Le château de Barbe-Bleue, un opéra de Bela Bartok
- Ginette Flora Amouma

- 6 août
- 5 min de lecture

Bela Bartok
C’est un compositeur et pianiste austro-hongrois né en Autriche-Hongrie en 1881 et mort à New York. en 1945.
A la mort de son père, il a sept ans et sa mère contrainte de travailler davantage pour subvenir aux besoins de sa famille, part s’installer en Ukraine dans une petite ville appelée aujourd’hui Vynohradiv. C’est dans cette ville que Bartok commence à étudier la composition et s’essaie à se produire en concert en interprétant les œuvres de Beethoven. Mais la famille déménage une nouvelle fois et part s’installer à Bratislava en Autriche où il prend des cours de piano et d’harmonie.
En1911, il compose son seul opéra, le château de Barbe Bleue.
La musique est influencée par la composition de Claude Debussy dans l’opéra Pelléas et Mélisande, créé en 1902.
La musique de Bela Bartok ne s’éloigne cependant pas de la musique traditionnelle hongroise qu’il avait lui-même collectée auprès de la communauté rurale et étudiée en l’intégrant dans ses compositions. Il se rattache également aux légendes germaniques, un substrat qu’affectionne le genre romantique de son époque.
La composition
Bartok s’inspire du poème de Maurice Maeterlinck « Ariane et Barbe Bleue ». C’est son ami Bela Balatzs qui écrit le livret qui ne comporte qu’un seul acte.
L’opéra est représenté en Mai 1918 à l’Opéra de Budapest.
C’est en 1960 que l’opéra est mis en scène à l’Opéra Comique de Paris.
La pièce débute par un prologue parlé par un barde qui annonce l’histoire.
Puis un seul acte se décline sur l’existence de sept portes. L’acte suit la progression de l’ouverture des 7 portes du château.
Il n’y a que deux chanteurs : Barbe Bleue de tessiture baryton basse et Judith de tessiture soprano. L’apparition de trois femmes dans des rôles muets accentue le malaise généré par la pièce.
En une heure, le drame du face à face de l’homme et de la femme retient le public en haleine.
Argument, un seul acte, une seule heure, un seul lieu.
Judith arrive chez son nouvel époux, le duc Barbe-Bleue qui se marie pour la quatrième fois. Elle décide de refaire la décoration de son domicile et demande à ouvrir toutes les portes du château. Barbe-Bleue accepte à condition qu’elle ne touche pas à la septième porte qui restera close pour son bien-être. Mais Judith, morte de curiosité et de jalousie, ouvre la septième porte et découvre les femmes disparues de Barbe-Bleue, restées en captivité.
L’histoire est inspirée du conte de Charles Perrault où l’écrivain aborde les thèmes de la duplicité conjugale, du lien complexe de la femme et de l’homme dans un couple.
Le prologue
Le barde annonce un univers tragique : l’histoire du couple.
L’Acte 1
Inspiré du conte de Perrault et de l’opéra de Paul Dukas « Ariane et Barbe-Bleue », l’opéra de Bartok n’est fidèle aux autres pièces que sur un seul point. Aucune femme n’est assassinée, elles sont toutes cloîtrées et muettes alors que Dukas les ressuscite.
Avec Bartok, on n’est pas dans un face à face où on cherche à être vainqueur dans une joute malsaine mais on est dans un drame psychologique. La vie conjugale entre un homme et une femme est un échec.
Avec Bartok, le personnage de Barbe-Bleue est étonnamment généreux et ne présente pas les traits sordides d’un homme qui séquestre ou qui humilie sa partenaire. Il met en garde Judith qu’il y a un espace à ne pas franchir pour ne pas mettre en danger le couple.
De ce fait, le postulat posé, tout devient métaphorique. Les 7 portes, ce sont les temples de l’âme humaine, les propres combats, les propres libertés de l’homme, les lieux solitaires qu’on ne partage pas fut ce dans un couple car la solitude est le plus grand secret que porte l’humain dans son cœur.
Mais Judith veut comprendre son époux et obtient de lui d’ouvrir son âme, au moins cinq portes. Il lui laisse 5 clés quand elle cherche à réduire la distance qui se fait entre elle et lui. La 6ème porte est celle du « lac des larmes blanches ».
la 7ème porte s’effondre quand Judith supplie son époux de lui laisser vérifier la rumeur qui veut qu’il ait fait périr ses autres femmes par le sang. Mais il n’en est rien. Les autres femmes sont celles qui ne l’ont pas compris, elles aussi.
Judith rejoint les autres femmes figées par le souvenir que Barbe-Bleue conserve de ces femmes qui ont suivi le même chemin que Judith.
Judith est le nom d'un personnage qui dans la Bible présente une femme déterminée qui parvient à ses fins. La Judith de Bartok s’est mis en tête de " dévisser " l’esprit de son époux, d’en connaître les moindres recoins et cela n’a fait que la conduire à son plus grand malheur : elle le perd définitivement.
Entre les deux acteurs, il n’y a pas de véritable dialogue, d’une douceur égale. Il n’y a qu’un dialogue passionnel. C’est une tension qui se noue progressivement et qui détruit l’homme autant que la femme.
Terrible tragédie où la douceur n’existe pas. Barbe-Bleue n’est plus présenté comme un monstre mais comme un être qui cache une douleur secrète.
On pourrait se demander pourquoi il ne souhaite pas partager cette souffrance secrète avec son épouse comme si l’auteur veut dire qu’un lac de larmes ou un jardin personnel séparerait toujours l’homme et la femme.
Le danger en réalité ne vient pas de lui. C’est Judith qui fait voler en éclats ce qui pouvait être repêché.
Cet opéra s’inscrit dans un registre philosophique et dans le désir humain de vouloir faire briller une lumière dans ce qui est sombre, dans le tragique lien qui unit l’homme et la femme.
La portée de l'œuvre
Les symboles sont multiples, on peut chercher à retourner le récit de plusieurs manières, on est obnubilé par le thème du sang qui est dans la conscience récurrente mais qui n’existe pas dans la réalité : contraste du suggéré et du concret, de ce par quoi découle le cordon de l’incompréhension comme si tout est prédestiné, qu’un destin comparable aux textes grecs pèsent sur le couple. Il n’y a pas d’amour heureux.
Le décor et les bruits du château accentuent le tempo obsessionnel de l’enfermement, de l’envie d’en sortir, d’un écrasement qui s’amplifie … tout devient lourd.
Rien de féerique, les murs craquèlent, le château fait peur.
Judith a tout idéalisé en se mariant et les portes ont tout désacralisé. L'opéra nous ouvre les voies à une réflexion sur certains points tragiques :
- Le rapport entre la femme et l'homme, qui est le grand mystère de la vie en société.
- La tragédie de l'amour qui idéalise au premier abord et réalise que la vérité est une atroce imposture.
- La souffrance d'un être qui se sait porteur d'une blessure inguérissable d'où sa solitude et son incapacité d'aller vers l'autre.
C'est un opéra aux symboles complexes, d'une actualité troublante car c'est la peinture d'un drame existentiel où l'être humain et ses sentiments sont mis à nu.
Ginette Flora
Août 2025




Magnifique découverte Ginette et bravo pour ton analyse tes explications qui donnent envie ... toujours ...❤️