Marie Jaëll, le toucher du piano
- Ginette Flora Amouma

- 22 juin
- 5 min de lecture

Marie Jaëll est née en 1846 à Steinseltz au Nord de l’Alsace, près de la frontière allemande et elle est décédée en 1925 à Paris dans le 16ème arrondissement.
Elle est la fille d’une famille de propriétaires terriens, les Trautmann. Son père est agriculteur et maire de sa commune. Il n’y pas de musicien dans la famille et Marie ne grandit pas dans un environnement touché par la musique.
Et pourtant, à la grande stupéfaction de sa famille, elle demande à l’âge de 6 ans d’apprendre le piano. Elle insiste tant que ses parents consentent à lui offrir des leçons. L’enfant excelle dans l’apprentissage et devient vite un prodige.
A 9 ans, elle donne son premier concert devant Ignaz Moscheles, un pianiste natif de la région de la Bohème en Europe Centrale. Il lui prédit un grand avenir.
Gioacchino Antonio Rossini remarque aussi son talent au cours d’un autre concert à Wildbad, ville de cure de la Forêt Noire, en Allemagne.
L’enfant prodige
Elle joue avec une virtuosité qui étonne. Sa mère l’emmène à Paris pour obtenir qu’elle puisse suivre des cours privés qui la mènent rapidement au Conservatoire de Paris qu’elle intègre et obtient le premier prix de piano. Elle donne des concerts en Europe. De 1855 à 1862, elle s'est produite dans 145 concerts en France, en Allemagne et en Suisse.
Élève de Camille Saint-Saëns qui soutient sa carrière et avec qui elle entretient une correspondance étendue, Marie Jaëll a composé dans presque tous les registres, de l’opéra au poème symphonique, en passant par les mélodies et les concertos.
Alfred et Marie
C’est en Allemagne, à Baden-Baden, ville de cure mondaine proche de Strasbourg qu’elle rencontre Alfred Jaëll, de 14 ans son aîné et qui est un pianiste de grande réputation, à s’être produit en Europe et aux Etats-Unis. Il est nommé pianiste de la Cour de Hanovre en 1856. Cette fonction le met en contact avec les grands interprètes de son temps, Brahms, Rubinstein, Liszt , Laub, Sivori…
En rencontrant Alfred Jaëll, Marie entre dans le monde cosmopolite des grands musiciens de son temps. Elle l’épouse en 1866 à Paris.
Ils forment un couple de pianistes chevronnés qui donnent des concerts dans toutes les villes de l’Europe.
Suite aux événements de 1870 qui rattachent l’Alsace à l’Allemagne, Marie change de nationalité et devient française. Le couple s’installe à Paris.
A partir de 1870, elle suit quelques cours de composition avec César Franck, puis avec Camille Saint-Saëns qui représente pour elle l'école française. Elle entretient avec lui une étroite amitié et une abondante correspondance. Vers 1871, Liszt, par l'entremise d'Alfred Jaëll, fait éditer les Valses à quatre mains de Marie Jaëll et les joue à Bayreuth avec Camille Saint-Saëns.
Bien que chacun des deux partenaires ait conservé sa propre personnalité et qu’Alfred ait pris le parti d’encourager sa compagne réputée pour être une forte tête, excessive et emportée, le couple est parvenu à s’imposer et Alfred ne peut que reconnaître le talent de Marie et son imagination débordante.
Pour les critiques, Marie n’est plus l’épouse qui accompagne le maître mais celle qui s’est affirmée auprès de lui sans rien accepter de lui. Ce qui est extrêmement rare pour l’époque où les femmes renonçaient à leur carrière en se mariant comme ce fut le cas de la cantatrice Amalia Schneeweiss qui dut arrêter sa carrière en épousant le violoniste Joachim Raffen en 1863.
Les concerts à quatre mains d’Alfred et Marie n’empêchent ni l’un ni l’autre de continuer une brillante carrière solistique. Marie crée et joue à Paris les parties de plusieurs de ses œuvres.
Le couple poursuit ses tournées et concerts à 4 mains jusqu’au décès brutal d‘Alfred Jaëll en février 1882, des suites de diabète.
Marie Jaëll, compositrice et membre de la Société des compositeurs de musique
Marie se réfugie et séjourne plusieurs fois à Weimar chez Liszt, l’ami de toujours. Le compositeur hongrois achève sa 3ème Mephisto Waltz, une partition dédiée à sa colocataire qui écoute ses compositions sans se lasser et relit les épreuves de la Faust Sinfonie.
Liszt lui rend visite en 1886 à Paris, à l'occasion de la création de sa Messe de Gran par Colonne.
Elle devient compositrice dans un monde d’hommes.
Elles ne sont pas nombreuses ces femmes qui osèrent franchir le pas. Celles qui ont décidé de montrer au monde qu’elles étaient tout aussi capables qu’un homme de maîtriser les disciplines les plus difficiles.
Marie Jaëll fait partie de ces courageuses pionnières. De ces féministes avant l’heure. Elle prend des cours de composition avec César Franck et aussi avec Camille Saint Saëns.
Ces premiers essais sont l’expression d’un volcan en éruption. Saint-Saëns écrit :
« Mme Marie Jaëll ne veut plus que l’on parle de son talent de pianiste. Elle en est rassasiée et ne vise qu’à la haute composition. Ses premiers essais ont été tumultueux, excessifs, quelque chose comme l’irruption d’un torrent dévastateur.»
Marie Jaëll a tant de choses à dire, exprimer, partager …Alors elle travaille, s’améliore, s’entraîne et compose encore… et, en reconnaissance ultime, elle est admise en 1887 à la Société des Compositeurs de musique de Paris et s’impose ainsi dans un cercle d’hommes.
En 1887, sa demande est parrainée par Saint-Saëns et Fauré, elle est admise comme membre actif à la Société des compositeurs de musique.
En 1891 et 1892, elle donne en six concerts l'intégrale de l'œuvre pour piano de Liszt Salle Pleyel.
En 1893, toujours à la salle Pleyel, elle joue l'intégrale des 32 sonates de Beethoven.
En 1902, Salle Erard, elle joue l'essentiel de la musique pour piano de Schumann en 6 concerts.
Ce qui ne s’est jamais vu ni entendu !
Marie Jaëll, pédagogue
Elle s’intéresse aux travaux scientifiques en neuro-psychologie sur la possibilité de former une image mentale du mouvement des doigts et de leur coordination sur les touches.
Elle publie de nombreux ouvrages sur le potentiel de la main humaine. Cultiver la main et la laisser interagir avec la pensée est son principal sujet d’étude.
1891 : publication du livre : le toucher
1897 : le mécanisme du toucher: analyse de la sensibilité tactile
1899 : enseignement du piano basé sur la physiologie
1942 : la résonance du toucher
1927 : la main et la pensée musicale
Etre femme et compositrice à la fin du XIXème siècle
C’est un statut que Franz Liszt résume en disant à Marie :
« Un nom d’homme sur votre musique et elle serait sur tous les pupitres »
En effet à cette époque, les femmes artistes dans tous les arts que ce soit en peinture, musique ou écriture sont cachées sous le manteau de l’invisibilité. Si elles ne sont pas oubliées, elles ne sont citées qu’avec un particule masculin. Elles sont « sœur de.. » ou « épouse de… » ou « fille de … », « muse de… » , ce qui est par exemple le cas de Germaine Tailleferre compositrice de grand talent mais estampillée « mascotte du Groupe des Six » comme si une femme ne pouvait vivre de son seul nom et dont les devoirs ne devaient pas sortir de l’abri domestique.
Fanny Mendelssohn ( sœur de …) souffrit de cet ostracisme, ainsi que Clara Schumann (épouse de .. ) et Alma Mahler ( épouse de … )

Pour échapper à ce rôle restreint, les plus téméraires ont choisi de ne pas se marier et d’imposer leur propre nom comme Nadia Boulanger, Henriette René …
Certains hommes encourageaient leur femme à s’épanouir mais au 19ème siècle, on dénombre sur 400 compositeurs, seulement 26 femmes dont Marie Jaëll.
On acceptait le fait qu’une femme joue du piano ou d’un quelconque instrument car la discipline musicale figure dans le manuel d’éducation et de formation des jeunes filles des couches sociales aisées mais cette éducation ne devait pas déboucher sur une carrière professionnelle.
Marie Jaëll dit de sa vie :
« Combien je suis heureuse mortelle : j’aime mon art avec une passion inouïe. Il me semble que cette flamme croît toujours, que sa lumière m’inonde de plus en plus, que je la voie grandissante comme un soleil levant !
Ginette Flora
Juin 2025




Encore une belle découverte féminie, au touché exeptionelle !
Merci Ginette de nous l'avoir révéllée. Belle journée à toi chère amie.
" Combien je suis heureuse mortelle : j’aime mon art avec une passion inouïe. Il me semble que cette flamme croît toujours, que sa lumière m’inonde de plus en plus, que je la voie grandissante comme un soleil levant ! " Merci pour cette belle découverte et bonne journée chère Ginette !
Magnifique portrait et belle découvete, merci Ginette ❤️
Une époque où quand bien même pianiste émérite, dans l'ombre des hommes, une femme pouvait rester sur la touche ! En véritable pédagogue, Marie Jaëll, s'en sort quelque part, haut la main ! Belle journée à toi, Chère Ginette ! ^^