Mado, une femme au parcours héroïque
- Ginette Flora Amouma

- 1 sept. 2024
- 4 min de lecture
Laure Diebold, dite "Mado"
(1915-1965)
Le Musée de l'Ordre de la Libération ouvre ses portes du 13 juin au 13 octobre 2024 pour une exposition : "Résistantes ! : France, 1940-1944", autour du rôle des femmes dans la Résistance, afin de rendre honneur à leur engagement pendant la guerre, Sur un mur de l'exposition, parmi plus de mille photos des Compagnons de la Libération, figure celle de Laure Diebold.
Mais qui est-elle cette héroïne exceptionnelle que le général de Gaulle, en 1944, nomma Compagnon de la Libération "dans l'honneur et par la victoire", la plus grande distinction pour honorer les faits de guerre d'une rare audace ou les actes de Résistance hors du commun ? Parmi les 1 038 élus, seules six femmes vécurent cette dignité-là (1).
Alors comment Laure Diebold a-t-elle pu, après avoir accédé à une telle gloire, rejoindre le camp silencieux des oubliés de l'Histoire ?
Bien que née allemande en 1915 dans une Alsace occupée par le Reich, Laure Mutschler grandit au sein d'une famille restée très patriote à l'égard de la France. En 1920 sa famille s'installe à Sainte-Marie-aux-Mines. Elle obtient un diplôme de sténo-dactylo et se fiance avec Eugène Diebold, secrétaire de la mairie de la commune. Après l'invasion allemande en juin 1940, Laure reste en Alsace annexée et rejoint une filière de passeurs. Elle y organise, avec ses amis, un réseau qui permet l'exfiltration d'un nombre impressionnant de prisonniers évadés et autres fugitifs recherchés par les nazis. Mais, repérée, elle doit quitter l'Alsace la veille de Noël 1941 et fuir à Lyon, en zone libre, cachée dans une locomotive.
En janvier 1942, Laure épouse Eugène, réfugié comme elle à Lyon et prisonnier de guerre évadé. Commence alors un nouveau combat, toujours dans l'ombre. Cette même année, elle rejoint avec son mari le réseau Mithridate (2). Officiellement secrétaire au service des réfugiés d'Alsace-Lorraine, elle est en réalité recrutée par Londres et devient, à 27 ans, "agent de liaison et d'évasion".
Elle recueille des informations qu'elle code et fait passer sous forme de courrier pour l'intelligence Service. Le 18 juillet 1942, elle est arrêtée par la police française mais relâchée six jours plus tard, faute de preuves. En septembre 1942, agent n°8382, surnommée " Mado", elle entre à la délégation de Jean Moulin en zone libre au service du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA). Affectée au secrétariat de Daniel Cordier (3). Assimilée au grade de lieutenant, elle travaille jour et nuit, d'abord à Villeurbanne puis près de la place lyonnaise des Terreaux.
Daniel Cordier raconte a posteriori leur rencontre :
"Dès l'arrivée de Mado pour m'aider à déchiffrer les textes échangés avec Londres, je suis conquis. Elle est petite et menue, en dépit de ses talons rehaussés. Mais avec son visage expressif, son regard ardent, sa poignée de main énergique, elle respire la franchise et la volonté. [...]"
Volontaire pour toutes les missions, à la fois sténodactylographe, secrétaire et agent de liaison, Laure est dépositaire de tous les secrets de la délégation.
Le 8 décembre 1942, elle rencontre Jean Moulin pour la seule et unique fois, et tape pour lui un rapport urgent.
Arrêtée par la police allemande le 24 septembre 1943 dans l'exercice de ses fonctions, Laure Diebold est emprisonnée quatre mois à Fresnes. Elle réussit à convaincre la Gestapo qu'elle n'a fait que servir de boîte aux lettres et échappe ainsi à la torture. Transférée de prisons en prisons puis de camps de concentration en camps de concentration, gravement malade, elle échappe à la mort grâce à l'intervention d'un médecin tchèque qui escamote sa fiche à deux reprises, lui évitant in extremis l'envoi au four crématoire.
Libérée en avril 1945 par les Américains, Laure Diebold rentre à Paris et retrouve son mari qui, comme elle, est très affaibli. Son brusque décès, le 17 octobre 1965 à Lyon, est la conséquence des tortures infligées par les nazis. Elle avait cinquante ans.
Laure Diebold est enterrée, selon son désir, dans le modeste cimetière de Sainte-Marie-aux-Mines où elle avait passé son enfance et connu son mari. Sur sa tombe on peut lire "Mort pour la France".
Discrète, ce qui lui fut utile durant la guerre, elle laisse peu de traces. Le journal Le Monde note alors que c'est "un casse-tête" quand il s'agit de s'atteler à sa biographie et ramasser les rares indices laissés en chemin. Oubliée durant des décennies en dehors de l'Alsace, Laure Diebold renaîtra toutefois sous la plume de l'auteure Anne-Marie Wimmer (4).
Laure Diebold est titulaire de plusieurs décorations (5) mais, très modeste, "jamais elle ne réclamera quoi que ce soit", note Le Monde. Ce sont ses proches qui en feront la demande.
Notes :
(1) Laure Diebold est la benjamine des six femmes nommées Compagnons de la Libération :
La Croix de la Libération - 1941
Berty Albrecht (1893-1943)
- Marcelle Henry (1895-1945)
- Émilienne Moreau-Évrard (1898-1971)
- Marie Hackin (1905-1941)
Simone Michel-Lévy (1906-1945)
La Croix de la Libération - 1941
(2) Réseau Mithridate : réseau de la Résistance fondé en juin 1940, un des plus important de la Seconde Guerre mondiale : 1600 agents répartis sur tout le territoire français, la Belgique et le Nord de l'Italie.
(3) Daniel Cordier 1920-2020 : résistant, marchand d'art et historien français. Secrétaire de Jean Moulin en 1942-1943. Lors de sa mort, à 100 ans, il était l'un des deux compagnons de la Libération encore en vie.
(4) Anne-Marie Wimmer qui, après des recherches dans les archives, publie en 2014 le livre "Autopsie d'un oubli. L'incroyable disparition de Laure Diebold-Mutschler" chez Ponte Vecco Éditions.
(5) Croix de guerre - Médaille de la Résistance - Médaille des Services volontaires de la France Libre - Légion d'honneur en 1965.
Page de l'auteure Colette Alice

Septembre 2024











magnifique portrait encore et toujours et une découverte émouvante ...Merci Ginette et Merci Alice des voix de femmes, tu es trop magique ...❤️Bisous doux et doux