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Amaryllis

Dernière mise à jour : 28 janv.


Il n’en dormait plus. Elle lui donnait du fil à retordre. Quand il était assuré qu’elle se mettrait tout soudain à resplendir, il constatait amèrement qu’il n’en était rien, que la racine avançait pour reverdir mais que le bulbe qui commençait à germer, s’était subitement fermé à toute éclosion. Il s’était trop penché sur elle, se gourmanda-t-il, laissant ses multiples pensées s’égoutter au bord de la crevasse sableuse qu’il avait arrangée pour elle.

Il lui avait pourtant tout apporté, engrais, fumure, écorces et gazon coupés, compostés. Il avait éloigné d’elle tous ses outils de jardinier maniaque et chevronné, friand de tous les derniers modèles du parfait ensemenceur, lui qui n’avait qu’un petit jardin à entretenir. Il avait senti la tige frémir quand il s’était approché avec son sécateur. Il y avait eu un silence, le temps s’était figé, il était sûr qu’un cri vite maîtrisé l’avait perturbé.

Il avançait sa main délicatement depuis la mésaventure dont il ne s’était pas remis. Il avait détesté la voir se recroqueviller, l’image n’avait cessé de le tourmenter quand la nuit le jetait dans ses labyrinthes. Ce fut le premier accord de la partition qu’ils apprirent à écrire ensemble. Lui, l’entourait de ses soins attentifs et elle, apeurée un moment, se laissa faire et s’épanouissait de toute sa coloration carminée.

Il avait consulté tous ses manuels et tout ce qui pouvait être consigné sur elle. Il avait compulsé les divers documents qu’il recevait pour ses propres travaux, assuré d’avoir tout assimilé et chaque jour, la retrouvait avec un millième de joie supplémentaire car il avait appris un peu plus sur elle au milieu des pages glacées des catalogues qu’il avait commandés.

Son jardin faisait l’orgueil du quartier, chaque fleur poussait de façon éblouissante, éclipsant les jardins voisins. Devant son grillage, on entendait les commentaires prolixes des passants. Agacées ou dithyrambiques, les remarques dénotaient un grand intérêt pour le travail de Victor. Les ménagères n’hésitaient pas à écarter les pampres de la petite vigne qu’il avait laissé frétiller sur le fil de fer barbelé. On les sentait humer l’indéfinissable fragrance que renvoyaient les frissons des roses dans leur soupir vespéral. Ce n’était pas de la curiosité, disaient les plus prompts à tempérer leur attitude quand ils se laissaient remplir d’une perplexité qui les retenait. On eût dit que des paroles circulaient dans l’air devenu moite. Emportés dans le mouvement d’une symphonie, les promeneurs se tendaient pour éclaircir leur regard, accroître leur ouïe et capter le message qui envahissait l’espace. Chacun se sentait concerné, invité à entendre un son, qui, de timide devenait audible quand, prenant le pli de s’attarder devant le portail, les voisins se recueillaient et Victor ne disait rien. Il comprenait qu’une offrande ineffable flottait au-dessus de sa maison.

Même les enfants découvraient le monde des fleurs et s’extasiaient devant la profusion de couleurs sur les massifs épais, les bordures débordant sur les dalles leur trop plein de renoncules. Sa collection de jarres anciennes dissimulaient leurs fissures devant les pervenches qui s’échappaient et couraient ramper hors du cocon maternel.

Victor n’avait pas voulu d’un jardin aux lignes géométriques, il comptait sur les plantes ligneuses pour apporter un peu de créativité dans le paysage, un peu de sauvagerie aussi, un peu de cette liberté mauve et rose qui le titillait, un engorgement de pensées et non un alignement strict de notes pures et dures.

Il avait cherché à marier les deux genres, il se sentait sobre jusqu’à la pureté mais s’il ne pouvait laisser en friche son esprit rigoureux, il ne pouvait pas non plus ignorer les soubresauts de son cœur ardent.


Elle l’avait senti, elle, à la minute même où il avait posé son regard sur les étamines. Elle l’avait vu craindre de les abîmer mais elle l’avait vu aussi attiser tout le feu qui couvait au tréfonds de sa propre membrane poreuse.

Il observait les racines et le trajet d’enfouissement des quelques rondins de bois dans les fissures des rocailles, la tonnelle qu’il avait aménagée autour d’elle. Les plantes choisissaient leur terre, d’instinct contournaient celles qui ne partageraient pas leur litière.

Il ne rempotait pas, ne voulait pas de fleurs dans sa maison ; il les voulait libres de choisir leur lieu de repos dans une nature laissée à leur imagination.

C’était cela l’esprit des fleurs, il en avait recueilli la quintessence. Le matin, quand il s’approchait d’elle, elle semblait lui dire qu’il n’avait pas à les réveiller brutalement en de longs jets d’arrosage. Elle lui disait que ses voisines plus timorées, n’osaient pas s’en offusquer mais qu’elle entendait les elfes des épimedium sous les arbres et au pied des haies se concerter et ourdir un mauvais complot pour le renverser.

Un sourire lui venait alors, il entra ainsi dans son jeu, éprouva de plus en plus le besoin de lui donner un regain de confiance. Il avait compris que le coup de l’arrosage ne convenait pas aux jouvencelles de la nature. Il avait pris le pli de venir à elle en l’aspergeant d’une légère brume de fines gouttelettes d’eau autour de ses ombelles ondulées.

L’exercice demandait de la concentration, du temps et de la patience. De l’attention, c'était ce qu’elle souhaitait pour elle et ses compagnes mais un peu plus pour elle qui savait s'apprêter pour le mettre dans tous ses états. Très souvent, elle le préoccupait, son visage aux expressions si changeantes le rendait perplexe, il connaissait les rides de son humeur.

Victor ne pouvait pas quitter son jardin sans lui avoir dit ce qu’elle voulait entendre, qu’il ferait beau le jour présent, qu’il ne lui arriverait rien, qu’elle pouvait s’épanouir et vivre de son antique sagesse. Il ne voulait pas qu'elle se mette à bouder, il avait bien conscience que de l’aimer la remplissait d’une joie dont elle ne pouvait plus se passer et que cette joie le remplissait lui-même d’une douce chaleur ouatée.

Il était souvent abordé par les villageois qui s’arrêtaient, prenaient le temps de lui demander des conseils, ses petites astuces de jardinier avisé mais le temps, il n’en avait plus, le temps pour lui, c’était de s’occuper de ses fleurs. Hormis le fait que son métier de jardinier embellissait aussi ses journées dans la jardinerie de la commune, il ne perdait jamais une occasion d’aller étendre ses connaissances en lisant des ouvrages spécialisés sur le monde végétal.

Quand il découvrit le problème avec cette nouvelle fleur, il ne comprit pas tout de suite ce qui manquait à cette fleur rouge aux boucles épaisses. Il la soignait mais il devait convenir qu’il la soignait différemment et venait vers elle comme s’il franchissait une frontière après avoir satisfait à tous les contrôles de sécurité.

Elle venait d’ailleurs.

On lui avait dit que le bulbe en question avait été trouvé dans un caisson et se trouvait par erreur parmi les lys. Chose étrange, personne n’osait la toucher. Munis de gants et de pinces, les artisans l'avait séparée de ses congénères et posée dans un pot rapidement rempli de terreau et de sable puis on l’avait oubliée.

Victor s’en était chargé et l’avait ramenée chez lui parce que personne n’osait l'entretenir, arguant que des rumeurs circulaient. On parlait d’elle comme d’une plante toxique.

Il ne s’était pas arrêté sur ce jugement ni sur l’aspect maléfique du bulbe. Il en était attiré. Il lui avait semblé dès le premier regard qu’elle l’observait, le priait de ne pas se laisser hâtivement circonvenir par ce qu’on lui disait d’elle.


Ce fut ainsi que les deux amis restèrent ensemble, sans pouvoir se quitter, lui la couvant de tous ses soins, elle lui montrant combien elle aimait le sentir auprès d’elle. Plus d’une fois, il l’avait trouvée étourdie, à peine réveillée. Il s’était aperçu que ses états d'âme coïncidaient avec les jours où il devait s’absenter et ne pouvait lui prodiguer son arrosage régulier, celui du matin et celui du soir, les deux visites qu’elle semblait attendre. Il la retrouvait s’élançant de toute sa hampe souple, dardant ses ombelles aiguisées où des fils dorés illuminaient sa mine habitée par une pensée. Elle pensait, elle se retenait sans cesse d’en parler. Il se disait que c’était lui qui savait la lire. Et tous deux, secrètement effondrés, reprenaient leur vie d’un même insoutenable élan. De l’automne au printemps, il veillait à sa floraison. Ils s’attardaient dans leur parloir et tout autour d’eux, les plantes se taisaient, les elfes du bout des épimediums observaient le travail de l’homme et de la plante, perdus dans un silence que le vent chapardait. L’air se condensait comme si des mains se joignaient. On les entendait parler, quelques mots passaient entre leurs lèvres entrouvertes, cela venait de plus loin que leurs fronts penchés et lui-même parfois se demandait qui les avait prononcés en premier, ces mots qu’ils ne se lassaient pas de redire.

Parce qu’il pensait que ses montagnes lointaines lui manquaient, il se mit à cultiver d’autres espèces végétales de sa lointaine province. Il pensait qu’elle serait heureuse de rencontrer des plantes de son pays. Malgré ses efforts, il s'aperçut qu'elle ne semblait pas manifester un quelconque intérêt aux nouvelles cultures de Victor. Il sentait son souffle auprès de lui comme si elle lui disait qu’il lui suffisait, qu’elle devenait toute entière quand il s’occupait d’elle. Il sentait monter un certain reproche quand il s’éloignait pour nourrir ses autres plantes. Qu’était-ce donc cette parade où il cherchait à lui donner ce qu’elle désirait quand d’un geste réfléchi, il enlevait les feuilles jaunies non pas pour les abandonner mais pour les enfouir à ses pieds ? Elle connaissait son pas, il arrivait sans l’effrayer, s’assurait qu’il faisait le même pas que la veille, qu’il n’arrivait pas trop près mais suffisamment pour que dans son regard, elle put y lire toute sa dévotion. Le silence régnait, résonnait une fois de plus mais au beau milieu du jour aux tangos effrénés, leur silence bruissait pour eux deux comme une sonate qu’il aimait.


– Ce que je ne comprends pas, c’est son nom. C’est bien de l’Amaryllis du Népal dont vous parlez ? Elle est réputée pour être toxique mais surtout elle traîne une longue histoire de sorcellerie. Elle a été maudite par des divinités qui l’avaient éloignée. Elles lui ont jeté un sort. La malédiction qui pèse sur Amaryllis, c’est d’être toujours séparée de celui qu’elle a préféré suivre, elle est le présage de mort. Elle est sous le coup d’une terrible prédiction : elle passerait sa vie à se faner pour avoir osé voir un ami à qui elle ne pourrait jamais montrer sa floraison. Et tous deux errent à vouloir chercher le lieu, le moment inépuisable où ils pourraient se réunir.

– Une légende, ce n’est qu’une légende qui varie selon qu’on passe ou non les frontières, dit Victor

– C’est une histoire sans fin et l’allégorie de la fleur qui s’éteint avant les feuilles et qui vit quand les feuilles tombent est un véritable mélodrame.

– Deux elfes devaient veiller sur cette plante, veiller sans s’attacher l’un à l’autre. Or les deux elfes faillirent à leur travail et furent séparés.


Le directeur de la jardinerie ne voulait pas renoncer à son idée. Il était convaincu que la légende se répétait :


- C’est une histoire qui se renouvelle. Il y a quelque chose qui se répète dans votre histoire. Vous me parlez de votre Amaryllis comme d’un bien précieux. Vous savez ce qu’on dit ?

– Non, je ne veux pas le savoir.


Victor resta longtemps le cœur serré. Peu importait ce qu’on disait. Il ne pouvait pas croire à une légende.

Amaryllis baissa ses pétales et commença à se faner. L’histoire était venue à ses étamines. Victor connaissait son secret et la peur s’empara d’elle.

« S’il allait fuir, si je n’étais plus pour lui qu’une plante toxique condamnée à fleurir au bord des routes et des cours d’eau ? Et s’il apprenait que je n’amène que la mort ? Et si je lui apprenais que je ne le verrai plus, que la pluie viendrait nous séparer à tout jamais ? »

Victor, si ébranlé fut-il, n’en continua pas moins de prendre soin de sa fleur qui se tenait altière, rougeoyante parmi les autres liliacées, cachant son immense peine.


La fête des plantes arriva. Le directeur de la jardinerie voulait présenter la nébuleuse et mystérieuse plante au tout venant. Il préparait déjà son affiche, l’annonce qui garantirait une certaine affluence à l’exposition :

" La fleur qui se fane quand vous la touchez et qui fleurit quand vous vous en éloignez !"

C’était de la communication, un moyen de faire venir du monde pendant ce peu de jours où les fleurs étaient vantées pour leur particularité et leur beauté.

Mais Victor rechigna : elle n’est pas en forme, elle se fane en ce moment dès que je fais mine de l’approcher et ne fleurit qu’en mon absence.

La sentence était tombée, Auguste Miraud eut une fulgurante idée :


– Elle vient bien d’ailleurs, cette plante ? Il est bien possible qu’elle nous ait apporté un de ces charmes envoûtants dont on n’a pas idée et qui peut susciter un intérêt immédiat. Qu’en dites-vous ? Votre plante, Victor, sera exposée et bénéficiera d’un tapage médiatique ensorcelant.


Victor en fut consterné. Il n’apprécia pas le terme « tapage médiatique ». Sa fleur s’en trouverait incommodée et lui en tiendrait rigueur, il le sentait, toute sa matière grise s’échauffait de savoir qu’un événement funeste allait se produire. Il se la représentait, effrayée, au milieu des exposants et des visiteurs occupés à déblatérer sur elle en la lorgnant sous toutes ses facettes.

Auguste Miraud avait été inflexible.


– Si elle ne fleurit qu’en votre absence, je vous donne congé pour ces trois jours que dureront l’exposition. Ne vous montrez pas. Je la veux resplendissante.


Atterré, Victor apporta le jour de la fête, une plante alanguie, à peine portée par sa tige qui se desséchait.

Auguste avait dressé une tente orientale, on eût dit un dais de verdure couvert d’une traîne de mariée piquetée de fleurs sauvages. Des massifs et des bordures moulurées de fleurs rares, dans un lacis d’épimedium Frohnleiten aux fleurs jaune d’or entouraient l’endroit réservé pour Amaryllis qui avait sa plaquette bien imprimée racontant son histoire, ses dons, ses origines.

Victor déposa sa plante, il lissa les pétales recourbés et crut entendre un soupir. Il se détourna, il était fébrile et s’apprêtait à partir mais il entendit une voix. D’où venait-elle ? Mais tout venait d’elle. Il tendit la main, il l’avait arrosée le matin, une larme tomba sur sa main.

Il se détourna, il ne pouvait pas rester.

Les jours suivants ne se présentèrent pas comme tout un chacun l’avait pensé. Auguste s’inquiéta dès le premier soir. Il contacta aussitôt Victor :


– Votre fleur perd ses couleurs. Elle était à peu près rouge à votre arrivée. Elle est en train de virer au jaunâtre en ce moment.


Le deuxième jour, Auguste fulminait :


– Elle est carrément jaune chamois et se penche à terre comme si elle cherchait à se coucher. Mais enfin, vous m’avez bien dit qu’elle était dotée de pouvoirs exceptionnels ! Mais lesquels ?


Le troisième jour, Auguste se lâcha :


– Vous lui manquez, c’est ça. Il n’y a rien de magique ou de fascinant, la plante a besoin de vous savoir auprès d’elle. Revenez.

– A quoi bon ? La fête est finie et je dois la ramener dans mon jardin.

– Savez-vous tout ce que je perds dans cette histoire ? Tout, absolument tout sans compter qu’on a la preuve de la démonstration d’une absurdité aussi rageante que votre incapacité à neutraliser votre Amaryllis. Quelle bêtise que de s’emballer pour une fleur !


Victor ne releva pas la cruauté des paroles du directeur d’une jardinerie pleine à craquer de fleurs illustres, de plantes délicates, de végétaux aux essences rares. Auguste hurlait encore.


– Et en plus, personne évidement n’a acheté la plante. Les visiteurs sont restés à bonne distance et posent des questions sans jamais s’en approcher ! Comme s’ils avaient peur d’elle !

– Ce n’est pas une plante, c’est une fleur, dit Victor d’une voix cassée.

– Vous garderez la subtilité de votre remarque pour vous. Vous m’enlevez rapidement cette chose et que je ne voie plus jamais cette ensorceleuse chez moi !


Victor eut bien envie de dire que l’idée d’apporter Amaryllis à la fête ne venait pas de lui mais il se sentait envahi et occupé par un sentiment déconcertant. Amaryllis n’avait pas su s’acclimater hors du jardin où il l’avait installée et choyée.

Il revint la récupérer mais ne la trouva pas. La plante brillait par son absence. Il se sentit piétiné, écartelé de part en part, chacun de ses os sortait de son assemblage organique et craquait.


– La magie, je vous dis, la sorcellerie ! Votre plante est toxique dans sa totalité, racines, tige, feuilles, fleurs, c’est une plante dangereuse et maléfique, vagissait Auguste, tombé dans une longue hébétude.

– Elle vous fait voir l’enfer et rien d’autre. Elle vous ouvre le sentier qui mène à vos derniers jours, ajouta-t-il en miaulant de plus belle.

Mais Victor n’écoutait plus. Il courait dans les allées de la jardinerie, fouillait les conteneurs, les bacs à ordures. Il déplaçait tout ce qu’il voyait sur son passage, de plus en plus labouré par des ondes d’angoisse qu’il ne contrôlait plus. Il bouscula poteaux, vases et ornements, plié par un pressentiment qui venait lui lacérer le visage. Aveugle, il avait été aveugle ! Il n’avait pas su voir la créature qui se cachait derrière les boucles rouge écarlate.


Amaryllis avait disparu.

La nuit tombait si fort sur ses épaules qu’il eut besoin de s’enfoncer dans son jardin et de se retirer dans le massif où elle avait vécu. La motte de terre déplacée, de là où il l’avait retirée, béait comme un rappel d’une vie qu’il aurait relevée de ses cendres, celle qu’il aurait faite et découverte. Que lui était-il arrivé, pourquoi l’avait-il entraînée dans un milieu qu’elle n’avait pas pu supporter ?

Tout lui revenait, les murmures qu’ils avaient partagés, l’attente des moments qu’ils s’étaient ménagés. La fleur, l’unique, celle qu’il ne retrouverait plus, venue par hasard, égarée dans un caisson de bulbes chargés dans la cale d’un avion qui l’avait ramenée de si loin, il l’avait soignée sans savoir qui elle était.

A ce jour, il ne savait toujours rien d’elle sinon qu’ils avaient pu atteindre tous deux un lieu inhabité, qu’ils avaient marqué de leurs petites habitudes. Il l’avait suivie sans rien dire et là-bas, on ne s’occupait pas de savoir d’où l’on venait. Il avait bien senti parfois qu’elle portait un fardeau qui la fragilisait, qu’elle s’ébrouait pour s’en débarrasser mais on n’évince pas ce qu’on a reçu. Il comprenait ses révoltes, ses ébouriffements de damoiselle outrée et qui gardait la sombre estafilade des cicatrices. Elle les avait au fond de ses yeux, toutes ces paroles indicibles quand il la coiffait d’une main tremblante, enduisant ses pétales d’un nuage de brume.

Elle lui parlait alors de sa mort, il se méprenait. Elle lui parlait de sa vie, il s’en imprégnait et quand elle lui parlait du voyage qui l’attendait et dont elle s’esquintait à tracer le plan, ils se mettaient tous deux à échafauder maints projets, sur le chantier des monts et des merveilles.

Il se souvint qu’elle lui avait vaguement dit qu’on la guettait sur une autre route.

Ginette Flora

Mars 2023

9 Comments


Fournier Viviane
Fournier Viviane
Mar 18, 2023

Mais c'est somptueux, Ginette, j'ai adoré (tu me diras que je me❤️ répéte mais ...que dire d'autre ? ) ton récit c'est une poésie d'amour, un élan d'âme jusqu'à s' affamer et vouloir lire encore ... merci de ce moment, magie toujous avec toi ...

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Fournier Viviane
Fournier Viviane
Mar 18, 2023
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merci Ginette, c'est beau et surtout ...OUIII écris encore et encore ...c'est juste tellement bien !

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Colette Kahn
Colette Kahn
Mar 18, 2023

Une histoire d'amour fragile, tendre, sensuelle qui se livre (et se lit) à nous avec des images somptueuses...

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Pour un instant d'émotion ...

Merci pour ta lecture si sensible .

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Unknown member
Mar 18, 2023

Sous le texte, une leçon de jardinage. Sous cette leçon de jardinage, un traité sur le comportement. Sous ce traité, une histoire d'Amour. Sous cette dernière, une réflexion sur la différence et sur l'autre quand il vient de si loin, et la perception des insensibles, et le tout sous un parfum de légende et des effluves qu'Ovide n'aurait pas renié. Merci, Ginette, pour ce texte à tant de niveaux.

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Merci, Phlippe, pour cette subtile analyse.

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Fredoladouleur
Fredoladouleur
Mar 18, 2023

Moi qui n'ai jamais su passer la bague à la main verte, c'est une véritable histoire d'Amour (Amour avec un grand A) que tu nous contes là ! L'allégorie se fait belle dans la délicatesse des gestes, dans l'attention portée à...et dans l'angoisse de...


Une relation d'Amour que toi-même tu entretiens avec l'écriture, Chère Ginette ! ^^

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C'est super beau ce que tu dis , Frédéric .

J'en suis véritablement très touchée .

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