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La page du mélomane X - Shirley Verrett

Dernière mise à jour : 8 oct.


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 Ô ma lyre immortelle

Qui dans les tristes jours

A tous mes maux, fidèle

Les consolait toujours

 

En vain ton doux murmure

Veut m’aider à souffrir

Non, tu ne peux guérir

Ma dernière blessure

 

Ma blessure est au cœur

Seul le trépas peut finir ma douleur, ma douleur

 

Adieu flambeau du monde

Descends au sein des flots

Moi, je descends sous l’onde

Dans l’éternel repos

 

Le jour qui doit éclore

Phaon, luira pour toi

Mais sans penser à moi

Tu reverras l’aurore

 

Ouvre-toi, gouffre amer

Je vais dormir pour toujours dans la mer, dans la mer !

Acte III- Sapho, opéra de Charles Gounod


Ce fut pendant toute sa vie de chanteuse pour Shirley Verrett que de pouvoir étendre sa voix plus loin, plus haut que la tessiture mezzo soprano.

Pouvoir chanter des notes qui vont du Sol grave au Si aigü est l’ambition de Shirley Verrett, qu’elle tentera toujours de maîtriser, ne parvenant parfois qu’avec effort.

Elle sait alors qu’en mezzo soprano, elle est sublime, que les rôles de femmes blessées, ne trouvant plus la paix que dans la mort lui conviennent.

Dans le rôle de Sapho, Acte III de Gounod, elle est inoubliable. On est à la fin de l’opéra. Sapho se voit éconduire par celui qui l’aimait. Elle chante sa détresse et se jette dans la mer.

 

 Shirley Verrett, l’enfant qui rêvait de chanter


Elle  est née en Mai 1931 à la Nouvelle-Orléans, elle décède en 2010 à l’âge de 79 ans. Elle grandit au sein d’une famille très croyante qui lui enseigne la musique ; son père est chef de chœur à l’église adventiste de sa commune. Elle apprend à chanter dès son plus jeune âge mais l’éducation et la foi dans lesquelles elle est élevée sont des barrières pour son rêve de devenir chanteuse d’opéra.

Ses parents mettent un frein à ses ambitions. Elle continue à avancer dans la vie de la façon la plus conforme aux obligations familiales. Après ses études, elle travaille comme agent immobilier sans pour autant renoncer à sa passion qui est le chant. Elle se produit dans des concours mais à 24 ans, elle s’est mariée à James Carter, un adjoint du maire.

 En 1951, consciente qu’elle ne peut se suffire d’un quotidien malheureux auprès d’un mari abusif et violent, elle met fin à son mariage quand elle découvre une arme sous l’oreiller du quidam. Dès lors, elle  saisit toutes les opportunités pour se produire dans les événements musicaux et se fait remarquer par sa prestation lors d’une émission télévisée qui lui permet d’obtenir une bourse pour entreprendre des études de chant à la  Juilliard School de New York en 1955. Elle donne parallèlement à ses études des récitals et des concerts qui lui assurent une première entrée dans le monde musical.  

On comprend mieux pourquoi sa carrière à l’opéra n’a débuté que tardivement, Shirley Verrett devait prendre le temps de s’affranchir des obstacles qui lui barraient la route vers la grande musique.

En 1956, elle assiste aux débuts de Maria Callas au Metropolitan Opera de New York et c’est à ce moment que se produit chez elle la révélation : elle sera une cantatrice d’opéra, pas seulement concertiste et récitaliste mais une mezzo soprano voire une soprano de scène.  

  Ses débuts 1961-1973


En 1957, elle chante dans une pièce de Benjamin Britten «  Le viol de Lucrèce » et en 1958, elle participe à une production  «  Lost in the stars »  de Kurt Weill.

 En 1959, elle joue dans Rasputin’s end de Nabokov.

En 1961, elle remporte le concours d’entrée au Metropolitan opera de New York et à partir de 1962, elle entame une carrière internationale  où elle se produit sur toutes les scènes de l’opéra des grandes villes. Une diva est née. Plus de 40 rôles se succèdent durant cette intense période où sa tessiture de mezzo soprano fait merveille tandis qu’elle  essaie de parfaire sa double tessiture, d’aller du sol grave au si aigu.



 En 1962, elle joue Carmen, un rôle qui sera repris à Moscou, à New York, à la Scala de Milan , au Met de New York.

En 1963, elle épouse Lou Lomonaco, un artiste avec qui elle a un enfant.

En 1966, elle  est Ulrica dans un ballo in maschera  

- Azucena dans Le trouvère de Verdi ; Eboli dans Don Carlos de Verdi ; Amneris dans Aïda de Verdi

- Dalila dans Samson et Dalila de Saint-Saëns.




- Orfeo de Gluck.

Elle enchaîne sur le bel canto dans les opéras de Donizetti.

En 1973, elle fait sensation en jouant deux rôles le même jour. Shirley Verrett remplace  au pied levé Christa Ludwig malade et dont le rôle de Didon est interprété par Shirley qui assure déjà le rôle de Cassandre dans la même pièce «  Les Troyens «  de Berlioz.

 L’événement reste dans les annales du Met.

 

   Les années glorieuses 1975-1995


Elle joue les grands rôles, elle est sollicitée pour jouer la Tosca de Puccini, Aïda de Verdi, Lady Macbeth de Verdi,  Amelia dans Un ballo in maschero de Verdi…




 En 1975, elle fait l’ouverture de la Scala  de Milan avec Lady Macbeth de Verdi. Elle joue Norma  de Bellini.

 En1976, elle fait l’ouverture du Met avec la pièce de Rossini l’Assedio di Corinto

En 1981, elle est Desdemona dans Otello de Verdi.

En 1983, elle est Leonore dans Fidelio au Met,  le seul opéra de Beethoven.

Elle est également Selika de « l’Africaine » de Meyerbeer ; Judith du château de Barbe Bleue de Bela Bartok ; Mme Lidoine dans les dialogues des Carmélites de Poulenc.


Ses débuts en France

 Iphigénie en Tauride de Gluck

 Médée de Cherubini

 Sinaïde dans Moïse de Rossini



 Frédéric Mitterrand, alors Ministre de la Culture en 2010 dit d’elle :

 «  Nourrie de culture française, elle a gardé toute sa vie ce lien d’affection. » 

 En 1990, elle interprète Didon dans Les troyens de Berlioz pour l’ouverture de l’opéra de bastille.

 En 1994 à Broadway,  elle joue dans « le Carousel » de Richard Rodgers, une comédie musicale avec la célèbre chanson «  You’ll never walk alone » 






Elle donne aussi des récitals en interprétant les grands classiques de Schubert, de Brahms, de Mahler à Milhaud.


 Les années d’enseignement 1996 à 2010


Elle met fin a sa carrière pour se consacrer à l’enseignement en tant que professeur de chant à l’université de Michigan et à l’université de théâtre et de danse.

En 2003, elle publie ses mémoires en reprenant et s’inspirant du solo pivot de la chanson phare du  Carousel « You’ll never walk alone «   et donne à son ouvrage le titre de :

 «  I never walked alone » où elle raconte les difficultés d’être une personnalité noire dans une Amérique encore marquée par les turbulences ségrégationnistes. On lui disait qu’en raison de la couleur de sa peau, elle ne pourrait pas interpréter certains rôles. Mais Shirley a fait de sa voix l’arme qui lui permet de franchir les obstacles. Et elle résiste à la discrimination.  

Quand tu traverses une tempête

Garde la tête haute

Et n’aies pas peur du noir

À la fin d'une tempête

Il y a un ciel doré

Et le doux chant argenté d'une alouette

 

Marche à travers le vent

Continue à marcher sous la pluie

Même si tes rêves sont ballottés et soufflés

Continue, continue

Avec de l'espoir dans ton cœur

Et tu ne marcheras jamais seul

 

Tu ne marcheras jamais seul

Continue, continue

Avec de l'espoir dans ton cœur

Et tu ne marcheras jamais seul

Carousel de Rodgers - 1945

 

On dit qu’elle est une survivante, qu’elle sort indemne de l’arène où sa voix devait porter tous les rôles de grande tragédienne.

En 1995 au cours d’une interview, elle confie :

 « Je ne chante que les airs qui conviennent à ma voix et qui sont dans mes cordes vocales. »

Considérée comme une personnalité très originale de l’opéra au XXème siècle, elle a interprété des rôles de femme blessée. 

 Ses contributions aux collèges et aux universités adventistes sont nombreuses quand elle accepte de se produire en tant que chanteuse. Ses actions humanitaires et ses récitals pour un but caritatif permettent de comprendre l’héritage qu’elle laisse. En 2011, une bourse Shirley Verrett récompense chaque année la personne qui soutient la réussite des étudiants dans le domaine  des Arts. 


Le fil conducteur de sa carrière


Sa voix n’est pas ce qui  fait sa gloire. C’est sa volonté et une grande lucidité qui font d'elle un grand personnage du monde lyrique. Elle observe ce que sa voix peut faire et n’accepte que les rôles qu’elle peut moduler. Incarner la puissance de l’émotion a été pour elle  son plus grand défi. Car pour ce faire, la voix doit déjà posséder  le don, la vibration interne, innée. Ses ressources vocales, elle ne les a pas reçues. Sa voix est une métamorphose de ses possibilités vocales, fruit d’un dur labeur, patient et inlassable.


A ce sujet, un article du diapason mag écrit :

 Comme d'autres, Shirley Verrett avait glissé, avec plus ou moins de succès et de soucis vocaux selon les soirs, des rôles de mezzo (Amneris, Eboli, Leonora, Orphée...) vers des emplois de soprano (Tosca, Norma, Desdémone, Médée, Leonore, Iphigénie, etc., sans oublier Lady Macbeth, que Deutsche Grammophon a immortalisée au disque sous la direction d'Abbado). Au milieu des années 1990, elle avait honoré sa passion pour le musical en jouant dans Carousel, à Broadway

Callas avait un don. Verrett n’avait pas de don mais un acharnement à vouloir atteindre le but qu’elle s’est fixé : être une chanteuse lyrique.  D’où le travail qu’elle a entrepris  et que l’on peut imaginer quand on n’a que l’amour.


Wikipédia rapporte en des termes suivants :

De mezzo-soprano, Shirley Verrett a réussi la transition vers des rôles de soprano sfogato et dès 1970, elle joue des rôles de soprano.

D’aucuns disent que la voix de Verrett n’est pas embrasée. Il y a de l’éducation dans sa voix, elle a tout appris. C’est l’artiste qui perfectionne la technique.

Et c’est pourquoi elle connaît ses limites. C’est l’héroïne tragique,  arrivée à un degré où elle peut interpréter techniquement, elle incarne les rôles sans en être incarnée.

Sa tessiture mezzo soprano est parfaite. C’est Shirley qui donne à sa voix une double tessiture en travaillant l’ambitus, la capacité d’étendre la voix d’une note la plus grave à la note la plus aiguë pour s’approprier la tessiture soprano.

La voix de Shirley Verrett atteint des sommets en tessiture mezzo-soprano mais qui est portée jusqu'à la démesure vers la tessiture soprano.

Le musicographe Jacques Bourgeois (1912-1996) résume la personnalité de Shirley Verrett :

 «  Elle restera sans doute, à côté de celle de la Callas, une des incarnations majeures du théâtre lyrique depuis la guerre. Le public de la Scala la surnommait la Nera Callas. » 

Ginette Flora

 Juillet 2025


6 commentaires


Foropera
16 juil.

C'est étrange de dire que Verrett s'est battue toute sa vie pour avoir un Si aigu, elle qui montait au contre-mi bémol en vocalises, et a chanté des centaines de fois les contre-Ut de Lady Macbeth, Azucena, Tosca...sans parler de son aisance sur le fameux contre-ré bémol sur un fil de voix de la scène de somnambulisme de Lady Macbeth. Verrett affirme avoir commencé comme soprano pendant ses études, et avoir dû se plier à la catégorisation de mezzo par sa prof de la Juillard school à contre coeur. Elle estime que son bas-médium a été en partie endommagé par ces années à chanter des roles trop bas pour elle.

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Comme je l'ai toujours pensé, seul un mélomane peut ajouter d'autres commentaires plus affutés, plus pointus, plus à même d'intéresser les profanes qui n'ont que pour outils, les affirmations du Net .

Il faut beaucoup de lectures d'articles avant d'arriver à trouver le phrasé juste pour écrire un article sur la musique. Et certains articles du Net avancent d'autres opinions.

D'où l'ouverture de cette nouvelle catégorie qui manifestement semble vous intéresser et a fait sortir le loup de sa tanière.

Merci toutefois pour ces détails qui montrent davantage combien Shirley a dû affronter bien des emprises et des diktats pour pouvoir chanter librement .

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viviane parseghian
13 juil.

Quelle grande dame et quel destin ! merci Ginette pour ce voyage ... encore si nouveau pour moi !❤️

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Femme comme nous-mêmes, elle nous ressemble avec ses combats et ses élans de coeur.

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Élisabeth
11 juil.

Encore une belle découverte.

Une chanteuse à qui la vie n'a pas fait de cadeau!

Merci Ginette

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Quand on est porté par une intense communion avec ce qu'on aime, on peut survivre à tout.

C'est ce que j'ai découvert en elle.

Belle journée à toi, chère Babeth .

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