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Les sentiers de La Hague

Dernière mise à jour : 3 oct.

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L'écume de la mer le long des côtes normandes


Les côtes normandes déchirées de falaises et entaillées de grottes, d’étroites plages de galets et de petites anses où ne s’engouffrent que quelques petites embarcations sont comme occupées à composer jour et nuit  le concert qui ne cesse de s‘entendre dans les hurlements du vent et les soubresauts  des vagues qui se chargent d’écume avant de se glisser sur les roches et les cailloux de la plage.  Sur cette lande, la terre est sauvage,  rocailleuse, rude mais la présence inflexible de la mer donne à penser qu’un lien naturel et éternel la relie à la terre par d’innombrables ruisseaux. La mer et le ciel se chargent de livrer en eau les terres qui en profitent comme d’une manne providentielle. Fleurs et plantes côtières poussent dans les endroits irrigués par les étangs, les mares, les cours d’eau quand ce ne sont pas des rivières qui donnent à l’herbe sa nourriture saline.

La commune de La Hague est située à la pointe du Cotentin, dans le département de la Manche.  Les sentiers côtiers prolongent  des souvenirs à triple résonance militaire, florale et littéraire. Usines de stockage, de traitement et d’armement militaire cohabitent avec l’abondance des jardins qui bénéficient d’un microclimat chaud qui tempère les chaleurs et modère les rigueurs de l’hiver.


C’est l’univers des poètes et des peintres car la poésie de la mer et de celle des gens heureux court dans les petits ports de La Hague. En nous arrêtant à Port Racine, qui est le plus petit port de France, on ne pouvait pas ne pas passer devant le cimetière où est enterré Jacques Prévert, celui pour qui le bonheur est un saltimbanque qui nous tient compagnie. Le poète a fini ses dernières années de sa vie à Omonville–la–Petite dans sa maison entourée d’un jardin fleuri où l’on peut lire des citations et des poèmes sur les sculptures et les stèles. Pour rénover son jardin et lui donner un cachet original et  maritime, Prévert demande à Eric Pellerin, le créateur du jardin botanique du manoir de Vauville ( voir article sur l'oasis du Cotentin ) et grand-père de l’actuel Eric Pellerin, de lui créer un havre  floral. Le résultat fut au delà de ses espérances. Le jardin est  aussi un magnifique lieu mythique. Il s’épanouit au milieu de fleurs abondantes et typiques de pays lointains, des iris, des agapanthes, des camélias. Les grands arbres retiennent la force des vents, les cèdres, les cerisiers, les palmiers poilus. Les rhubarbes géantes, les gunneras, originaires d’Amérique du sud aux feuilles immenses couvrent les angles des massifs et débordent en avançant sur la pelouse  comme si elles voulaient boire toute l’eau de la mer.  

Jacques Prévert s’y installe en 1971 et meurt en avril 1977. La maison est devenue un lieu public, consacrée à la mémoire de Prévert. Depuis les années 2020, un projet d’en faire  à la fois une maison d’artiste et un musée  a permis à de nombreux visiteurs de s’immerger dans un espace poétique et  d’apercevoir un peu le bout du monde. 

La poésie de Prévert «  Le bonheur en partant m’a dit qu’il reviendrait »  est composée de huit strophes qui ponctuent la balade sur les sentiers de La Hague.


« Le bonheur, en partant, m’a dit qu’il reviendrait…

Que quand la colère hisserait le drapeau blanc, il comprendrait…

Le temps du pardon et du calme revenu, il saurait

Retrouver le chemin de la sérénité, de l’arc-en-ciel et de l’après…

 

 C’est un tout petit rectangle blanc ou doré selon que la lumière tombe sur lui et le couvre de nuances chatoyantes. Port Racine est le plus petit port de France. On descend quelques marches, on longe des cordages suspendus sur les murs  aux côtés de vieux rafiots que des couleurs vives semblent  donner un aspect ludique. Mais c’est bien un port avec ses bateaux de pêche, petits eux aussi, à se demander si on n’est pas dans la demeure de  quelque créature de la mer !


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 Port Racine ( du nom d'un corsaire )

En longeant les rochers et la corniche, on arrive à la jetée où le vent marin fouette hardiment les aventuriers de la côte.

Des bateaux  peints en bleu et jaune, des filets sur les cailloux et on s’immobilise, intrigué par le lieu isolé posé entre ciel et mer que le vent dévore et arrache comme pour montrer que le ciel se laisse parfois malmener par ses sombres humeurs. Et l’on se demande le cœur oppressé vers quel « après », le paysage semble nous mettre en garde.


« Le bonheur, en partant, m’a promis de ne jamais m’abandonner

De ne pas oublier les doux moments partagés,

Et d’y écrire une suite en plusieurs volumes reliés,

Tous dédiés à la gloire du moment présent à respirer… »

 

Des moments partagés avec Jacques Prévert, on s’en souvient quand  dès les premières classes d’école, on récitait quelques uns de ses poèmes comme le cancre, le déjeuner du matin et les calligrammes qu’on devait imiter.  Mais de Prévert, il reste l’inoubliable poésie des feuilles mortes, chanté avec tant de gravité par Yves Montand !

 Des feuilles mortes on les entend, elles  crissent sous nos pas, les hortensias se fanent et perdent quelques pétales même s’ils sont bien vivants dans les haies. On s’en étonne, mais on fredonne par ici une chanson à nulle autre pareille, celle de l’automne, celle que l’on entendra toujours sur les sentiers de sable gorgée d’écume, quand l'inaltérable glissement de la mer vient déposer sa précieuse offrande nacrée sur les cailloux immortels.


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« Le bonheur, en partant, m’a fait de grands signes de la main,

Comme des caresses pleines de promesses sur mes lendemains,

Il m’a adressé ses meilleurs vœux sur mon destin qui s’en vient,

Et je crois en lui bien plus qu’en tous les devins… »

 

Les petites routes qui longent la côte normande s’enfoncent dans les futaies, se retrouvent au détour d’un virage pour montrer un paysage de cultures potagères, de petites maisons entourées de basses clôtures en pierre. Par ici, on aime converser avec les voisins en ne les perdant pas de vue ! Chevaux et vaches mordillent l’herbe dans les fermes où se cultivent poireaux et carottes au milieu des champs qui ont conservé leurs potilles, ces longs menhirs en forme de pointe. l'une d'elles est fixée sur la tombe de Prévert.  Les choux et leurs larges feuilles en forme de ruchers  abondent par rangées tirées au cordeau. Urville, Gréville, Auderville ...Ce sont des villages à l'architecture pensée pour ne pas subir la colère du vent. Les maisons sont trapues et couvertes de pierre. Et les églises sont surtout des vigiles orientées vers la mer pour en surveiller d'éventuels passages intempestifs ! L’écume se brise sur les blocs de pierre. La mousse  crayeuse est si pure qu’on pense qu’elle est la couronne festonnée de l’achèvement du monde. C'est aussi le pays des goélands. Ils suivent la ligne gibbeuse des flots. Comme si en partant, la vague sait qu’elle va revenir pour mieux sentir la terre qui est la sienne.

 Est ce là « le destin qui s’en vient » ? 


Le bonheur est un ange aux ailes fragiles, un colosse aux pieds d’argile,

Il a besoin d’air, de lumière, de liberté et d’une terre d’asile,

Je veux être son antre dès ses premiers babils,

Pour peu qu’il me le permette, le bonheur n’est jamais un projet futile…

 

Au cap de la Hague, on fait une halte pour se recueillir devant un mémorial historique : en 1912, le sous-marin le Vendémiaire est coulé accidentellement par un cuirassé lors d’un exercice militaire. L’épave git en plein courant du Raz Blanchard, le violent courant marin, rendant  impossible toute tentative de relevailles lorsqu’il est localisé en 2016.

Loin, très loin,  la terre est en vue !


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Le Cap de la Hague


Le nez de Jobourg est le terminus, si l’on peut dire du Cotentin et c’est une curiosité  à laquelle on ne peut pas échapper. Arrivé à ce terrain pierreux et grumeleux, on s’avance vers les   remparts,  on peut voir au loin le phare Goury. C’est le colosse  de ce lieu de gneiss appelé nez de Jobourg. Aménagé et documenté par des affiches signalétiques et des cartes détaillées enfermées dans des panneaux vitrés, on comprend mieux la beauté sauvage de ce promontoire. Les vikings qui arrivaient par hordes en des temps anciens, l’avaient nommé nez, terme qui dans leur langage  signifie cap.

Le mot a sauté plusieurs générations, connu plusieurs  sonorités et orthographies pour finalement se fixer sur un seul mot «  Nez de Jobourg »

Les îles anglo-normandes se profilent au loin et l’Angleterre nous invite à prendre sa fréquence radiophonique. Les îles anglo-normandes, Jersey, Guernesey, Aurigny et d’autres îlots comme St Herm et Sercq sont des possessions anglaises.


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 Au loin, l’île d’Aurigny


Entre le Cap de La Hague et l’île d’Aurigny, un espace maritime appelé le Raz Blanchard sépare de tout temps le passage où sévit le courant de marée le plus puissant, un courant rapide qui blanchit la mer par la masse d’écume générée par les vagues déferlantes. Les hurlements des vagues s’entendent à plusieurs kilomètres à la ronde.

Il y a eu des naufrages, des destins brisés. Le bonheur n’est nulle part autrement que si on le sent car c’est « un ange aux ailes fragiles ». Par la suite, les chemins de douaniers permettaient d’assurer un poste de surveillance et gérer le trafic des contrebandiers qui avaient leurs caches dans les grottes. Ces derniers alimentaient un commerce qui se livrait clandestinement.


Le bonheur, en partant, avait le cœur aussi serré que le mien,

Son sourire en bandoulière, il est parti vers d’autres chemins,

Rencontrer ses pairs au détour des larmes et des chagrins,

Que versent pour un rien, tous ces pauvres humains…

 

Le nez de Jobourg est célèbre pour son histoire.  Les falaises  de Jobourg, les plus hautes de France (128 m) ont abrité des hommes de l’ère préhistorique, du néolithique où des tribus se fixent dans les grottes.  De nos jours, ce sont les oiseaux qui y ont trouvé un refuge.

 

 

Le bonheur, est parti, missionnaire, rallier d’autres fidèles,

Il veut plaider sa cause et convertir tous les rebelles,

Leur montrer à eux aussi, combien la vie est belle,

Si on lui laisse assez de place pour l’orner de ses dentelles…

 

 

Jean Fleury, écrivain régionaliste raconte la légende du goublin qui est l’histoire la plus connue de la région. Un être espiègle, comme un lutin, aime se transformer en toutes sortes d’animaux. Si on le rencontre, c’est qu’un trésor est caché non loin delà. Il est dit qu’un chien noir part tous les soirs vers les falaises pour garder le trésor.

D’autres légendes courent sur la lande.  La caverne des fées est une fissure par laquelle passe un couloir qui rejoint l’église de Jobourg et quand ce couloir est emprunté par des fantômes, il n’en faut pas plus pour donner à l’imagination populaire son pain bénit !

L’arrivée des Vikings a laissé perdurer  un esprit où légendes et superstitions, croyances et divinations se jouxtent aux cultures locales et forment un terreau particulier où la fée de la mer et le seigneur des côtes se rejoignent à la faveur de la pleine lune.


Le bonheur, en partant, m’a fait un clin d’œil,

Je sais qu’il reviendra, je ne porte pas son deuil,

Il ne fuit pas, il s’en va conquérant réparer d’autres écueils,

Pour me revenir encore plus grand, se reposer dans mes fauteuils…

 

C’est dans un bistrot d’un village voisin qu’on goûte au poisson, de la raie au jus de citron. Les recettes marines ont le vent en poupe ! Mulet, cabillaud  et autres plats de la mer « nous font des clins d’œil », les herbes aromatiques dégagent leurs senteurs piquantes ou sauvageonnes. Le silence  de ce coin de terre est iodé, venteux  et souffle près de la joue une nostalgie sempiternelle.


Le bonheur, en partant, ne me quitte pas vraiment…

Je sais que même de loin, il éveille mes sentiments,

Il entend mes hésitations et m’oriente résolument et sûrement,

Le bonheur est une étoile qui me guide par tous les temps… »

[ Jacques Prévert ]

Je suis restée encore dans le vertige des vents qui soufflètent et pénètrent la racine de nos corps fracassés comme des carcasses de bateaux échoués sur la grève. Les mots de Prévert nous apprennent que le bonheur n’est fait de rien, d’instants purifiés et hors du temps, se balançant dans le vide abyssal mais énigmatique du temps qui passe.


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Les plantes des sables :  oyats, joncs, arroche  et seigle de mer


Des sentiments, cette balade en éveille beaucoup. On pense à la vie des marins,  aux femmes qui les attendent, aux bateaux qui battent pavillon d’ici et d’ailleurs.  

La Manche, c’est aussi le passage de la marine marchande, de la flottille commerciale  et de la circulation des embarcations plus humbles cherchant le ravitaillement de la mer.

Et il y a le vent qui musèle les sentiments. C’est la ronce  du vent qui mordille les pores de la peau, c’est elle qui fait croire qu’il fait froid, qui envoie sa grenaille pour masquer la véritable puissance de sa présence.

La mer s’étale blanche d’écume. C’est une mousse blanche qui vient recouvrir les galets. C’est un trousseau de blancheur qu’elle apporte pour recouvrir la raideur des roches et quand elle déploie son voile vaporeux, crémeux, elle sait adoucir les mœurs.


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Septembre 2025

2 commentaires


viviane parseghian
02 oct.

magnifique comme si on respirait un ailleurs en grand ... je connais un peu mais là, tu m'ouvres l'horizon ... merci à Toi ❤️

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En réponse à

Oui mais tu sais parfois la mer penche dangereusement ! On ne sait plus sous quel angle la prendre !

Est-elle méchante, est-elle gentille la mer ?

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