"Un bruit de balançoire" de Christian Bobin

C'est justement une balançoire qui m'a conduite vers cet auteur discret, solitaire, poète aimant les mots jusqu'à vouloir les étreindre.

En évoquant l'enfance pour un de mes écrits, j'avais en moi l'image d'une balançoire que l'on pousse pour lui imprimer un mouvement de bascule, et cette image me fit m’attarder un moment sur ce que je voulais exactement.

Je voulais trouver très précisément le mot correspondant au bruit que fait la balançoire quand on la pousse et la balance .. ce grincement .. ce déclic.

J'écrivis dans le moteur de recherche : " comment appelle-t-on le bruit que fait une balançoire ? "

Internet me répondit par : " Un bruit de balançoire" de Christian Bobin.

C'est ainsi que je fis connaissance avec ce poète, cet écrivain, cet homme des bois. Une seule lecture de son site me laissa perplexe. Un sentier s'ouvrait ... et je le suivis (Mars 2022)

Dans Un bruit de balançoire, il écrivait en 2017 à propos des livres qu’il aimait tant :

« J’ai frappé aux portes du silence, de la musique, et même de la mort, mais personne n’a ouvert. Alors j’ai cessé de demander. J’ai aimé les livres pour ce qu’ils étaient, des blocs de paix, des respirations si lentes qu’on les entend à peine. »

Auteur prolifique, très tôt versé dans les lettres et les arts, il tâte de plusieurs métiers, bibliothécaire, rédacteur, professeur de philosophie, chroniqueur, il scrute l'humain.

Son parcours littéraire est celui d'un homme qui donne au silence ses lettres de noblesse. Il aime "le silence et les roses ". Comment ne pas se sentir interpellée ?

Ses thèmes littéraires vont de l'émerveillement des choses simples à l'invitation à vivre de la joie du rien. Il écrit " Eloge du rien"

Il a une prédilection pour le fragment, cette forme littéraire qui se concentre sur la présentation de petits tableaux de vie, journaliers, spontanés.

Ces quelque titres de livres permettent de mieux comprendre ses sujets de prédilection :

- L'enchantement simple

- La présence pure

- Éclat du solitaire

Je dirai que j'ai découvert une plume et que cela me fait plaisir.

Pour la petite anecdote, je n'ai toujours pas trouvé le mot qui correspondrait au bruit que fait la balançoire quand on la balance ! Mais la lecture du livre dans son entier me donne la clé de l'énigme.

UN BRUIT DE BALANÇOIRE Christian Bobin

• Folio Folio 19 Septembre 2019

• Littérature générale À propos Isolé du monde dans une cabane au fond des bois, Christian Bobin ne vit que d'écriture. Chez lui, nul portable, nul e-mail. Pour correspondre, il écrit à la main. Pour la première fois, Christian Bobin livre un texte entièrement composé de lettres, dans un geste de résistance et d'attachement à la matérialité originaire de l'écriture. Rares et précieuses, ces lettres sont adressées tour à tour à sa mère, à un bol, à un nuage, à un ami, à une sonate. Sous l'ombre de Ryokan, moine japonais du XIXème siècle, l'auteur compose une célébration du simple et du quotidien. La lettre est ici le lieu de l'intime, l'écrin des choses vues et aimées. Elle célèbre le miracle d'exister. Et d'une page à l'autre, nous invite au recueillement et à la méditation.

Voici la réponse que donne Christian Bobin à un libraire qui l 'interroge sur le titre de son livre "Un bruit de balançoire " :

" Les titres ont des vies amoureuses. Il ne faut surtout pas y toucher quand ils viennent, ils viennent. Ils amènent avec eux tout le reste du livre, le titre est venu très tôt. Un bruit de balançoire, même si on n 'a pas de jardin, on sait ce que c 'est. C 'est un bruit d 'absence. C 'est soit la main pèlerine du vent qui pousse la balançoire, soit quelqu'un qui vient de partir. De quelque façon que se marque ce départ, un enfant, un adulte, une jeune femme, peu importe, quelqu'un. Le principe de la balançoire est un principe métaphysique : un coup je vais vers le ciel, un coup je reviens, et je ne peux pas rester dans le ciel parce qu 'il faut que je revienne, et je repars et puis je m 'en vais et ce qui reste, c 'est la petite musique rouillée des agrès, des cordes. Le bruit de la balançoire, c 'est aussi un jeu. C 'est l 'absence qui devrait nous tuer parfois et qui pourtant se transmue en grâce.

         Cahier de L 'Herne Bobin

Dans son ouvrage poétique La Grande Vie (Éditions Gallimard, 2014) Christian Bobin évoque très souvent la nature et sa beauté sacrée. Ici, les campanules : " Le bleu des clochettes des campanules m'a mis K.-O. J'ai une nouvelle lettre pour vous. Ce n'est pas moi qui l'ai écrite, mais un bouquet de lobélies - vous savez, ces fleurs bleu clair de la famille des campanules. Je suis entré dans le cimetière. Mon père marchait à mes côtés : invisible, il allait avec moi voir sa tombe. Je me suis arrêté net devant une autre tombe. Elle ressemblait à une phrase parfaite : une croix au-dessus d'une dalle blanche et, devant la dalle, une vasque débordant de lobélies caressées par une main de lumière. Nous traversons les miracles en aveugle, sans voir que le moindre jaillissement d'une fleur est fait de milliers de galaxies, que les brindilles d'un nid déserté ou les étoiles d'un ciel noir parlent de la même absence adorable. Un papillon a feuilleté les lobélies. Un lézard est apparu. Je me suis accroupi, je lui ai parlé. Le lézard surpris n'a plus bougé, ses pattes bien à plat, écartées comme les doigts d'un gant sur la pierre chauffée de clair. Les lobélies écoutaient. Vous mourrez tous, dit Homère. Vous mourrez d'un trait de javelot ou d'une rupture d'anévrisme, sur un sol étranger ou dans une infernale chambre d'hôpital. Et tous, sans exception, l'ange qu efface les fautes posera sa main sur vos fronts en sueur, vous aidera à entrer dans le soleil à l’heure dite. Les lobélies font partie de ces choses qui émerveillent la vie - un sourire sans lèvres, un passage secret, une phrase parfaite. "Puis ils se couchèrent et reçurent le don du sommeil" : c'est la fin du septième chant de l'Iliade. Dites-moi pourquoi cette expression, "recevoir le don du sommeil", me donne une joie sans fin ?

Je me suis relevé, le lézard a filé. Entre les villes étourdies et l'absolu, il y a la zone en friche des cimetières. Une faille dans le mur du temps. Les lézards s'y glissent comme le chagrin et l'espérance."

Le 24 novembre 2022, les infos annoncent le décès de Christian Bobin.

Il disait dans " La part manquante" :

" C'est par incapacité de vivre que l'on écrit. C'est par nostalgie d'un Dieu que l'on aime. Un livre, c'est un échec. Un amour, c'est une fuite. Nous ne pouvons entreprendre que de biais, nous ne pouvons vivre que de profil. Nous ne sommes jamais où nous croyons être. Notre désir est voué à l'errance. Notre volonté est sans poids. Parfois quand même, on approche quelque chose. Parfois quand même on reçoit des nouvelles de l'éternel. Le battement des lumières sur un visage. La tombée de la foudre dans une encre."

L'auteur Csyl chez Short Edition lui rend un hommage ému par une création visuelle formée par la juxtaposition des trois titres de livres de Bobin, engendrant ainsi une citation.

( Csyl , 24 novembre 2022 , auteure chez short Edition )

https://short-edition.com/fr/oeuvre/strips/hommage-65

Un autre auteur, Marcel Faure de Short Edition a écrit un bel hommage : https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/christian-bobin-24-04-1951-23-11-2022

"Chacun relira son Bobin préféré. Pour ma part, je l'ai lu et relu tant de fois que des mots ont coulé de ses livres jusqu'à mes pages. Cette citation " Éclats très sombres du violoncelle. Coup d'archet en travers du cœur." Le poète a rejoint les coulisses. " La scène est vide. Il ne reviendra plus"... "a toi d'écrire." (La femme à venir).

J'écrivais, le lisant page à page, dans un dialogue dont il ne sut jamais rien. J'écrirai, parce qu'il est toujours là dans l'air des mots que je respire, dans les paroles que chaque aube me souffle, et même si tout est dit - la vie, l'amour, l'amitié, les beautés de la nature – jamais la langue ne s'épuise. J'écris.

Ci-dessous trois textes anciens comme un hommage.

**

Cher Christian Bobin,

J'ai relu quelques passages de "Ressusciter". Promis je n'écrirai plus... jusqu'à demain.

Janvier 2017

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À Christian Bobin

Dans le cimetière un homme

Aux bras du soleil il marche

Des anges de pierre sourient

La jupe d'une rose danse

Il n'est là pour personne en particulier

Un enfant de marbre hilare

Souffle sur la poussière

Sarabande

L'homme éternue des papillons

Une vieille griffonne gentiment

Ses signes de croix

Sorti d'autrefois

Un vieux cheval passe

Un arbre ébroue quelques feuilles

L'homme fredonne

Envolée de chérubins

Église à ciel ouvert

Les morts respirent

Ici on prend le temps de vivre

Murmure une stèle

L'homme regarde

En lui

Autour de lui

Des signes du divin

Christian Bobin remplit sa page blanche

C'est l'instant hirondelles

Ils partagent un sourire

"Et Dieu s'est rapproché

Voir ce qui se passait."

Février 2017

**

En implorant Péguy

Monté sur mots talons

Le poème vacille

Gorgé d'images

Il est ivre

Et moi

Accroché à ses hanches

Bougonnant du Péguy

Un cru de cathédrale à marcher sur les routes

J'implore une amnistie

Pour des vers mal forgés

Fruit rouge des mots saints

Bobin sourit

Cherche ami des enfances

Où tu fus innocent

Musique des clarines

Accompagnant les sources

Berger des angéliques

Et des troupeaux d'alpage

Quand l'arbre se fait rare

Et que sonne la pierre

Je me souviens

J'allais au pré jeune vacher

Médor mon chien à mes côtés

Je ruminais mes rêves

Longuement

Et j'engrangeais du ciel

Pour les jours gris

Encore encore je m'accroche

À ce brin d'herbe mâchouillé

Et son jus coule sur mes lèvres

Roule mes veines gonfle mes sèves

Mon pas se raffermit

Nul besoin de Péguy

J'ermite entre cime et bohème

Ferme des jambes et des idées

Je presse la treille de mon sang

Marcel Faure, Juillet 2017

Notes :

Des pages Facebook lui sont dédiées, entre autres:

- Christian Bobin ...citations-partage..

- Autour de Christian Bobin -Association des amis et lecteurs de l'auteur ( créée en janvier 2023)

Ginette Flora

Novembre 2022

Si souvent complété après chaque relecture