Sei Shonagon, poétesse, comme des estampes
- Ginette Flora Amouma

- 11 juil.
- 5 min de lecture

© Onna kagami. blogspot.com- Sei Shonagon
Née en 966, elle est la fille du poète Kiyohara no Motosuki, un membre de la noblesse japonaise et elle se passionne pour la poésie, écrivant à l’insu de tous.
Sa biographie ne mentionne que partiellement sa vie personnelle. Il est dit qu’elle a été mariée à 16 ans, qu’elle a eu un enfant. La seule chronologie qui est respectée et reconnue c’est qu’à l’âge de 27 ans, en 991, elle entre au service de la cour impériale et devient la dame de compagnie de l’impératrice Teishi avec qui elle tisse un lien spirituel. Lorsque l’impératrice lui montre une liasse de papiers lui demandant ce qu’elle pouvait en faire, Sei Shonagon lui en désigne l’utilité en lui disant qu’elle y consignerait ses réflexions et ses états d’âme. Dans la faible clarté de la lune tombant par la fenêtre, Sei écrit ce qu’elle a vécu dans la journée.
De 1001 à 1011, elle accompagne l’impératrice de Fujiwara qui meurt en couches.
Sei Shonagan quitte la cour impériale et on perd sa trace. Aucune chronologie de sa vie n’est véritablement acté. D’aucuns disent aussi qu’elle se serait remariée avec un fonctionnaire du gouvernement et qu’elle aurait eu un enfant mais on sait qu’elle meurt dix ans après son départ de la cour.
Le Makura no soshi ou les notes de chevet, son œuvre principale
Elle consigne ses observations, annotées durant son passage à la cour, dans un genre particulier qui fait de chacune de ses phrases une estampe littéraire, un genre que la littérature contemporaine appelle « fragment ». Sur une dizaine d’années, elle relate ainsi chaque scène de vie comme dans un journal intime.
Elle décrit ce qu’elle voit, ce qui au gré des rencontres et des menus faits quotidiens lui permet d’observer les personnages, les us et coutumes de la Cour impériale. Elle en fait des rouleaux, des listes de choses qui mises bout à bout renvoient à d’autres sensations, le premier élément évoqué faisant rebondir un autre élément masqué et de saut en saut, elle fait d’un seul thème, des nœuds de récits qui deviennent des cordages, ses notes de chevet.

© les sortilèges des mots blogspot.com – sei shonagon
La femme et sa plume
La personnalité de Sei Shonagon est perçue comme atypique pour l’époque qui voit la femme à travers les convenances. La poétesse ne répond pas à l’image que se font ses pairs, de la femme. Sei Shonagon a un fort caractère et ne craint pas de prendre quelque liberté sur les préceptes édictés par les codes sociaux de son époque. Ses propos ne sont couverts d’aucune modération. C’est un fruit mûr qui éclate et son jus éclabousse !
Elle a une vigueur de langage qui étonne, elle sait se défendre et répondre au premier godelureau qui la méprise. Ses descriptions, ses récits imagés révèlent cependant une âme habitée subtilement par un esprit prompt à se dissimuler.
D’elle, le passant a un portrait qui va à l’encontre de la figure féminine attendue à une époque où la femme devait avant tout se taire et se livrer à de plus sages activités.
Ce caractère impulsif a contribué à donner aux écrits de la poétesse un style qui sort de l’ordinaire. Prose brève, des non-dits par des mots juxtaposés et usant de l’oxymore. Les récits en acquièrent un intérêt qui retient l’attention.
« Elle n’est pas un modèle de vertu mais un modèle d’écriture », dit-on d’elle.
Son livre de chevet compte 300 pages. Il n’y a pas d’histoire, il n’y pas de scénario ni début ni fin ni personnages.
On est au 11ème siècle. Ce n’est ni un roman ni un récit ni une poésie et pourtant dans les listes de choses que l’auteure énonce, il y a les débris de l’histoire d’une cour impériale dans l’alcôve des chambres, les coulisses des salles du palais, les pensées personnelles, empreintes de sincérité d’une femme qui observe, éprouve, souffre, aime, vit au jour le jour. Les listes des choses marquées à la plume se lisent comme si elles étaient tracées comme des lignes au fusain sur une toile et ce sont des œuvres d’art car elles laissent le lecteur dans le désarroi. Que penser sinon qu’on est en face d’une personne qui vit et pense, aime et souffre, là tout de suite et rien ni les ans ni les incompréhensions n’en effaceront la sincérité.
Est ce un dialogue ?
Non, c’est son battement de cœur à la vue des choses, d’un visage, d’un élément végétal, de l’âpreté d’un minéral revue par une plume qui veut graver sa marque.
Quelques extraits du livre donnent quelques pistes … Elle décrit les choses au quotidien, les instants furtifs, si anodins que justement on les oublie dans notre quotidien. L’auteur les note et 1000 ans plus tard, ces choses restent.
Un bateau dont le voile est hissé
L’âge des gens
Un brasier sans feu
On fait un songe horrible. On se demande quel malheur il présage, on a la poitrine brisé, par l’effroi mais le devin vous explique que ce rêve ne signifie rien. On est ravi.
Est ce un journal ou des réflexions ramenées sur toutes les tonalités et qui s’égrènent formant des listes ? Jeux de mots ? Coup de cœur, coup de plume.
Des choses qui font battre le cœur :
Des moineaux qui nourrissent leurs petits
Georges Perec, dans le texte qui donne son titre au livre Penser/classer énonce sa dette à Seî Shonagon :
Seî Shonagon ne classe pas ; elle énumère et recommence. Un thème provoque une liste, de simples énoncés ou d’anecdotes. Plus loin, un thème presque identique produira une autre liste, et ainsi de suite ; on aboutit ainsi à des séries que l’on peut regrouper ; par exemple les « choses » émouvantes (choses qui font battre le coeur, choses que l’entend parfois avec plus d’émotion qu’à l’ordinaire, choses qui émeuvent profondément) [...]

Umberto Eco nomme cette énumération programmée : « Le vertige de la liste »
De nos jours, c’est l’œil de la caméra, le téléobjectif qui photographie le moment fugace. Sei Shonagon le fait avec sa plume qui devient pinceau tant l’écrit chez elle rejoint le pictural.
Une nuit où l’on attend quelqu’un. Tout à coup on est surpris par le bruit de l’averse que le vent jette contre la maison.
Lisons les mots qui font naître le doux souvenir du passé :
Les roses trémières desséchées
Une nuit où la lune est claire
Un pin desséché auquel s’accroche la glycine
Un étang envahi par les herbes aquatiques
L’élégance de la neige tombée sur les fleurs des glycines
La lune pâlie de l’aurore
La lune me charme encore quand son mince croissant apparaît sur la cime des montagnes à l’Orient.
Et pour parler de l’angoisse :
Un trouble indicible à l’approche de l’inconnu.
Au printemps, l’aurore
" Des rouleaux de chose" dit François Bon, l’écrivain.
© Le tiers livre .
Ginette Flora
Juillet 2025




Magnifique, Ginette ...❤️
Un grand merci, chère Ginette, pour cette magnifique découverte ! Me permets-tu d'ajouter cette dame de cour et femmes de lettres à mon prochain recueil de femmes ?
Je souhaite une belle journée avec 🌞