronçons à vif, l'agencement est insolite.
Mais Ramuz répond qu'il écrit pour répondre à lui même, à ses appels intérieurs et la critique se tait.
Cette fréquente observation du pont qui le sépare de la prose à la poésie lui fait un jour trancher le dilemme. Il écrit des poèmes en prose.
Un profond attachement à la terre invincible, à la permanence des saisons, aux paysages toujours pareillement renouvelés lui font prendre conscience combien l'homme est éphémère.
Il mène une double vie entre Paris et la Suisse.
La guerre est un sujet qui lui fait redouter le destin de l'homme pour qui il espère une paix durable, aussi cyclique que peuvent l'être les saisons et les jours.
Vœux pieux qu'il égrène comme on sème le grain en terre et c'est " L' histoire du soldat" et c'est " L'hommage au major ".
Et puis il se lance dans le roman :
" Aline "
C'est son premier roman. Il aborde le thème qui nourrira toute son inspiration littéraire. Le thème de la femme abandonnée, de la fragilité qui peut mener à la plus atroce violence quand dans un sursaut d'absence totale de discernement, l'être humain chute dans l'acte irréparable.
Il sonde les destins écrasés par des sorts funestes qui les égarent. Ce sont les thèmes de la tragédie grecque. Ses personnages sont raciniens. Son style prête déjà à controverse.
Il écrit "Le village dans la montagne"
"Jean-Luc persécuté ".
"Aimé Pache", destin d'un peintre
"La vie de Samuel Belet "
Il éprouve le besoin de cerner d'autres formes d'art comme la peinture et le cinéma pour redéfinir l'écriture du roman.
Avec la guerre, il quitte Paris et s'installe à Lausanne.
Puis après avoir décrit ce qui est particulier à un individu, à une destinée, il s'échappe vers les hauteurs et explore l'infini, l'immensité.
" La présence de la mort "
"La paix du ciel "
"La punition par le feu "
"Salutation paysanne "
"La grande peur dans la montagne", l'histoire d'une catastrophe naturelle.
Il s'interroge sur l'au-delà.
A partir de 1924, il signe avec les Editions Grasset ( et ne rejoint pas Gallimard ). Il est invité à des salons littéraires, ce qui lui permet de se replonger dans les milieux des lettres françaises et de rencontrer Jean Giono, Louis Ferdinand Céline entre autres. Il reçoit plusieurs prix.
En 1926, lors d'un séjour en Auvergne, il est mis en présence de Henri Pourrat l'écrivain et poète du terroir, du peintre Henri Bischoff, du poète Charles Forot. Son écriture s'affirme et même si son style fait tiquer certains puristes, il a conservé ses fidèles lecteurs. Il laisse une marque importante dans la créativité de Jean Giono, Henri Pourrat et L.F.Céline qui lui doivent beaucoup car ces derniers ont su reconnaître les potentialités de la technique narrative de Ramuz.
Il écrit :
" Derborence"
"Le garçon savoyard"
"Si le soleil ne revenait pas "
Le cinéma adapte un de ses romans " La séparation des races" qui prend le titre de "Rapt" sur l'écran.

A la fin de sa vie, il entre dans une période de doute et de souffrance. C'est la guerre en Europe et la maladie l'affaiblit de plus en plus. Il écrit sur les évènements qui ravagent le monde et il cherche à nourrir son âme de son regard poétique posé sur la nature, la vaillance des gens simples, la vie immuable dans ses harmonies quotidiennes.
Il écrit "Adam et Eve".
Il meurt en 1947 marqué par la maladie et le désarroi qui l'obscurcit d'observer la cruauté humaine.
Seuls les romans après la période de la poésie, l’ont tenu éveillé au bord du regard poétique qu’il pose sur les gens simples :
" Tout le secret de l’art est peut-être de savoir ordonner des émotions désordonnées mais de les ordonner de telle façon qu’on en fasse sentir encore mieux le désordre.
Etant l’impression passionnée de la vie, les arts ont pour fonction de nous mettre devant la vie dans un état passionné."
Il a voulu aller jusqu’au bout de lui-même. En voyant le champ de bataille et le combat des hommes, il se veut lui-même partir et se nourrir de lui-même et voir l’eau bondir sur les collines pour ne pas voir les horreurs de la guerre.
Il dit :
" Qu’il n’y ait plus rien du tout
Afin que quelque chose soit "
La langue littéraire de Ramuz
Ramuz écrit en langue française mais parle en langue suisse romande, une langue qu'il ne cesse de revendiquer et de pratiquer, cette langue qui le rapproche du labeur artisanal, du monde rural. Il associe l'encre, la plume et le papier aux différentes pièces d'un matériau qui le rapproche de la paysannerie.
Et c'est ainsi qu'il voit l'écriture.
Il utilise le parler vaudois et c'est autour de cette prérogative que s'installe la polémique. On lui reproche d' " écrire exprès une langue incomplète "
Le style de Ramuz est pointé du doigt car c'est "une langue geste". Sans tomber dans le patois régional, Ramuz va chercher dans les écrits grecs donc classiques les preuves de sa justification créative.
En présentant des tableaux de la vie paysanne et communautaire des gens de la montagne, il explique qu'il s'approche davantage de leurs préoccupations. Il adopte le souffle de leurs émotions, de leurs inquiétudes. Le récitant comme dans les tragédies grecques a pour mission de parler pour le personnage et ce langage est rythmé, décousu, coupé, fait d'interjections et de reprises. C'est un style personnel issu d'une réflexion sur la langue vaudoise.
Il innove pour permettre un passage dans la langue du signe, d'un langage qui instaure une proposition narrative autre. Il invente à dessein un décousu représentatif, il fait surgir des voix et c'est la confusion pour la compréhension du discours narratif. Il multiplie les points de vue et cerise sur le gâteau, il rompt avec la temporalité classique et si on entre au présent par une porte, on en ressort dans le passé par une lucarne et c'est à peine si on peut concevoir un embryon d'un temps futur. Il entre quand il veut, il sort par où il veut et on ne sait qui possède la clé de ces ouvertures. Ce sont des techniques qui seront reprises par les représentants du "Nouveau Roman".
Cette démarche lui vaut l'hostilité des puristes.
Mal compris, auteur rustique, romancier de la montagne, il est peu lu, peu recherché car il brise les codes ordinaires de la narration littéraire, ce qui explique l'isolement de l'écrivain et le silence autour de son œuvre. On ne le réédite pas, on ne le lit pas.
En 2005, Ramuz fait son entrée dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade des Editions Gallimard qui publie ses vingt-deux romans et ses poésies.
Les thèmes de la nature, de la paysannerie, de la fatalité, des forces du mal, des combats, des défis qu'il faut sans cesse relever occupent la majeure partie de la réflexion de Ramuz.
Sa langue étonne. Est ce une forme de poésie rurale ? C'est de la prose poétique et c'est une découverte.
On est comme devant un tableau, on voit des couleurs, des lettres, des mots qui apportent une chaleur humaine, un indice de l'existence d'une humanité dissimulée.
Ginette Flora
Avril 2024
Pour moi tes malles sont si riches de découvertes... merci, chère Ginette !
Ginette, j'aime beaucoup cet auteur et je le redécouvre avec toi, en me disant qu'il n'est pas assez reconnu ... Merci de lui donner de la lumière avec tes mots ! ❤️