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Lu You ou le jardin des Shen

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© chiculture.org.hk- Poet Lu You


Lu You est un poète, un  lettré et un historien chinois de la dynastie Song.  Il est né en 1125, il est originaire de Shaoxing, dans la province du Zhejiang et il est mort en 1210.


Un parcours de mandarin


Fils du vice-commissaire des prévisions du transport, il reçoit une éducation très soignée et lit beaucoup dans la bibliothèque de son père.

C’est l’un des poètes les plus prolifiques de la Chine avec à son actif une importante profusion de poèmes travaillés selon les codes de la poésie ancienne.  Les textes ont traversé le temps et sont conservés et étudiés pour la qualité des émotions et des pensées soulevées.

Il vivait à une époque troublée où des guerres entre des envahisseurs venus de Mandchourie ont morcelé  le nord de la Chine, faisant fuir les souverains de la dynastie Song au sud du pays. Il s’étonne de ce que les souverains relégués au sud de la Chine restent inactifs et peu enclins à  batailler pour la reconquête des territoires perdus. A 29 ans, il est mandarin mais reste très engagé dans ses postures réfractaires à l’occupant.

Lu You écrit des poésies engagées. Sa littérature révoltée contre l’agression mandchoue lui reste en travers de la gorge et il ne se prive pas de le dire, ce qui lui vaut des bannissements.

De souverains libres qu’ils étaient, les Song se retrouvent enchaînés au tribut  annuel que leur réclament les nouveaux occupants de la Chine du Nord.  Les Jurchen de Mandchourie en s’emparant du Nord de la Chine obligent les anciens souverains à capituler. Les Song deviennent  les vassaux des Jurchen qui prennent le nom de dynastie des Jin.

Cette situation embarrasse le poète qui ne se prive pas de le dire et ses idées très engagées ne sont pas du goût des nouveaux locataires de l’Empire qui étendent leur emprise sur tout le pays.  Lu You a un franc parler redoutable qui lui vaut d’être souvent puni, renvoyé et écarté d’où le cheminement chaotique de sa carrière. 

Il vécut dans l’amertume, se disant incompris, ténébreux, inconsolé, une autre sorte de desdichado !  Quelques uns de ses poèmes sont des chefs d’œuvre où les sentiments de ne pouvoir servir sa patrie, d’être dans la déception d’une ambition avortée, toujours inassouvie, font de lui un poète populaire. Cette désillusion rejoint un autre chagrin, celui-ci plus intime  mais non moins intemporel.


 C’est aussi le poète de l’amour humain  


 A l’âge de 20 ans, il épouse sa cousine qui est aussi férue de poésie et de littérature qu’il l’est lui-même.  Leur mariage commencé sous de bons et heureux auspices s’achève dans le drame quand le poète doit se séparer de sa femme sur les ordres de sa famille pour incompatibilité d’humeur !

Le poète se résigne mais sa vie durant,  il continue d’aimer celle pour qui il écrit sans faillir des chants d’une grande ferveur et qui ont beau se dissimuler derrière des métaphores et des effets stylistiques, n’en témoignent pas moins de la sincérité d’un cœur qui, jusqu’à la fin de sa vie, ne s’éteindra jamais.

 Les deus poésies « Le jardin des Shen I et II » ne font pas mentir le distique d’Alfred de Musset.

 Les plus  désespérés sont les chants les plus beaux

 Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.


Le jardin des Shen I de LuYou

 

Le cor triste sonne à la brume en haut des murs ;
Je ne trouve plus au jardin d’alors tes traces.
Sous le pont l’eau verdit à briser un cœur pur ;
Elle t’y a vu mirer ton angélique face.

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Le jardin Shen est célèbre pour le poème de Lu You qu’il écrivit suite à sa tragique histoire avec sa femme et qui est gravé sur un mur fait de vieilles briques de la dynastie Song.

Nostalgique, le poème est d’une grande intériorité. Pour le  poète, le jardin est un lieu de mémoire, il y promène son âme. Tout lui rappelle que les sentiments profonds sont marqués en nous d’une manière que nous ne comprenons pas vraiment  d’où leur écho que nous entendons.

Dans ce jardin où même l’eau s’est tue, les vers du poète sont gravés dans cet espace intemporel qui fait l’humain.

 

Le jardin des Shen II  de Lu You


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En quarante ans tu ne viens pas à mes rêves longs ;

On ne trouve au jardin nul chaton de vieux saule.

Bientôt je serai une motte au pied du mont ;

Encore je viens chercher ta trace qui s’envole. (Lu You, 1220)

 

Les deux poèmes du jardin Shen ont été composés en 1220 alors que le poète avait 75 ans. Le temps a passé mais les lieux  n’ont pas changé. Le poète retrouve des instants qu’il fige dans ses vers. Il est en proie à une émotion qui n’a cessé de l’habiter.

« Encore je viens chercher ta trace qui s’envole » signifie surtout que même perdus, certains sentiments naviguent en silence dans une eau calme qui ne sommeille pas.  Nous portons un océan d’émotions.


La retraite à la campagne


Il prend sa retraite et se retire dans sa campagne où il découvre les travaux simples et calmes du jardinage et des soins donnés aux cultures.

Il se consacre aussi à la poésie.


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Un pont bas, un petit sentier,

Et la pluie vient de cesser.

Une pâle lumière perce les nuages,

 Flotte sur une brume verte.

Les peupliers et les saules ne parviennent pas

 à masquer les couleurs printanières.

Une branche d'abricotier rouge

S’étend au-delà du sommet du mur.

Lu You 12ème siècle

 

 

Il y a tant de montagnes et, avec les méandres de la rivière,

On se dit qu'il n'y a pas de route.

Et puis, des saules sombres, des fleurs éclatantes,

Un autre village apparaît.

Les joueurs de cornemuse et de tambour se poursuivent,

Le sacrifice du printemps approche.

Les chapeaux de paille et les vêtements simples des paysans

Témoignent d'un mode de vie ancestral qui perdure.

Désormais, permettez-moi de profiter de la pleine lune ;

appuyé nonchalamment sur ma canne, je frapperai à votre porte un soir.

Lu you

 

La poésie de la fleur

 

Après le relais, près d’un pont ruiné

Une fleur solitaire a éclos, oubliée.

 Elle s’attriste à la tombée de la nuit,

Accablée par le vent et la pluie.

Sa grâce ne prétend pas à l’honneur

Du printemps envié par d’autres fleurs.

 Et bien que foulée dans la boue,

 Son parfum toujours reste doux.

 Lu You


Cette poésie montre que la fleur conserve sa vie intérieure, elle reste entière malgré les difficultés qu’elle traverse. C’est une posture à laquelle se reconnaît le poète qui est constant dans ses convictions et qui souhaite conserver sa pureté malgré les épreuves. Il attend son heure pour laisser exhaler son véritable parfum. Cette fleur ne voit pas tomber ses pétales.  

Lu You poète patriote, se retrouvant en marge de l’histoire, lui le mandarin qui aurait aimé poser sa pierre dans l’histoire de son pays, Lu You n’en est pas moins homme et penseur. Son inquiétude, il la confie aux éléments de la nature et dans sa retraite bucolique, il continue  de s’interroger sur le destin et la tragédie humaine.

 

Son chagrin, il le compare aux vents contraires. Son univers, il le compare à un jardin. Rien de luxuriant,  juste un espace simple où les seules bornes réalistes rappellent le temps intensément vécu, les ponts, les fleurs,  les chemins parcourus. Cet espace clos ressemble à une estampe, une peinture immortelle car le détail est existant et il renvoie à une émotion qui ne s’efface pas.

Novembre 2025

Ginette Flora

6 commentaires


Alice
il y a 4 jours

J'étais passée à côté de ce jardin des Shen... j'y suis entrée ce matin pour en découvrir toute la beauté... Merci, chère Ginette, et bon dimanche 🌞🌞.

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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
il y a 3 jours
En réponse à

Belle journée à toi, chère Alice.

Et bons préparatifs de Noël !

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Rolland
il y a 6 jours

Quel beau récit chère Ginette.

Que de leçons en tirer !. Merci


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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
il y a 5 jours
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Ici ou ailleurs, on souffre de la même manière.

J'aime cette balade nostalgique du poète sur les lieux de sa mémoire.

Bonne fin de journée, chère amie.

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viviane parseghian
il y a 7 jours

tu nous conduis loin et comme c'est beau !🧡

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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
il y a 7 jours
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Je découvre tout autant que toi que partout, loin et même plus loin, peut-être dans les autres galaxies, l'humain est juste un humain comme nous !

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