La page du mélomane XXII -Thaïs ou le faste lyrique de Jules Massenet
- Ginette Flora Amouma

- 7 oct.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 oct.


L’opéra « Thaïs » du compositeur Jules Massenet repose sur des accents personnels éprouvés par les deux personnages principaux. En donnant la parole à Thaïs qui confronte Athanaël, Massenet révèle le combat de l’âme de la femme.
En trois duos, le compositeur fait éclater toute la dimension psychologique et philosophique des deux personnages clés de l’opéra. La tradition mettait toute son énergie à analyser le cheminement spirituel du moine cénobite qui veut faire triompher son discours sur la foi en Dieu. Massenet donne par contre une grande place aux sentiments de ses deux personnages.
Ainsi 3 duos sont décisifs pour comprendre l’évolution de leur caractère, de leur démarche, trois duos qui sont particulièrement mis en valeur par Massenet.
– Le duo de l’Acte 1 et 2 quand Athanaël confronte Thaïs et la conjure de renoncer à ses turpitudes.
– Le duo de l’oasis quand se révèlent les sentiments humains que chacun a voulu occulter mais qui, au contact de la solitude et du vaste silence, déclenchent la véritable nature de leur attachement réciproque. C’est un moment magique où Massenet laisse libre cours à son lyrisme émotionnel.
– et le duo final où les deux personnages ne parviennent plus à s’unir.
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Le duo de l’Acte 1 et 2 où Athanaël essaie de convaincre Thaïs de se convertir.
Le duo de l’oasis dans le désert où par une miraculeuse transformation, les deux personnages se délectent d’un moment rare où tous deux éprouvent une sincère émotion face à leurs âmes dénudées.
Le duo final implacable où ils sont séparés quand l’un s’approche d’elle et que l’autre s’échappe vers Dieu.
En 3 duos, Massenet donne du personnage de Thaïs issue de l'Egypte antique, un portrait sensible, intéressant et davantage dirigé vers l’expression d’un sentiment. Ici, avec Massenet, le cœur s’ouvre d’une façon déchirante.
Les origines du récit
1/ Il existe un fait historique qui rapporte qu’au IVème siècle av JC. , la vie d’une courtisane qui était la maîtresse du général Ptolémée, un des généraux d’Alexandre le Grand, fit grand bruit quand elle accompagna la suite royale lors de l’expédition vers l’Asie. Elle était réputée pour sa beauté. Sa vie de jeune femme indépendante exerçant un métier qui la plaçait en dehors ou du moins à la limite des conventions établies, explique sa présence auprès de la gent masculine.
2/ Mais le récit sur lequel repose l’opéra de Massenet est celui de Thaïs, une pécheresse publique ayant vécu dans l’Egypte ancienne. Elle était connue pour sa beauté et son esprit. Elle fut convertie par un ermite Paphnuce et amenée dans un couvent pour être placée dans une cellule. Après un isolement de plus de trois ans, afin d’expier ses fautes, elle fut autorisée à réintégrer la communauté religieuse où elle ne vécut qu’une dizaine de jours.
On la fête le 8 Octobre.
3/ Anatole France comme Massenet choisit ce récit de la Thaïs d’Egypte pour écrire son roman en 1891, un roman éponyme où il évoque cet aspect de la femme courtisane, frayant dans un milieu d’intellectuels qui débattent sur les sujets sociétaux.
C’est dans ce contexte que la vie de Thaïs est mentionnée par l’auteur qui décrit la tentative d’un abbé des premiers temps du christianisme et vivant une vie monastique rigoureuse, de convertir Thaïs une comédienne à la vie dissolue, à la mener vers une forme de vie plus raisonnable. L’abbé énumère les subtilités d’une vie consacrée à la louange d’un seul dieu.
Le moine arrive à la convaincre mais son accointance avec la comédienne change peu à peu sa vision de la vie. Il connaît un trouble qui ne cessera pas de le hanter et de le ronger. En allant la retrouver au couvent où elle s’est retirée, l’abbé finit par avouer son amour pour elle et par renier Dieu sur le lit de mort de Thaïs.
4/ Jules Massenet reprend le récit d’Anatole France mais il y met sa touche musicale personnelle. On est à l’époque romantique, les genres littéraire et artistique naviguent en plein courant romantique. Wagner, Verdi, Schonberg font résonner leurs violons et leurs cuivres, flûtes et cordes délivrent leurs arpèges. Massenet n’échappe pas au vibrato environnant du combat entre le divin et l’humain et l’expression d’un cœur qui s'épanche librement.
L’œuvre de Massenet
Le duo de l’Acte 1 et 2
Ce duo est d’autant plus important qu’il aboutit au noyau central de la pièce qui est la célèbre méditation de Thaïs. Elle est jouée sur violon, sans paroles mais l’acuité d’une voix qui circule sur les notes lui donne cette impression étouffée de psaume sacré.
Athanaël ne mâche pas ses mots pour convaincre Thaïs de renoncer à la vie dissolue qu’elle mène au milieu d’une plotée de gens oisifs et licencieux.
Thaïs qui vient de se faire une réflexion semblable en se regardant dans le miroir et en y voyant apparaître ses premières rides, se rend compte que quelque part Athanaël a raison même si au fond d’elle, elle ne supporte pas le ton ostentatoire du moine qui lui parle de la chose divine.
Mais déjà, le moine ressent les premiers effets de la séduction qui se dégage de la courtisane, lui qui a refoulé ses pulsions et ne s’exprime que sous le voile des apparences.
« Qui te fait si sévère ? », lui dit-elle comme si elle sentait sous la violence des propos échangés, la violence des émotions refoulées.
Le duo de l'oasis et le duo final de l'Acte 3
L'Acte III s’appuie sur deux duos contrastés de la tournure qu’a pris la passion d’Athanaël qui comprend qu’il s’éloigne de sa foi alors que Thaïs s’en rapproche et que par elle s’explique la douceur de l’oasis où les signes de l’appel vers dieu se faisaient sentir quand elle contemplait Athanaël avec déjà les yeux d’une foi mystique.
Or Athanaël n’a pas vécu ces instants de la même manière. Il en est dévasté et son appel ne s’adresse plus qu’à une morte qui a rejoint d’autres célestes félicités.
Ce faste lyrique est révélateur du travail de Massenet qui par la musique donne vie et puissance à des personnages qui dans le roman d’Anatole France ne sont que l’illustration d’un débat philosophique : croire ou ne pas croire en Dieu, débat que le romancier clôt en disant que l’indifférence est une démarche qui permet de vérifier l’invérifiable : qui détient la vérité sur un sujet où personne ne détient la vérité ?
Thaïs est plus qu’une pièce sur le désir charnel et bien plus que l’appel mystique vers un au-delà. C’est la transformation intime de deux êtres confrontés à ce que leur âme leur dévoile. Un chant sombre se dégage chez Athanaël qui avoue ce qu’il a vainement essayé de dissimuler : l’amour pour une femme. Le duo final est un renversement de la situation amenée délicatement et subtilement par le duo de l’oasis.
Deux duos où les deux personnages assument enfin ce qui les troublait. Le duo de l’oasis se révèle être comme une grâce qui leur est accordée dans le cheminement vers un destin qu’ils ne peuvent pas arrêter. Les deux duos sont les deux extrêmes de la passion qui se joue dans le désert.
Est-ce de l’amour noble sur lequel s’effraie le moine qui connaît la brûlure du corps au point que lui soit révélée sa véritable nature ou est-ce du désir dans le sens le plus trivial et primitif du terme ?
Le sujet est débattu, longtemps débattu, à jamais débattu. Quand on réécoute l’opéra, après avoir étudié le sujet et pu s’approcher de la façon dont il résonne en nous-mêmes, on peut se rendre compte qu’il n’est point besoin de s'appesantir sur de longues analyses. Massenet écrit la musique de la sainteté comme il décrit aussi la musique de la passion. Ce sont les deux cordes sensibles de notre être intime.
Les vers enflammés d’Athanaël dont on ne s’attend pas à ce qu’il tienne des propos aussi complets et ardents nous éclairent sur notre humaine condition.
Rien n'existe, rien n'est vrai
que l'amour et la vie des êtres. ( Acte 3)
Entre Athanaël et Thaïs, ce n’est ni une liaison ni une connexion ni une attirance qui s’est produite. La traversée du désert, la vie commune dans le dénuement et la simplicité, a lentement façonné deux aspirations différentes : sable et silence ont fait le reste.
Toute la magie de l’écriture musicale de Massenet se trouve concentrée dans ces deux duos. Massenet est l’observateur de l’âme féminine, des combats qui s’y agitent, de l’impossible solution à donner à des troubles qui s’y sont tenus en laisse. Il s’ingénie à faire vivre quelques moments de grâce comme si l’abandon à la douceur pouvait ramener un peu de rémission aux âmes exaltées.
A te voir revivre, je goûte une douceur meilleure
Ô douceur ineffable ! (Acte 3)
Si le duo final est déchirant et irréversible, combien est vivifiant et salutaire le duo de l’oasis où l’on y étanche la soif de la paix !
Ginette Flora
Octobre 2025
Divers documents usuels consultés :
Olyrix, Radiofrance, Operabase, ForumOpera




c'est beau, merci de ce voyage en Ailleurs, Ginette ❤️
un opéra bouleversant qui ne peut laisser indifférent. Merci Ginette pour cette évocation !
Superbe Opèra de Jules Assenet ! Ce n'est pas pour rien que ma petite Shih tzu s'appelle Thaïs. J'adore entendre le violon qui se languit et me boulverse !
Merci chère Ginette pour ce superbe partage. 😍