La porte du ciel
- Ginette Flora Amouma

- 23 mars 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 mars
La porte du ciel
Céline regardait toujours le ciel en penchant la tête vers la droite, vers la gauche. Le ciel, lui, ne bougeait pas. Il était présent en entier partout où la petite fille allait. Elle tenait serrée contre elle un petit nounours du nom de Poky.
Céline et Poky regardaient souvent le ciel, le trouvaient immense, plein d’étoiles et de légers nuages clairs. Oui, le ciel si grand plaisait beaucoup à Céline, elle le racontait à Poky:
– Tu sais, Poky, moi, j’aimerais bien savoir ce qu’il y a dans le ciel. Et toi ?
Le petit nounours aurait bien aimé savoir parler pour dire à Céline que lui aussi était curieux de connaître le ciel. Il aimait beaucoup la petite Céline.
La petite fille était si jolie avec ses cheveux noirs et bouclés et ses grands yeux aux cils recourbés. Son visage bronzé avait la couleur du pain d’épice. Elle portait de jolies robes à dentelles et aimait beaucoup rêver. Elle parlait même souvent toute seule !
Poky ne pouvait pas lui répondre et cela le rendait tout triste. Parfois, il agitait son oreille que Céline mordillait pour soulager une pensée qui venait la déranger.
– Qu’est ce qu’il y a là-haut ? demanda un jour Céline.
Seul Poky entendit la petite question mais Poky n’était qu’un pauvre petit nounours.
Alors le petit ours mille fois embrassé eut une idée.
Lorsque Céline se leva pour aller dans la cuisine où sa Maman avait préparé un goûter, Poky décida de glisser à terre.
De sa cuisine, Maman cria :
– Céline, ton nounours est tombé !
– Qu’est-ce que tu faisais à regarder le ciel ? dit soudain Maman.
Céline ramassa le petit ours et demanda :
– Qu’est-ce qu’il y a dans le ciel, Maman ?
Maman regarda longtemps le visage de sa petite fille et y vit une grande curiosité. Alors elle répondit :
– Dans le ciel, il y a le pays de Grand-mère.
– Grand-mère ? demanda Céline, étonnée.
– Hé oui, là haut, c’est le pays de Grand-Mère, de Grand-père et de toutes les personnes que tu n’as pas eu le temps de rencontrer.
Depuis que Céline savait parler, elle n’avait pas cessé de demander où était Grand-Mère. Tous les enfants de l’école parlaient de leur grand-mère. Elle n’avait jamais su quoi dire.
Maman ne pouvait pas répondre à sa toute petite fille que Grand-Mère était morte. Quel mot terrible, un mot que Céline risquait de ne pas comprendre. Où poser un tel mot ? Sur quoi ? Sur la table ? Au coin du jardin ? Plus loin encore ?
Le mot ne renvoyait à rien sauf à la porte du ciel.
Maman avait cherché depuis longtemps comment répondre à la question de Céline. Elle était contente d’avoir trouvé enfin une réponse. Comme Céline passait son temps à regarder le ciel, il était simple de répondre que Grand-mère était au ciel.
– Grand-mère est allée ouvrir la porte du ciel. Elle a pu le faire. C’est une porte qu’on ne peut pas ouvrir. On l'ouvre ou on ne l'ouvre pas.
– Et quand on l’ouvre, qu’est ce qu’il y a de l’autre côté ?
– Le problème, c’est que quand on l’ouvre, on ne peut plus revenir en arrière pour raconter ce qu’on a trouvé de l’autre côté.
– Alors on ne saura jamais quel est le pays de Grand-Mère ?
– On peut l’imaginer. C’est peut-être pour cela que tu regardes si souvent le ciel. Tu dois découvrir beaucoup de choses. C’est à toi de nous raconter ce que tu vois dans le pays de Grand-mère.
– Moi je vois des étoiles, des nuages, parfois on dirait des anges, des sortes de fées qui volent. C’est vrai qu’il y a du monde de l’autre côté. Quand on regarde bien le ciel, on voit des choses bouger. Les nuages ressemblent à des maisons et puis parfois, des lumières s’allument. Il y a des couleurs. Le soleil est comme un visiteur, il vient quand il veut, il réchauffe et puis il s’en va comme s’il était attendu ailleurs.
– Grand-mère aimait les fleurs. Elle en fait sûrement pousser aussi là-haut, tu ne crois pas ?
– Oh sûrement, elle a un jardin !
– Tu veux connaître les noms de fleurs que Grand-mère avait dans son jardin ?
– Oh oui !
– C’est pour elle, en souvenir d’elle que j’ai mis tant de fleurs dans notre jardin, des roses, du jasmin, des iris, des violettes.
– Et à l’intérieur du ciel, elle a fait fleurir aussi ses balcons !
– Viens avec moi, je vais te montrer.
Et Maman prit la main de Céline et l’emmena jusqu’au bout du ciel.
Le ciel paraissait toujours s’étirer plus loin et devenir chaque fois plus immense de sorte que l’histoire de Maman paraissait ne jamais finir.
Maman lui raconta que Grand-Mère aimait tricoter, qu’elle avait réalisé de beaux napperons au crochet et qu’elle aurait aimé lui tricoter des chandails.
Céline réfléchit un moment et déclara :
– Je suis sûre que maintenant qu’elle a retrouvé son pays, elle entoure les nuages de dentelles au crochet. Je suis sûre que les étoiles sont cousues de fils d’argent et d’or et que si elles brillent la nuit avec tant d’éclat, c’est que Grand-mère a posé des paillettes sur chacune des pointes. Je suis sûre aussi que si la lune est si blanche, c’est qu’elle a un bon gros chandail bien doux sur son épaule. Je suis sûre que le ciel tout entier appartient à Grand-mère. C’est son pays à elle et il est bleu quand elle lui met des fils bleus et le ciel devient rouge ou rose quand elle lui tricote des reflets rouges.
Elle utilise toutes les couleurs, le blanc pâle du petit matin, le bleu clair du jour, le bleu foncé de midi, le gris clair de l’après-midi, le rouge du crépuscule et le noir de la nuit. Comme la nuit est trop noire, Grand-mère brode dessus une lune blanche, des étoiles pleines de lumière et des points qui clignotent là-bas très loin quand on regarde le ciel.
– Si on montait en haut, proposa Maman
– Oh oui !
Céline et Poky bondirent dans l’escalier, Maman préférant suivre à petits pas.
Le grand escalier avait vingt cinq marches mais Céline au bout des dernières marches, arrêta de compter. L’escalier était haut, très haut, on montait, on montait …
– Mais alors, où vit Dieu ?
La question prit Maman au dépourvu.
– Tu vois, avec le temps et avec les années qui passent si vite, je ne sais plus si c’est Dieu qui vit au pays de Grand-mère ou si c’est Grand-mère qui vit au pays de Dieu. Tout se mélange dans ma tête. Je sais seulement que c’est un pays merveilleux où vivent des gens merveilleux qu’on ne peut plus voir. Viens, on va faire un tour.
– Non, il y a le jardin.
Elles grimpèrent sur l’arc en ciel qui servait de passerelle et arrivèrent dans un jardin chargé de fleurs. On entrait dans un domaine enchanté. Des fleurs de toutes les couleurs jouaient autour d’un étang. Des enfants écrivaient des petits mots sur leur carnet.
Maman dit alors :
– Je me souviens de ce qu’elle a écrit :
« Il était une fois
Au fond de ces bois
Ce que même les rois
Ni les fées ni les dieux
N’auront jamais
Je l’ai trouvé »
Combien de petits secrets ont été écrits ici au bord de l’eau et là dedans elle a dû y mettre ses joies, ses peines et ses espoirs. Après tout, je ne sais pas non plus qui est Grand-mère.
Céline l’avait compris, au pays de Grand-mère, il y avait de la place pour prendre une immense joie qu’elle ressentait en regardant le ciel avec son Poky serré tout contre elle.
Chaque fois qu’elle s’arrêtait pour penser, elle sentait que son cœur avait besoin de croire au merveilleux bonheur que donne le pays de Grand-mère.
Longtemps, le ciel devint son domaine secret. C’était un secret extraordinaire car il était à la fois caché et présent, triste et lointain, fâché comme Poky mais content quand tout allait mieux et d’un bleu à vous faire rêver tout le temps.
Mars 2023




Cest trop beau, Ginette ... ton monde est une lumière !❤️
Merci de nous faire partager, Ginette, ce joli moment d'évasion en compagnie de Céline et Poky...
Une réponse pleine de poésie à la question aussi désarmante que touchante d'une enfant... De bien belles images (au fil) de ce texte d'une tendresse infinie. Que cela fait du bien, Ginette ! ^^
Un texte délicat et profond, de la pure émotion, comme tu sais si bien l'induire par tes mots, Ginette.
Merci de ces douces lignes qui nous font rajeunir... comme au temps des histoires racontées par les parents et les grands parents, pour ceux qui les ont connus...