Marie Noël, femme de lettres
- Ginette Flora Amouma

- 14 nov. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 nov. 2023

Originaire d'Auxerre, dans la région de la Bourgogne-Franche-Comté, elle est née en 1883 et décédée en 1967. C'est une poétesse française attachée à son terroir natal.
Elevée dans une famille cultivée qui lui transmet les enseignements de la civilisation catholique, elle grandit auprès d'un père agnostique qui lui enseigne les oeuvres des auteurs grecs en même temps qu'il lui fait découvrir les grands courants romantiques qui imprègnent les arts de son époque.
De ce double enseignement, elle en gardera toujours un terreau voué aux paradoxes d'un esprit qu'elle se découvrira.
Son œuvre poétique en restera marquée.
La famille se réunit souvent dans le salon de musique où Marie joue du piano et aime lire.
Un premier amour qui reste inachevé la laisse dans l'attente. Sa poésie est d'une grande spiritualité, secouée par les embruns du doute et de la colère mais qu'un fort mysticisme transcende et sublimise. Toute sa vie, Marie va vers la quête d'un absolu.
Elle meurt a 84 ans dans la nuit de Noël.
Son œuvre poétique
C'est une poétesse discrète et une grande épistolière. Elle entretient une correspondance suivie avec les intellectuels de son temps : Paul Valéry, Motherland, Aragon, Mauriac, Cocteau, Colette ...
Ses poésies s'apparentent à la chanson traditionnelle du folklore inspirée de la culture pieuse traditionnelle. Elle y confie ses rêves et ses espoirs. Ses vers ont la forme de prières :
Extrait de " La chanson et les heures , 1920 "
Prière du poète
Donne de quoi rêver à moi dont l'esprit erre
Du songe de l'aube au songe du soir
Et qui sans fin écoute en moi parler la terre
Avec le ciel rose, avec le ciel noir
Donne de quoi chanter à moi pauvre poète
Pour les gens pressés, qui vont, viennent, vont
Et qui n'ont pas le temps d'entendre dans leur tête
Les airs que la vie et la mort y font.

Mais en Marie se bousculent tourment et passion. Une poésie moins connue où les écrits sont d'une teneur plus sombre et âpre témoigne d'une humaine vérité, celle du combat que se livre chaque jour une âme torturée par le désir et la quête d'un amour plus intense.
Une poésie d'une authentique valeur littéraire où l'émotion des sens exacerbés par de forts sentiments se révèle sous sa plume. On sent l'effort qu'elle fait pour surmonter ses souffrances et pour contenir une exigence intérieure. Elle se débat et atteint une forme d'acceptation mystique de la douleur.
C'est dans la poésie qu'elle puise sa force et trouve un lieu où combattre ses antagonismes qui entre foi et désespoir livrent bataille dans son esprit écartelé. Sur ce point, la critique l'a même comparée à Baudelaire et à Antonin Artaud. " Nous ne montrons que nos hardes, la véritable beauté est invisible. "
On retrouve ce combat entre elle et elle-même dans un ouvrage peu connu :
"Les Notes intimes" , 1959
Ainsi le personnage, de prime abord, peut paraître sans éclat avec un visage mélancolique, " une tenue du paraître" irréprochable dont elle ne s'éloignera jamais.
Seule la poésie révèle l'être qui vit profondément en elle dont une lanterne vigilante conserve la flamme du coeur.
C'est la publication des "Notes intimes" qui montre la femme passionnée qu'elle était :
" J'ai été tentée par l' Ange noir et vous le savez bien.
J'ai douté, j'ai perdu la foi, j'ai aperçu la férocité des lois éternelles...
Par amour, j'ai tout accepté mais il y a toujours en moi
Ce puits fermé où une vérité se débat. "
Une édition de ses oeuvres chez Gallimard donne des pistes pour comprendre celle qui vivait avec une force cachée et qui assume le rôle de Job :
" Le Destin de l'homme s'opère sous la malveillance éternelle d'une force mauvaise.
Job sera toujours là, face à Dieu pour s'en plaindre . "

Le livre de Chrystelle Claude de Boissieu qui fait le portrait de Marie Noël, montre la posture féminine qui maintenait la poétesse dans un état de lucidité, de clairvoyance et de sagesse.
On découvre Marie qui s'y livre sans fard à parler de ses paradoxes, timide et intrépide tout à la fois, raisonnable et déraisonnable d' autres fois.
C''est en allant vers la quête de la véritable identité de Marie Noël qu'on se surprend à s'observer soi-même dans ce miroir de dualité où le "Je" est souvent un "Autre" .
" Connais-moi si tu peux , ô passant ,
Connais-moi
Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire . "
(Les chansons et les heures , 1908)
Dans " Les chants et poèmes d'automne ", elle hurle sa douleur et le hurlement n'en est que plus hallucinant dans le silence où il est poussé :
Hurlement
"Le jour s'en va sur la montagne
L'ombre grandit
Es-tu parti dans la campagne
Ô mon petit ?
Tu n'es pas là ni dans l'étable
Ni dans ton lit
Tu ne viens pas te mettre à table . "
Extrait des chansons et des heures, 1920

"Il n’y a pas en Poésie de réalité positive. Il y a une vie profonde, une émotion intense, transfiguratrice, qui dépendent fort peu de la circonstance extérieure qui les a provoquées. A l’heure de grâce, un rien ou presque suffit parfois à donner la secousse créatrice et à mettre en branle le génie intime qui aussitôt du rien s’empare et à l’infini, l’amplifie(…) »
Marie Noël (exergue à Les Chants de la Merci, Poésie Gallimard)
Novembre 2023
Ginette Flora




Merci Ginette. Pour moi une découverte très complète de cette femme de lettres.
Oh Ginette, je la connais ...ma grand-mère me l'a fait découvrir et j'adore .. Merci, merci du bout de mon enfance et de mon coeur en grand !
Une femme de lettres dont les oeuvres sont assurément à découvrir. Merci pour ce partage, Ginette ! ^^