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Le domaine dans les feuillus

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II y avait une place, il l’a prise, l’a lentement ajusté à ses dimensions. Il prenait de l’âge, ses bras s’étendaient, la viorne à ses côtés protestait.

Mais le sapin gagnait en force et maintien à mesure que les années passaient, il continuait à grandir et à multiplier ses aiguilles sur des ramures harmonieuses,  la  masse feuillue se développait comme une structure triangulaire, tous les étés il semblait vouloir s’évader. 


–  Non, non, lui dit la petite viorne qui s’est recroquevillée. J’aime te voir virer au pourpre quand les cônes apparaissent. Je ne m’en lasse pas. Accrochées aux aiguilles, elles annoncent une nouvelle saison.


Le sapin aux aguets s’était entouré d’une bordure en pierre. Il était vigilant et n’avait jamais cessé de veiller sur le bien-être de sa voisine.


–  Le lierre ne t’importune pas ?

–  Oh non ! Le lierre m’entraîne dans des folies mais je résiste. Je m’épanouis, je prends une  autre direction pour te laisser la place que tu désires.   


Le sapin connaissait le lierre pour l’avoir vu grimper sur la clôture et avancer inexorablement sans se soucier des protestations de son entourage. Il l’avait mis en garde.


– Ne t’approche pas de la viorne. Elle peine à donner ses  boules de fleurs neigeuses. Tu l’asphyxies en l’approchant de trop près.


En guise de réponse,  il avait reçu une  répartie cinglante.


–  Et toi, qu’est ce que tu lui fais en la noyant de ton ombre ?  Regarde-toi ! Tu n’es qu’un pauvre roitelet ! Elle a si peu de fleurs qu’elle n’arrive plus à t’illuminer !


Le lierre  était venu pour tisser des liens de bon voisinage. Personne ne l’avait invité ni cherché à savoir d’où il venait, il traînait ses lianes et cherchait à les accrocher. Il trouva la clôture. Le sapin avait pressenti un abordage, il était resté depuis lors sur le qui-vive mais pour le lierre hedera helix, qui n’avait pas de tronc, survivre c’était s’accrocher à un mur de barbelés, à  un crampon et s’enrouler pour y croître.


La clôture était attrayante et permettait une escalade multiple, il pouvait se fixer et tricoter un rideau de verdure. Il avait compris les humeurs inhospitalières du sapin qui  le suspectait d’asphyxier les arbres en pompant leur sève et les laissant exsangue. Il choisit de se lancer à l’assaut de l'assemblage de fil de fer. Le jardinier mécontent l’avait arraché mais le lierre était revenu sans se lasser et il s’était déporté pour éviter de passer par le sapin méfiant et en s’éloignant de la viorne qui semblait s’étioler. Il n’allait pas l’achever et s’attirer les foudres du sapin !

Il revint donc à la charge patiemment, chaque jour avançant sans se décourager en pensant à  sa prochaine destination.    

La viorne pensait au lierre comme à l’herbe des poètes et le parait de toutes les vertus tandis que le sapin s’évertuait à lui répéter que le sentiment de félicité  n’existait pas. La viorne lui répondait qu’elle avait aperçu un lieu où rien ne semblait impossible.


–  Le lierre est un ennemi, dis-tu, mais je suis entourée de bruits et d’étranges voix qui me parlent dans un langage que je ne peux supporter. Le potager d’herbes aromatiques est  entretenu comme s’il fallait se préparer à résister aux envahisseurs. Les fraises ont à peine mûri que le jardinier les ramasse avant que des corbeaux ne viennent les mordre. As-tu vu ce que pouvait être une fraise mordue,  éventrée dans  sa chair rougie ? Quand j’en vois une ainsi violentée, je sais ce que veut dire que d’être abandonnée. Ce n’est pas d’être rejetée ou oubliée, c’est de perdre et  sa peau et son cœur. 

Tout pique même tes aiguilles. Tu en es habillé de tous côtés, de haut en bas, tu portes une armure, ton feuillage est comme un surplis qu’on ne peut approcher. Viendra le temps des boules et des guirlandes, des lumières sur les branches, des étoiles à ton front,  je voudrais y croire et c’est de ce lieu que je parle, je l’ai vu, un lieu où je pouvais m’émerveiller de savoir que tu sais garder sur une de tes branches, une lueur qui ne s’éteint pas.   


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Ginette Flora / Photos du jardin d'été

Août 2025

2 commentaires


Invité
03 août

La viorne pensait au lierre comme à l’herbe des poètes"...j'adore le lierre et ton texte est une magie ... superbe .. e tla fin, mais que c'est beau !❤️

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En réponse à

Merci beaucoup, Viviane.

Le vert rustique, sauvage, sylvestre a un charme ensorcelant !

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