top of page

La page du mélomane XVI- Glenn Gould et sa création

Dernière mise à jour : 27 août

ree

Il s’asseyait bas au piano  pour s’aménager une posture proche des touches, visage contre les notes qu’il recueille comme si tout son être se délivre d’une autre personne qui vit en lui. Dans les passages rapides de son jeu musical, il est hors de lui. On voit qu’un autre lui-même bondit de sa personne et fait exister un autre personnage. Glenn Gould laisse sa véritable nature s’extérioriser dans la technique pianistique.

Il joue selon une approche personnelle. Il fait du piano un prolongement de cet autre lui-même qui le mène au bout de ce qu’il lui impose : habitudes obsessionnelles, gestes compulsifs, rituels atypiques, phobies récurrentes, tout fait de lui et de sa musique une création.


L’homme et sa personne




 Il fait de sa technique une chorégraphie.

 Il a démonté le piano, en a fait l’instrument de sa complexité intérieure.

 Déjà très tôt, à l’adolescence, il sait qu’il sera toujours comme il est avec ses phobies, ses manies, ses rituels et l’inflexible attachement à sa chaise sciée pour le positionner au niveau des touches. Glenn Gould ne regarde pas de haut les touches, il les voit au niveau de son visage d’où l’étonnante posture véhiculée par les médias d’un jeune homme dégingandé qui place son visage au niveau du clavier comme pour écouter battre le cœur du piano.





 Cela ne relève pas des caprices d’un génie. Un être est en lui et dont il ne peut pas se défaire. Quand il parle au piano, il est ailleurs, il parle à quelqu’un d’autre, l’ami, le piano. L’ami dont il se  sait si proche qu’il n’entend parler que lorsqu’il s’ajuste à la hauteur du clavier pour capter la voix  des touches qu’il fait résonner de ses appels obstinés « Pam pam papa pam ». Glenn Gould ne joue pas, il appelle son ami, il s’agite, reporte les sons, les vibrations, il dodeline de la tête, il comprend, se réjouit  de s’approcher de cette personne qu’il a révélée.

Plus on visionne, plus on écoute ses prestations, plus on franchit le malaise qui vient de sa gestuelle, plus on se sent heureux de le savoir si bien aux côtés d’une surréalité  magique, d’une joie qu’il transmet avec force jeux de mains qui tourbillonnent, dansent en même temps que de tout son corps qu’il désarticule, il s’enfonce dans sa vision du feu de dieu. On comprend mieux la glenngouldmania qui déferle sur l’Occident lorsque ses enregistrements font connaître l’ermite de Toronto.

Il invente un art acrobatique qui est davantage que de la virtuosité, c’est une tentative d’accompagner l’être qui a pris possession de lui.

Il parle sans arrêt, il est disert, s’il est connu pour sa faconde,  il a peur de perdre sa parole quand il faut vivre au milieu de ceux qui le regardent et qui attendent de lui qu’il se conforme à leurs usages.

D’usages, il n’en a pas.  Il a des langages. Il en a trop, il se dirige dans un monde souterrain où il prend l’habitude de s’installer.

Contradictions, paradoxes, la presse s’emballe, relève les exigences du musicien qui ne se laisse pas toucher. Syndrome d’Asperger dit-on. Glenn Gould est porteur d’un handicap qu’il laisse vivre au gré de son fonctionnement, un handicap presqu’invisible car s’il n’aime pas parler en société, il parle au téléphone, donne des entretiens, reçoit ses invités à son studio.  On croirait voir un peintre qui dessine les lignes d’un paysage et qui ne veut plus les changer.

C’est en rassemblant tous les chapitres de son dictionnaire de vie qu’on s’aperçoit que c’est une personne qui s’agite au milieu d’autres personnes qui s’agitent aussi.

La peur de se perdre, la peur de perdre ce qui le rend capable de se supporter et de supporter la vie en société fait de lui une personne qui ne veut pas s’abandonner. Je suis ainsi, je ne cesserai de l’être pour le bien de cet autre qui vit en moi.


La bête de scène, 1955-1960


Acteur, chanteur, musicien, figures publiques qui se montrent et  affrontent la foule et qui ont peur de se perdre.

Glenn Gould ne veut pas se perdre ou perdre même une petite partie de lui-même. Il veut échapper à la publicité. C’est l’époque où l’on médiatise le chanteur, la personne exhibée au milieu d’une foule. Il s’inscrit dans les soubresauts des années ’60 où les concerts, les apparitions en public, les tournées font partie du carnet de route de l’artiste et maintiennent sa popularité.

En 1956, il a 24 ans. Son premier album est un enregistrement des œuvres de J.S. Bach.

Cette sortie propulse le musicien à la une des nouvelles médias qui déferlent en société : radiophonies, télévision, cinéma, concerts, voyages fréquents pour se faire connaître. Le marketing de masse bat son plein.





Pourquoi cette première version des Variations Goldberg est-elle une révolution ? Parce que l’œuvre enregistrée est la première à exister sous cette forme, parce que l’œuvre est austère, parce que l’œuvre est difficile. Or, Glenn Gould ne voit pas les choses ainsi. Il réveille Bach, l’extirpe de son ancienneté et prouve qu’on est jeune avec de l’ancien.

C’est une révolution à un moment où le marketing de masse est un concept qui a révolutionné les tenants de l’art du visuel. En étant jeune  dans une société moderne et en revisitant de l’ancien avec une conviction aussi surprenante et une manière d’être inhabituelle, il crée un engouement enthousiaste autant qu’il fait éclater la critique qui se demande comment les névroses de Glenn Gould ne  ralentissent pas son travail.  Glenn Gould crée un style et certainement malgré lui car la situation d’un musicien qui croule sous les engagements ne lui réussit pas. 

Le public est dévoré de curiosité  et fait de lui une bête de scène.

On ne parle plus que de ses postures dans les concerts comme ses façons de s’habiller, de se nourrir, comme ses douleurs qui commencent à le détruire à petit feu.  Il  a peur de ce qu’on fait de lui. C’est pour cela que sa carrière scénique est courte. Après quatre ans de scène et seulement deux années consacrées aux tournées mondiales, il décide de ne plus poursuivre sur cette voie.

 Il met fin brutalement à sa carrière de concertiste. Il le dit lui-même :

«  Je ne supporte pas le regard des gens, leurs poignées de mains, leurs hurlements, leurs délires … »

 Il a des angoisses quand il prend l’avion. Les tournées en Europe ne lui conviennent plus. Il demande grâce et souhaite rester à Toronto et travailler chez lui dans un studio d’enregistrement.


La solitude / 1964 à sa mort en 1982




Il choisit de s’épanouir dans l’enregistrement  de disque des œuvres de Bach, Beethoven,  Schonberg ses maîtres habituels. Il consent à élargir son répertoire en enregistrant les œuvres d’Haendel, de Bizet, de Grieg.

Pour lui, le disque est un métier, un objet d’art. Gould crée des disques et va remplacer le concert.

Le disque est comme une écriture de la musique,  c’est un art, dit-il. Le studio est un lieu de création et le disque est un objet de culte.  Il ne mène pas pour autant une vie totalement retirée, il écrit et il travaille sans arrêt sur sa musique, ses textes, ses livres. C’est un homme de radio, c’est aussi un réalisateur canadien. C’est un style de vie drastique, un enfermement qu’il s’impose :

« L’isolement est la composante indispensable du bonheur. J’ai toujours eu l’impression vague que pour X heures travaillées, en compagnie d’êtres humains, il fallait X heures passées seul. »

 Tel est Glenn Gould jusqu’à ce qu’un jour, épuisé, lui ou l’autre lui-même, tous les deux sont arrivés au bout de leur route et malgré toutes ses douleurs physiques et ses angoisses psychiques, on peut dire qu'il a réussi à mener une carrière et  s’en déclare comblé, l’homme public s’étant toujours efforcé de montrer sa bonne humeur.

« La solitude est pour l’être humain le plus sûr chemin vers le bonheur. » - Glenn Gould

Ginette Flora

Août 2025


6 commentaires


viviane parseghian
29 août

J'ai adoré, merci à toi, toujours .. trop bien !❤️

J'aime
En réponse à

Merci beaucoup, Viviane.

Il y a des bêtes sauvages qu'on aime sortir de leur tanière !

J'aime

Nicole Loth
Nicole Loth
27 août

Superbe découverte pour moi qui le connaissait de nom seulement !

Merci chère Ginette.

J'aime
En réponse à

J'ai écrit deux autres articles :

--"le musicien qui parle au piano" (novembre 2023)

--"le duo Glenn Gould et Yehudi Menuhin" (juillet 2025)

J'espère pouvoir m'arrêter là.

C'est un musicien qui ne laisse pas indifférent.


Bonne fin de journée, chère Nicole .


Modifié
J'aime

Elisabeth
27 août

Un interprète hors du commun ! un être mystérieux. J'aime beaucoup!

merci Ginette de le remettre en lumière !👍

J'aime
En réponse à

Oui, c'est fou comme j'aime toujours le redécouvrir !

J'aime
bottom of page