top of page

Alicia Gallienne, femme de lettres

Dernière mise à jour : 5 oct. 2023

Le cierge du monde C’est l’imagination qui veille la nuit Car la réalité a sombré dans un certain dégoût d’elle-même Et quand elle fait un effort pour tromper le sort Quand de la terre naissent des trésors de beauté Elle comprend que la solitude a enfermé les gens chez eux A double tour avec de fausses clés

Je suis riche de mes heures perdues De mes phrases mille fois heurtées à elles-mêmes Je suis riche de mes émerveillements Et chaque jour je bénis Dieu d’avoir donné La vertu de se dépasser et de créer l’impossible

Non rien ne m’est interdit car je détiens le rêve


Elle est née le 20 janvier 1970, elle est décédée le 24 décembre 1990 à Paris.

Si jeune, à peine 20 ans, elle s'en va.

Elle est issue d'une famille cultivée qui aime recevoir et être reçue. Très jeune, elle se découvre une âme au contact des esprits " éveillés".

Aux côtés d'une fratrie aimante, elle grandit entre Paris et la province, à Sainte Brice en Charente Maritime, dans le Sud-Ouest dans " La maison rose ", la maison familiale. Le temps de l'enfance et de la jeunesse insouciante.

Vers l'âge de 15 ans, elle est opérée d'une appendicite. Les examens médicaux révèlent qu'elle est atteinte d'une maladie rare nommée " l'aphasie médullaire ", sa moelle osseuse est déficiente et ne produit pas suffisamment de cellules sanguines.

Commence pour elle le lourd passage dans les services hospitaliers pour se recharger dans ce qui lui manque.

Depuis lors, elle prend conscience de ce qu'est la vie, comment elle peut brusquement s'achever. Elle vit en dévorant les jours et la nuit, l'insomnie la hante, elle écrit, elle n'arrête plus d'écrire.

Elle en vient à rédiger une centaine de poèmes mais sait-on qu'elle écrit avec la fureur de vivre, l'attrait de la mort, la tentation d'aimer ?


Ta main a fondu dans ma main Et je suis là à attendre Je ne sais quel miracle Aujourd’hui la vue est à l’envers Et les portes coulent sous l’eau Je suis l’abandon De ta main dispersée."

Il y a quelques bribes de vers sur son chevet, sur son bureau et sur sa sépulture ces quelques mots :

" Comme une ondée aromatisée de menthe désirante

Mon âme saura sublimer et défendre

Comme une pâmoison de fraîcheur délirante

Mon âme saura s'évader et se rendre "

Ses poèmes, elle les avait logés dans un recueil nommé " Dominantes ". C'était en 1986 - 1987.

Puis elle en recueille d'autres. Ce sont "Les Nocturnes" de 1987 à 1988.

Elle écrit " Le livre noir " de 1988 à 1989 sur un carnet offert par une amie.


Mais c'est seulement en 2018 que sa mère découvre la poésie d'Alicia, demande l'aide de son neveu Guillaume Gallienne qui participe à la composition et à la publication des poésies en les envoyant aux Editions Gallimard.

Toutes les poésies d'Alicia sont publiées en 2020 sous le titre " L'autre moitié du songe m'appartient",

soit trente ans après la mort d'Alicia.

Son cousin, Guillaume Gallienne, acteur et réalisateur est aussi narrateur dans une émission " ça peut pas faire de mal " chez France-Inter.

Avant de quitter sa charge, il rend un hommage sublime à sa cousine, le 8 février 2020. Il part dans le sillage de son souvenir et fait revivre celle qui est morte trente ans plus tôt :

" Et si un jour je me dois de partir

De refermer les portes derrière toi

Pour ne plus m'apercevoir que je t'aime

Si un lendemain ou une veille tu me perds

A tant de murmures que répondre ? "


Car l'écriture d'Alicia est remplie de symboles pour nommer les vibrations émotionnelles. S'élève une voix poétique qui répond à une présence qu'elle devine dans un ailleurs qu'elle comprend et qui devient envoûtant.

Les thèmes de l'immensité, de la démesure, de l'espace sans limite, du vol des oiseaux imprègnent l'œuvre d'Alicia d'une discrète mais fervente quête d'une spiritualité. Pour échapper à la vie qui lui est donnée, pour lui en donner tout au moins du sens parce que pour elle " Tout passe par la mort" , elle écrit :


Tu es venu un matin, à la pointe de l'aurore,

avec tes mains si blanches et ton regard de papier.

Tu es venu à l'heure idéale des malentendus,

à ce point de non retour où s'achève l'amour et où débute la journée.

Tu es venu comme cela : les mains dans les poches

et les yeux pris de froid, dans la campagne contagieuse


De ses nombreuses lectures, des poètes symbolistes aux surréalistes, elle en garde de fortes illuminations. Elle marche au devant d'eux, y puise une foi confiante, l'écriture devient une force qui lui permet de croire en la vie et en l'amour. La mort, elle la brave, elle la toise :


Cela ira Je n'ai pas peur du noir Et puis il n'y a pas de vautours Dans les étoiles


Et c'est comme un héritage qu'elle nous laisse en disant :


Ce livre est noir Je le promets à tout ce qu'il me reste à écrire Je le dédie à ceux qui sauront voir entre les lignes, A ceux qui devineront peut-être ce que je n'ai pas su leur dire, A ceux enfin et toujours que je porte en moi. Ce livre est la couleur du non-dit.



Pour le Printemps des Poètes de l'année 2020, un spectacle poétique et musical est présentée au théâtre de l'Athénée à Paris, en hommage à Alicia.

Sur la scène, quatre interprètes de la poésie, deux comédiens Guillaume Gallienne et Marina Hands et deux musiciens le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste Guillaume Bellom.

Dans un décor sombre, les mots et la musique se répondent, comme un fragment d'opéra qui a su retrouver les accents tragiques de ses grands jours.


Article écrit le 24 mai 2023


9 Comments


Colette Kahn
Colette Kahn
May 26, 2023

Je me souviens d'une interview dans laquelle Guillaume Gallienne parlait avec une immense émotion de sa cousine... lire ces quelques lignes d'Alicia est un moment bouleversant. Merci Ginette.

Like
Replying to

Une terrible découverte pour moi aussi ...

Il y a des moments rares, celui-là en est un .

Like

Fournier Viviane
Fournier Viviane
May 25, 2023

J'ai adoré, Ginette et je vais me procurer ce livre, c'est juste profondément touchant ...Merci de ce partage ...c'est un cadeau ...❤️

Like
Fournier Viviane
Fournier Viviane
May 25, 2023
Replying to

c'est vrai, Ginette et quelque part c'est sublimement beau et triste

Like

Fredoladouleur
Fredoladouleur
May 25, 2023

Si jeune et si mature à la fois. Une femme de lettres à découvrir, assurément. Merci pour ce partage, Ginette !

Like
Replying to

Découvrir un esprit qui est la quête d'une espérance me bouleverse .

Merci Frédéric.

Like

Unknown member
May 24, 2023

Une vie courte, une vie riche, une vie accompagnée par la poésie d'un corps meurtri par, justement la vie, qui parfois se comporte en véritable garce. Merci Ginette pour cette découverte. Que de vies abrégées de la sorte de par le monde, de par les ans... Que la santé, seule vraie richesse, vous accompagne.

Like
Replying to

Merci.

Nous ne savons pas qui pleure derrière les jours .

Like
bottom of page