top of page

Le graveur du Garlaban

ree

© tous les chemins mènent au Garlaban "les cahiers du sud"eklablog.com


Tous les chemins mènent au Garlaban


Louis Douard est né en 1939. L’homme a eu une enfance difficile, sa vie commence dans les aléas d’un destin qu’il cherchera toute sa vie à comprendre à travers son écriture, ses gravures jusqu’à ce qu’un jour quand il pose son regard sur les sommets des collines qui surplombent Aubagne et les villages alentour, il sait quelles sont ses origines, il reconnaît son pays, sa terre, sa famille, ces piliers qu’il n’a jamais eus. Désormais pour lui,

  Tous les chemins mènent au Garlaban.

Il le grave sur une dalle calcaire pour marquer sa dernière aventure.

 A 16 ans, il se retrouve seul et sans famille, abandonné n’ayant pour voisins et compagnons que  la faune qui vit dans la rue. De son passage à l’école,  il a juste appris à lire :

 «  Les livres que j’avais, c’était Giono, Pagnol, Zola et je remercie l’école de m’avoir fait rencontrer des auteurs riches des valeurs  du terroir.» 

Comme il est curieux de tout, il essaie tout pour s’en sortir et savoir ce qu’il est capable de faire. Il va vers lui-même.

 A 86 ans, sa démarche est inchangée. Il va de l’avant comme il randonne dans les collines rudes marquées par la garrigue.

Il est engagé comme technicien dans une entreprise de céramique. Il se reconvertit ensuite dans les milieux administratifs d’un hôpital.

 Il lit « L’homme qui plantait des arbres » de Giono. Lui qui à des histoires à planter, à faire vivre et grandir, il se rend compte qu'il souhaite témoigner, il se met à l’écriture.

 Pas n’importe quelle écriture.

Il se met à écrire à la main et laisse des pages et des livres manuscrits à la médiathèque Marcel Pagnol.

Puis il découvre une autre richesse, celle de la gravure, du dessin sur la roche, des traits figés, sculptés dans la pierre.

 Chaque gravure est une histoire.
ree

Le géant silencieux, Garlaban millénaire écoute désormais ses roches parler. Graveur à genoux, il trace solitaire, l'héritage du coeur pour les aubagnais.


 Gravure et tradition


Louis Douard  remet en lumière la tradition des chevriers qui gravent leurs pensées dans la nature, l’écrin où ils entassent leurs trésors. C’est une tradition qui a su perdurer parce qu’elle chante la nature, la flore, la faune et le minéral.  Inconsciemment,  bergers et chevriers  y ont mis leur âme. Le Garlaban est leur tombe en plein air.

A l’origine, au XIXème  et XXème siècle, les chevriers faisaient des gravures dans la colline du Garlaban où ils menaient leurs bêtes. Pour marquer leur territoire  car ils avaient chacun un secteur pour ne pas être bousculé, piétiné, ils gravaient un signe qui les identifiaient. Cela pouvait être une fleur, un motif, un objet, une signature…

Louis Douard  se lance en 2005 dans un projet fou, audacieux, faire revivre une pratique oubliée. Il fait des recherches et en randonnant régulièrement, il retrouve une vingtaine de pierres gravées avec une fleur, une ancre marine ou un motif animalier. Ainsi personne ne marchait sur les plates bandes de l’autre.

Il décide de reprendre l’ancienne tradition et  se met à sculpter sur des dalles, des roches, des pierres du sommet de la montagne, développant ainsi un sentier balisé très apprécié des promeneurs. Il y eut une première fois en 2005 et une dernière en 2018.

De 2005 à 2018, pendant 14 ans,  il réalise 120 gravures dans les pierres du Garlaban.

 Exemple de gravures :


ree

Portrait de Pagnol

Les sujets qui l'inspirent sont les œuvres de Pagnol  et le folklore provençal.


Son livre manuscrit « D’amour et de faïences »


Il faut prendre le temps d’admirer l’écriture, avec la surprise d’y trouver  des pleins et des déliés, harmonieuse, régulière, fidèle à la ponctuation qu’on nous a inculquée. L’homme n’est peut-être pas allé beaucoup à l’école, comme il le dit, mais ce qu’il a appris, il l’a si bien appris que son véritable trésor est dans sa main. Il écrit au porte-plume et utilise de l’encre sépia.

Après avoir gravé ses dessins dans les collines du Garlaban, il les raconte dans les livres manuscrits qui sont de précieux témoignages pour les écoliers car l’écriture est un savoir-faire.

 

ree

 L'écriture manuscrite de Louis Douard


ree

Il refuse de publier ses livres car il ne se considère pas comme un écrivain mais comme un passeur de mémoire. Les écoliers ont besoin de prendre conscience que le travail manuel est aussi valorisant qu’un travail intellectuel et que c’est de l’alliage et de la communion des deux potentiels que s’érige la mémoire immuable de l’humanité.


La palette de ses sujets est inépuisable : il privilégie les portraits des natifs de la région, Raimu, Frédéric Mistral, Giono, Fernandel, Pagnol l’incontournable. Il évoque les personnages qui sont devenus si familiers qu’ils semblent avoir réellement existé : Ugolin, Manon des sources,  Fanny, le Papet… Il fait vivre leur mémoire dans la roche. 

Des citations, il prend le temps de  frapper sur son burin les lettres une à une dans une solitude empreinte des souvenirs des pages lues au point de les connaître par cœur.

Hommage à toi le maître dont le vent de Provence porte le nom, Dont la plume a fait naître Vincent et Mireille, au pays des santons. 
« Souvent pour abréger ma vie, les hommes piègent ma tanière. Mais toi pour m’immortaliser, tu m’as gravée dans la pierre. »
« Chacune de mes pierres, de tant de prières abreuvées, connaît les chagrins des hommes et leurs plus secrètes pensées. »

Ils sont tous gravés dans la roche et font vivre leurs histoires dans la nature, dans cette tour de roches bleues, posée sur un plateau rocailleux qui s’étage à plus de 700 m d’altitude où s’est aménagé  le circuit des roches gravées. 

Louis Douard n’a pas de famille, il s’en est constitué une en gravant les visages de ceux qui ont fait la Provence. Lui aussi comme Pagnol, montait au sommet du Garlaban.

 « La marche, çà me connaît ! »


L’art de la  gravure dans la pierre


ree

Verba volant, scripta manent


 L’art de la gravure  dans la pierre m’était inconnu mais  ce que je fais, je le fais avec amour et conviction.

Avec un burin et une massette ronde, un petit marteau, sous le soleil et le ciel d’un bleu impossible à rendre ni pour le pinceau ni pour les mots, Louis Douard travaille à genoux, un dessin lui prenant plus de deux heures  selon l’importance du croquis.  

Il dessine d’abord sur un papier épais un croquis généralement inspiré de la nature et des thèmes représentatifs de la culture provençale. Il l’applique sur la pierre ou la dalle choisie puis il reprend avec un poinçon les contours du dessin, veillant à bien les fendre pour que la pointe grave les traits. Le dessin est relativement facile à graver grâce au pochoir.

Le plus difficile, ce sont les lettres  du texte à graver car il s’agit de  suivre chaque courbe des lettres en capitales d’imprimerie. Puis il termine au crayon le dessin et enfin  il grave le tout en passant par le bas d’abord et en remontant vers le haut après avoir débarrassé le bas des poussières et autres résidus et éclats de roche.

Ensuite le temps y applique une patine, soleil, pluie, vent, tous les éléments naturels qui viendront finaliser la gravure.

Il transporte dans son sac, ses outils, des burins, droit, plat, petit, grand. Des massettes, des bouges pour amorcer les arrondis et les courbes. Les bouchardes pour colorer la gravure, faire des ombres, poser un décor.

Il peut parfois rester deux jours sur place car il achève le dessin avant de redescendre au village. Son sac contient aussi de quoi se nourrir et dormir à la belle étoile.


 Son premier dessin, ce fut la rose de vents. 


ree

Ni montagne ni colline, c’est Garlaban


Ses livres et ses gravures sont un témoignage de vie. Il y a ainsi des hommes dans la montagne dont on ne connaît le nom que si l’on va vers eux. Longtemps méconnu, Louis Douard laisse des citations qui reflètent sa philosophie :

 « Gardez bien en mémoire, aubagnais de naissance ou de cœur, Rebelles sont vos collines, libres sont les promeneurs. Arrêtez-vous au pied de la croix, Baissez la tête un court instant : agnostiques, athées, incroyants, Nimbez votre âme de la paix du Garlaban. »
Tous les chemins mènent au Garlaban.

"Garlaban, c’est une énorme tour de roches bleues plantées au bord du Plan de l’Aigle, cet immense plateau rocheux qui domine la verte vallée de l’Huveaune. La tour est un peu plus large que haute : mais comme elle sort du rocher à six cents mètres d’altitude, elle monte très haut dans le ciel de Provence, et parfois un nuage blanc du mois de juillet vient s’y reposer un moment. Ce n’est donc pas une montagne mais ce n’est plus une colline : c’est Garlaban... .

Un immense paysage en demi-cercle montait devant moi jusqu’au ciel : de noires pinèdes, séparées par des vallons, allaient mourir comme des vagues au pied de trois sommets rocheux… »

Marcel Pagnol, La gloire de mon père, 1957.

Ginette Flora

 Septembre 2025

4 commentaires


viviane parseghian
05 sept.

Oh superbe, Ginette, un rendez-vous magnifique et une découverte trop belle ... merci ❤️

J'aime
En réponse à

Insolite, étonnant, admirable !

J'ai été vraiment conquise !

J'aime

Colette
05 sept.

Tu nous offres là, chère Ginette, une magnifique découverte, écriture y comprise !

Amitiés et belle journée avec 🌞

J'aime
En réponse à

Merci beaucoup, Alice.

Cela me fait d'autant plus plaisir que j'ai moi-même été heureuse de découvrir le Garlaban et d'y faire d'incroyables rencontres !

Belle journée ensoleillée pour toi aussi.

J'aime
bottom of page