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La page du mélomane II - Jessye Norman

Dernière mise à jour : 8 oct.


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C’est une cantatrice américaine née en Géorgie en 1945 et décédée en 2019 à New York. C’est une soprano de texture dramatique qui se distingue en interprétant le répertoire de la musique romantique du  XIXème et XXème siècle.


Son enfance


Les racines profondes de la voix humaine, Jessye l’apprend, l’entend chez elle dans un milieu familial particulièrement imprégné de musique. Sa mère est pianiste  et fait partie de la chorale de la paroisse  de leur commune. Son enfance est marquée par la musique, une scansion qui ne s’arrête pas, toute sa vie en est imbibée.  

C’est tout naturellement qu’elle entreprend des études musicales. Elle intègre ensuite le Conservatoire de Baltimore et travaille avec le baryton Pierre Bernac, un chanteur classique français, né à Paris et mort à Avignon. La bourse d’études qu’elle reçoit de l’Institut International de musique lui permet de participer au concours de musique de Munich. Elle est lauréate du concours et accepte les contrats qu’on lui propose. Commence alors pour elle un destin unique.   


La carrière de Jessye Norman en Europe


Cette distinction l’encourage à donner une orientation à sa carrière de cantatrice.  Elle s’installe en Europe en 1969  et signe un contrat avec l’opéra de Berlin. 


En Allemagne


Elle commence à interpréter le répertoire classique allemand de la période romantique. Elle chante Wagner.

 A 23 ans, elle est Elisabeth dans Tannhäuser.

(voir l’article Tannhäuser  dans le blog, catégorie opéra, ballet, théâtre)




Elle donne à ce rôle une profondeur émotionnelle qui dépasse la simple interprétation d’un personnage. Chaque rôle qu’elle interprète ne se contente pas d’un travail académique et prend davantage une coloration totalement naturelle teintée d’une relation passionnelle avec le personnage.   Avec Jessye Norman, Elisabeth qui renonce à Tannhäuser pour rejoindre un absolu qu’elle ignore mais qui lui semble être la meilleure signification de son émoi, devient sur scène un moment d’intense communion avec le sacré. 


Jessye Norman est aussi la Sieglinde de l’anneau du Ring.

Ô le plus merveilleux miracle !



 Elle est Kundry, la magicienne dans Parsifal.

 Elle est Isolde dans Tristan et Isolde.

 Elle est Brünhilde dans la Walkyrie.

 

Wagner est un compositeur qui occupe une place importante dans sa carrière. Jessye s’impose par son allure distante mais intensément présente, son charisme de militante des droits civiques pour les causes des populations déshéritées. Sa voix d’une ampleur magistrale que le public découvre fait d’elle une diva qui retient l’imaginaire collectif.

Dans les années 1960, le public est impressionné par sa présence scénique, sa voix puissante, le feu intérieur de la jeune cantatrice qui ne craint pas d’endosser les plus grands rôles du répertoire de Wagner.

Cependant lucide et sagace, malgré ses combats, elle le dit elle-même :

« Pour changer les voix et les cœurs des gens, il faut plus que des lois votées par des gouvernements. Je crains que le racisme ne soit omniprésent dans le monde entier. » 

Elle n’oubliera jamais le conseil de sa mère :

« Tiens-toi droite et chante. »


En Angleterre, le public redécouvre Purcell avec elle.


Jessye interprète Didon, le personnage de l’Opera « Didon et Enée » d' Henry Purcell.

Elle reste inoubliable avec son célèbre « Remember me » qui fait de cette aria qui ondule et portée par un ostinato lancinant, une signature baroque  complète : l’écriture du contrepoint transmet une résonance bouleversante en amplifiant le drame.

« Remenber me but forget my fate. »





Un crescendo qui semble arracher les contreforts  de l’âme humaine. On n’avait pas entendu cette douleur bouleversante depuis des lustres !

Quand on l’entend, on comprend ce qu’est le monde de l’art lyrique. Je dirais même plus,  je suis entrée dans l’art lyrique par le cri dévastateur de Didon, chanté par Jessye Norman.  Chaque drame conduit à un apogée destiné à chaque individu qui, dans un  élan désespéré laisse jaillir ce qui est profondément humain, intemporel.

Le cri passe les frontières, Jessye chante de par le monde. La musique baroque s’en trouve réappropriée, comprise et aimée.


En France


Elle surprend quand elle joue le rôle de Cassandre  dans les Troyens d’Hector Berlioz. En 1978, à l’Opéra de Paris elle  laisse un souvenir mémorable lorsque le public lui fait une ovation rarissime. Ce rôle consolide sa réputation en Europe et lui ouvre les scènes internationales.


Dans "La damnation de Faust" de Berlioz, en 1983 à Paris.

"D'amour l'ardente flamme"




 

Les années 1980-2007


En 1978, elle décide de se consacrer aux récitals et aux concerts et de s’éloigner un moment du grand opéra après avoir accepté de jouer l’Ariane de Richard Strauss dans Ariane à Naxos. C’est un  grand rôle, elle est alors au sommet de son art.

Elle interprète Mozart. Elle est Aïda de Verdi à la Scala  de Milan.

Bela Bartók, Strauss, Saint-Saens, Schonberg, Stravinsky, elle interprète les grands morceaux des compositeurs européens.


Les   4 derniers lieder de Strauss en 1987 à la philharmonie de Berlin.

 Les " Four last songs of Strauss"





Les Wesendonck lieder de Wagner





L’art lyrique de Jessye Norman


Considérée comme une diva, elle en incarne l’autorité, la prestance distante mais exigeante. Si on la surnomme «  Just enormous », elle sait qu’une longue carrière faite de  discipline, de patience et de contraintes peut fatalement essuyer des échecs, des défaites, des moments de doute. Carmen ne rencontre pas l’impact spontané sur le public.  Jessye reconnaît ses limites, elle  veille à ne choisir que des rôles que sa voix peut travailler. C’est une femme au caractère entier, au port non pas altier mais réservé qui aborde chaque événement avec ténacité.

Son engagement auprès des plus humbles force le respect. Elle n’oubliera jamais d’où elle vient.

En 2003, elle fonde la Jessye Norman School of the Arts,  une école gratuite pour les enfants défavorisés de sa ville natale d’Augusta en Géorgie. Elle œuvre pour faire apprécier la musique classique chez les jeunes gens. La jeunesse lui en sait gré. Elle donne des masterclasses dans le monde entier invitant chaque enfant à se doter d’une solide instruction musicale.

On lui décerne des distinctions, les présidents la remercient.

Même si on ne connaît pas l’art lyrique, son nom résonne comme un hymne lorsqu’elle chante la Marseillaise en 1989 sur la place Concorde, enveloppée d’un drapeau tricolore pour le bicentenaire de la Révolution française. Là aussi, il faut écouter sa diction, la qualité d’interprétation claire et prononcée avec justesse.


 


Sa voix, sa présence, son répertoire propulse le lyrique de la période romantique de la musique classique à une échelle planétaire, pour des milieux divers et reçu par  toutes les générations. C’est cette ouverture d’esprit qui caractérise la démarche musicale de Jessye Norman.

Elle va dans le baroque, Purcell, Rameau, Haendel aussi spontanément qu’elle a commencé avec Wagner dont elle a marqué le répertoire de son empreinte. Héritière du Gospel, des spirituals blues, elle en saisit les fabuleuses approches et le public comprend que la diva imposante n’est pas ce que l’on peut croire.

Les concerts, les récitals, les festivals, les apparitions dans les émissions télévisées, les invitations à chanter pour des événements culturels sont des moments privilégiés repris par les réseaux sociaux.  Elle fait de nombreux enregistrements.

L’hymne national, la musique sacrée, le jazz, elle élargit son champ des possibles, se fait apprécier par les plus humbles et les moins convaincus en mariant le classique avec d’autres musiques.

En 1999, elle donne un récital au Carnegie hall sur une musique sacrée avec Duke Ellington.

En l’an 2000, elle sort un album avec Michel Legrand : I was born in love with you .

Les plus grands chefs d’orchestre l’accompagnent dans ses prestations. Von Karajan, Boulez, James Levine,  Bernstein, Ozawa l’ont magistralement suivie dans  ses récitals et ses concerts, envoûtés par sa voix pure, par sa diction. La voix de Jessye martèle, asphyxie, prend le répertoire dramatique à bras le corps. Le public découvre alors ce que la voix humaine peut faire quand elle a besoin de transmettre un sentiment.

Sa large tessiture lui permet de jouer les rôles les plus difficiles qui nécessitent d’aller du sombre au triomphal, des écarts de registre qui exigent la maîtrise du souffle.

Jessye, c’est le timbre d’une émotion convulsive incomparable. On en est ébranlé. Personnellement, le "Didon" de Purcell qu’elle chante m’a commotionnée. Le Remember me but forget my fate  est un morceau d’une insoutenable teneur tragique.

J’ai écouté d’autres interprétations  de cette aria mais aucune n’égale cette puissance de la tristesse humaine.

   

Voici un document rare. Le morceau est arrangé subtilement par Stokowski. Il faut prendre le temps de s'arrêter sur le jeu du violoncelliste qui fait chavirer le "No trouble, no trouble." Ensuite il faut s'arrêter sur la main droite du chef d'orchestre qui tremble comme atteint par l'affliction élégiaque que délivre la musique.

C'est cette musique qu'il fallait porter et on imagine le travail qu'un chanteur lyrique doit faire avec sa voix !

©1954-BBC Concert à la Symphonie Orchestra - Leopold Stokowski :

Purcell " When I am laid in earth"


Si Jessye liquéfie Purcell, elle capture le registre émotionnel de Wagner et le communique avec une communion d'âme qui demande aussi une adéquation totale et révélée avec l'esprit de Wagner. Elle connaît jusqu’en ses moindres vibrations la musique de Wagner y compris le registre sensible du compositeur allemand quand celui-ci inscrit une série de lieder susceptibles de l’aider à la préparation des scènes de l’opéra Tristan et Ysolde sur lequel il travaille. Elle a une propension notoire et ahurissante à interpréter la musique de Wagner avec une profondeur et une émotion inégalées.

Si Wagner pouvait l’entendre, il en serait ému.

 Ginette Flora

 Juin 2025

2 commentaires


Jessye Norman est une des plus grandes voix féminines que j'apprécie avec Maria Callas. L'émotion est à son comble à l'écoute de ces grandes dames.

Merci pour ce magnifique partage.

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Merci beaucoup, Nicole.

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