Tatihou, le paradis secret
- Ginette Flora Amouma

- 29 sept.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 oct.

Les Vikings, en passant au large de l’île, l’ont simplement nommée Tatihou ce qui signifie « la terre entourée d’eau ».
C’est une presqu’île à marée basse et on peut y accéder à marée haute à bord d’un bateau amphibie. C’est au port de St Vaast la Hougue que nous avons vraiment l’impression d’arriver au plus près de l’Avalon que les Celtes cherchaient à atteindre quand ils s’étaient acheminés de loin, de tribus en tribus, de territoires traversés en chemins détournés pour essayer de voir ne serait-ce qu’une fois le profil du paradis.

Port de St Vaast la Hougue – Le bateau-amphibie – L’île de Tatihou
Le bateau bleu arrive. Il a quitté l’ile qui semble soudain tout proche. L’embarquement se fait par un temps clément, juste le vent marin pour corser le voyage vers l’au-delà. Le roulis de la mer, le balancement des eaux, la balade maritime nous tient à cœur, nous restons en arrêt, attentifs et prêts à tout prendre de la grandeur et de l’immensité du paysage.
Avant d’aborder l’île et aller au devant d’une randonnée inhabituelle, on est curieux de connaître un peu son histoire et tout savoir sur elle comme si on allait à la rencontre d’une personne inconnue.

Le bateau-amphibie
L’île a longtemps servi de bastion militaire pour repousser l’anglais toujours très friand de la rade, ce qui explique que tout au long de son histoire, des batailles navales se sont déroulées dans ce passage hostile que forment la côte rocheuse, son paysage heurté et ses forts courants marins.
En 1692, l’escadre française et ses 44 vaisseaux se battent vaillamment contre la flotte anglo-hollandaise forte de 99 bâtiments. La bataille fait rage mais 12 des 44 vaisseaux français n’arrivent pas à passer le Raz Blanchard, ce passage à fort courant rapide. Les marins décident de s’échouer au port de St Vaast la Hougue, d’abandonner les navires et d’armer des chaloupes plus légères pour continuer à défendre la flotte.
La flotte anglo-hollandaise détruisit par le feu les vaisseaux échoués dans la rade de St Vaast-la-Hougue. Au cours des combats, 1700 marins français périrent.
Un musée maritime conserve la mémoire de cette bataille de la Hougue en exposant toutes les pièces et les vestiges provenant des épaves des vaisseaux détruits. De la vaisselle, des pièces d’artillerie, des outils, des pièces d’habillement et une reproduction du vaisseau royal sont exposés dans le musée qui fait office aussi de boutique présentant un rayon particulièrement intéressant sur les produits de soins fabriqués avec les plantes, les algues, le plancton et autres essences de fleurs, des produits conçus par le laboratoire des plantes maritimes implanté sur l’île.

Arrivée à Tatihou
Des blocs de pierre, des allées caillouteuses, avec son chemin des douaniers, c’est ainsi que l’île se présente et c’est ainsi que les marins et autres passagers des dernières guerres victimes des épidémies et des exils se présentèrent au débarcadère. Ils durent d’abord passer par plusieurs portes en arc de voûte construites sn pierre. La première étape pour eux c’était de subir l’opération de la fumigation pour chasser tout relent de germes ou de parasites qui propageraient une désastreuse contamination. Ils étaient passés sous des vapeurs de plantes enfumées dont l’essence supposée bénéfique devait les débarrasser de leurs maladies. La peste de Marseille en 1721 a incité le roi à créer un lazaret dans l’île pour protéger le royaume d’où les postes de stérilisation par lesquels les marins devaient passer. Un hôpital y est implanté.
C’est juste après les portes cochères que se trouvent les principaux bâtiments, hôtellerie, restaurant et autres maisons d’hébergement.
L’île a également servi d’abri et de refuge pour les femmes et les enfants suite à l’exode de ceux qui fuyaient les guerres. Puis un centre de rééducation pour adolescents est ouvert et a fonctionné jusqu’en 1984.
A partir de 1985, des travaux de restauration font de l’île un lieu d’attraction culturelle, par des visites historiques des constructions milliaires, de la Tour Vauban et des magasins à poudre, de la réserve d’ornithologie, du musée maritime, du jardin des plantes australes. En été, des festivals de musique y sont donnés contribuant à générer une fréquentation importante.

La porte cochère
La visite de la Tour Vauban et de ses 85 marches à monter fut épique, l’escalier en colimaçon se rétrécit au fur et à mesure que l’on atteint la tour crénelée qui offre une vue magique sur l’îlet couché au large où se trouve la réserve ornithologique dont la visite est interdite pour ne pas effrayer ce domaine naturel où les oiseaux sont étudiés et répertoriés.

La réserve d'ornithologie
La tour fait partie des fortifications comprenant une ferme avec casernement et une chapelle. Il ne reste que des fondations suite au tir des bombardements de la dernière guerre.

La tour Vauban et ses fortifications
Le jardin maritime révèle ses secrets. Les plantes des terres australes se sont parfaitement acclimatées dans l’île. On y rencontre des plantes spectaculaires comme le gunnera, une rhubarbe géante. La plante la plus originale est la vipérine qui passe par trois phases de fleurissement. C’est d’abord une rosette basale, des feuilles étalées en cercle qui deviennent de plus en plus grandes pour former au dernier stade des tiges géantes porteuses de fleurs. C’est à la fois un jardin botanique et maritime qui explore la flore de l’île et des côtes normandes. C’est aussi un jardin d’acclimatation où sont plantées les végétations venues des terres australes. On y est surpris par la taille des yuccas. Les eucalyptus et les bananiers y ont trouvé une raison de vivre. L’arganier du Maroc, le lycium de l’Afrique du Nord et le gatillier des moines cohabitent dans une harmonie de couleurs et de parfums qui capturent et envoûtent les cœurs déjà imbibés des embruns du rivage.
Le jardin est une orchestration de couleurs et de formes, les arbres y ont une place étonnante, on les dirait sortis de l’imagination d’un botaniste charpentier.
Les palmiers poilus ont retenu une attention particulière de même que la vipérine et les gunneras.

Les trois phases de floraison de la vipérine
Les charpentiers à l’ouvrage sur l’île ont bien rapporté que parfois d’étranges espèces poussent dans les coins secrets du jardin et qu’ils entendent parfois le vent jouer des mélodies. Mais tout cela m’a été dit avec un sourire en coin et d’ajouter :

Les palmiers poilus mais pas d’arbre violoncelle.
– On n’a jamais eu le temps de les entendre totalement, ce sont des mélodies qui s’en vont vite, le vent en amène d’autres.
– On vous a déjà contacté pour sculpter un violoncelle à la proue d’un navire ?
– Non jamais. C’est sûrement une lubie de mélomane !
– Et vous n’avez pas entendu parler d’un charpentier qui aimait creuser un instrument de musique dans le tronc d’un arbre et d’attendre qu’un visiteur lui rende la vie entre les bras d’un musicien ?
– Vous, Madame, vous avez trop lu ou mal lu un texte mais vous avez de l’imagination ! L’île est percluse de mystères, c’est une sauvageonne qui aime charmer les esprits prêts à la suivre !
Je m’en allais, un peu contrite. C’est vrai que je n’avais pas eu le temps de tout lire en entier, une contredanse coutumière que j’aime faire, de lire un texte en trois fois pour mieux en extraire la quintessence. La prochaine fois que le texte reviendra, j’aurais plus de chance.
Je rattrapai le groupe que j’avais semé. Des mystères, il semble qu’il en circule beaucoup. Des fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour certains objets qui ont permis de dire que l’île a été occupée à la Préhistoire, à l’âge de bronze. On a retrouvé un habitat en 1996 avec des silex, des greniers, des fours et des débris de céramique. Depuis, on sait que des âmes rudes et rustiques rôdent autour des pierres.
Le jardin contraste avec la rugosité, la rocaille, l’imposante masse des rochers et des blocs de pierre que l’île a conservés en majorité.
Il fallait un parfum, une couleur, une poésie, une musique. Des chorégraphies musicales sont parfois présentées sur des morceaux de Debussy et de Ravel en résonance avec les sons et les parfums du jardin.
C’est comme si on avait atteint un peu du bout du monde, l’Avalon, pas encore …mais certainement quelques parcelles qui nous font rêver.
Anna de Noailles dans « Les Eblouissements » écrit « Surprise », une poésie qu’un groupe de collégiens a tenu à réciter lors d’une sortie d’école sur l’île.
SURPRISE
Je méditais ; soudain le jardin se révèle,
Et frappe d’un seul jet mon ardente prunelle.
Je le regarde avec un plaisir éclaté.
Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l’été !
Tout m’émeut, tout me plaît, une extase me noie,
J’avance et je m’arrête ; il semble que la joie
Était sur cet arbuste, et saute dans mon cœur !
Je suis pleine d’élan, d’amour, de bonne odeur
Et l’azur à mon corps mêle si bien sa trame,
Tout est si rapproché, si brodé sur mon âme,
Qu’il semble brusquement, à mon regard surpris,
Que ce n’est pas le pré, mais mon œil qui fleurit,
Et que, si je voulais, sous ma paupière close
Je pourrais voir encor le soleil et la rose…
[1907- Eblouissements Anna de Noailles]

Plantes d’acclimatation devant l’entrée du musée maritime

Septembre 2025




J'adore cette ile, j'adore les lieux isolés. Chaque pas me semble être le premier. Je respecte ces terres encore empruntes d'authenticité. Merci pour cette narration