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La quête inoubliable

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Elle m’avait parlé d’une coupe ! Je m’en étais moqué ! S’il ne fallait que cela, une coupe de vin en l’honneur de notre amour eût suffi ! Elle avait froncé les sourcils. Juste ciel ! Qu’avais-je fait ? Je sentis qu’au fond d’elle-même elle avait tressailli. Qu’avait-elle compris ? J’esquissais juste une pointe, un de ces mots d’esprit qui eût délivré un sourire sur ses lèvres exsangues. Je ne pouvais accepter de la voir sombrer dans un tel épuisement. Alléger le tout par une badinerie, c’était ce que je voulais faire par tous les circuits de mon cerveau dévasté. Mais chaque mot suintait d’un sens que je n’avais pas pensé lui donner et que je ne pensais pas qu’elle le lui donnerait ou qu’elle prendrait ce mot dans un sens qu’elle seule avait  décidé de concéder. J’étais éperdu. De toute mon âme, je n’aurais pas voulu lui infliger une autre douleur, et quand elle se penchait, laissant  se répandre toute sa chevelure, je me rongeais l’esprit pour en extraire un mot qui l’eût comblée. J’alignais des phrases dans ma tête mais il y avait de quoi sourire, je retournais cent fois le mot avant de le lui présenter craignant  un regard étonné, une crispation de la bouche ou pire une explosion de mots qu’elle m’aurait débité à toute volée me laissant anéanti, vidé. Et je me maudissais. Etait-ce si difficile de trouver des mots gorgés d’un sel de jouvence qui lui auraient redonné des couleurs aux joues, du soleil au front, du baume au cœur ? Oui c’était difficile car elle ne laissait jamais le mot terminer sa trajectoire, elle l’arrêtait bien avant d’en être pénétrée et un « je t’aime, ma douce » signifiait pour elle « un quoi,  un je t’aime, non, non, laissons ce mot s’imprégner d’un silence étincelant » et je m’en allai, voûté, inquiet, empêtré par d’autres questionnements. Ereinté,  je ne m’approchais plus qu’avec un mot placé dans un calice que je lui tendais, priant qu’elle consentît à le boire sans que des nausées n’interrompent son cheminement.


- Ah oui,  riez, riez, manants que vous êtes, riez jusqu’à en être étranglé, quand de la parole vous ne connaîtrez plus que le râle ! 


 Pourtant je lui disais que la voir me remplissait d'une félicité jamais connue naguère, que le temps qu’elle entraîne avec elle, avait pris tout le sens qui faisait ma vie, que je ne cherchais plus rien qu’à l’accompagner dans ses derniers moments et que si soif j’avais, je pouvais m’étancher à son regard.  Elle avançait alors sa main si fine, la posait sur mon bras  et tous deux  nous regardions le jour, absorbés par les mêmes pensées. Elle fixait une direction de ses grands yeux pleins d’une lumière radieuse. Nous cherchions  sans doute déjà ensemble une  porte par où nous échapper mais elle avait peur. Elle savait qu’elle partirait avant moi. J’aurais dû comprendre sa terreur de ne plus me voir. Nos regards traversaient le ciel, passaient des frontières invisibles, nous étions harnachés par nos soupirs, nous caracolions. Qu’avait-elle peur de perdre ? Qu’avait-elle vu que je ne voyais pas et que je tentais de traduire dans ses yeux où j’avais échoué ? Qu’avais-je donc touché ? Quelle discrète mélopée avais-je levée ? Elle disait aussi que plus le chemin serait long, moins elle sentirait la fatigue de la traversée car auprès de moi elle pouvait se laisser aller à prendre le temps de rabattre quelques rêves. Et moi j’étais sur mon nuage ! Je lui souriais d’un sourire égaré alors qu’elle voyait déjà ce que peuvent voir les bienheureux !


–  Riez, riez encore, pauvres hères sans âme ! Esbaudissez-vous ! Je marche, je marche encore en ce moment, je progresse sur mon chemin, j’avance vers elle, je m’élance sur ses traces : me serait-il possible de parvenir à lui demander ce que je n’ai jamais osé lui demander ? Que voyait-elle dans ses songes ? Qu’y avait-il de si effrayant à lui dire qu’un jour je serai à ses côtés où qu’elle puisse être ?


– Il fallait oser le lui dire le jour même !, me reprocherez-vous.


– Mais quoi ? Saviez-vous  seulement sur quel nuage euphorique  je me trouvais ? Il eût fallu que vous fussiez à ma place ! Vous m’eussiez jugé avec plus de clémence !


–  Verbiage, que tout cela ! Il fallait lui dire que vous l’aimiez pour l’éternité ! 


 Ah ! Le mot est enfin dit. Pour l’éternité ! Mais non, je reculais,  je vivais dans un doux tangage ! Je me souviens  de son regard extasié quand elle disait :


– Tu vois, nous sommes la moitié  d’un vase qui se fermera pour ne contenir qu’une seule personne !  


 Me voilà chaussé de mes bottines cloutées, vêtu d’un blouson de montagne, lesté d’un sac à dos rempli de victuailles, debout sur la route sinueuse qui serpente devant moi. Je dois marcher. Vous me direz sur un ton bien narquois :


– Pauvre de vous, où vous dirigez-vous ?


Je vous répondrai avec cet air contrit qui lui arrachait des larmes :


– Le voyage est long ; au lointain, il y a la paix ! La paix de mon cœur !


Car je n’ai jamais pu l’oublier. Quand elle s’est éteinte tout doucement, tout s’en est allé tout doucement avec elle : le monde, le ciel, le temps, le bruit. Et j’ai sombré ! L’eût-elle voulu ? J’ai senti peser sur moi sa peine, le courroux de ses sourcils froncés ! Elle attendait de moi bien autre chose ! Et me voilà, marchant sur la longue route où je dévide mon cœur ; en m’en allant sur les  sentiers, je parsème mon âme ; à chaque pas, la quenouille se libère, mon chagrin se répand, je m’épanche très chère. Ô ma mie, que le chemin est long  pour arriver jusqu’à toi !

 Mes compagnons me regardent souvent. Je surprends parfois un regard inquisiteur. Et aussi quelques sourires ironiques. J’en suis transpercé ! Une peine me laboure les entrailles. Qu’eussiez-vous compris de ce périple, compagnons  que voilà ! Qu’y a-t-il d’inscrit sur ma face blême pour que vous vous en amusiez ? Tu l’eusses saisi, ô ma douce, du fond  de ton firmament, tends moi la main.

 Avec mes cartes déployées sur mes genoux, je souligne mon parcours. Il est jalonné de haltes, d’auberges, de gîtes, d’aires de  repos. Puis j’ai sillonné la lande couverte de genêts et d’ajoncs. En marchant sur la bruyère, j’ai cueilli des fleurs mauve minuscules. Comme tu la contemplais cette lande où nous nous sommes rencontrés : j’avais oublié les senteurs, la brise marine, le soleil langoureux, le vent sifflant !

 Puis apparurent les monts qu’il fallait gravir. Mes compagnons peinaient. Je ne sentais rien. Je ne voyais qu’une ligne à l’horizon, la lueur lointaine qu’il me fallait atteindre.


– Là-bas brille une lumière, m’avais-tu déclaré en déposant un doigt sur ma joue tandis que je te regardais, couverte de pierreries, de cet or tombant du ciel, de ces topazes se  déversant sur tes cheveux, toi toute couverte  de  rubis, de perles, de  feux rutilants, de cette luciole argentée après laquelle je cours, ô ma douce, de ces joyaux que je recherche, moi, stupide, incrédule, qui galope après l’insondable !

Les buissons d’aubépines que j’écrasais ensevelissaient mon chagrin qui se déversait dans la terre ; les pistes poussiéreuses s’allongeaient. Dieu ! Que nous étions heureux, souviens-t-en, toi qui as tout emporté ! Et puis un jour, j’ai vu : oh certes, il a bien fallu me frotter les yeux ! J’ai cru voir bouger une étoile !


– Riez, riez, tristes vagabonds que vous êtes ! Vos misères arriveront-elles à égaler les miennes ? Je ne souhaite pas vous voir jamais porter cette peine.


 Et puis un jour, oui,  tout changea, un jour, un matin, que sais-je ? J’ai senti le vent me refaire le ciel que je ne voyais plus. Les arbres ont repris leur vieille et familière allure. Au travers des feuillages, j’ai vu le temps s’écouler. Le soir, en me couchant dans une chambre d’auberge, j’ai replacé ma montre sur la table de chevet. Les aiguilles ont révélé la présence du jour et de la nuit. J’ai reconnu leur tic-tac immuable. Dans le sablier, les grains s’écoulaient et moi, je remis mes affaires sur l’étagère habituelle. J’ai entendu tes pleurs ! C’est à cet instant que je t’ai consolé ! Oui, moi, si maladroit, si gauche,  j’ai tendu la main et su essuyer toutes tes larmes ; j’avais atteint le bord du temps qui sans nous dépasser  a su nous embrasser. Que les pierres de la mémoire se dressent  plus hautes, plus lourdes, plus imposantes que les citadelles de l’espoir ! Je tremble de t’entendre dans l’orgue de la pluie. Je tressaute sous l’ardente brûlure du soleil. Je vibre aux cris du vent qui gémit comme une harpe et te lire dans les fougères craquantes m’a montré un chemin que je ne pensais pas connaître. A petits pas, j’ai su t’atteindre ; puis le moment venu, j’ai seul connu le vertige de t’étreindre. Et ma soif inextinguible de toi, j’ai pu l’épancher à la coupe dont tu parlais, à la coupe de l’éternité.

Ginette Flora

Mars 2018 / mise à jour Octobre 2025

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