La page de Randolph Bref historique du quatuor à cordes
- Ginette Flora Amouma

- 13 oct. 2023
- 11 min de lecture

J’ai toujours eu un faible pour la musique de chambre, le quatuor à cordes en particulier. Ceci sans trahir mon affection envers les pièces pour solistes ou pour formations orchestrales, les œuvres chantées, du grégorien à l’opéra en passant par les lieder et la musique sacrée, sans oublier certaines créations contemporaines, les percussions et la musique électro-acoustique.
Le quatuor offre la clarté d’écoute d’une petite formation tout en permettant la richesse contrapuntique d’un orchestre et une grande liberté mélodique, rythmique, harmonique, voir expérimentale aux compositeurs.
Après cette introduction personnelle, je vous convie à la lecture attentive d’un brillant résumé de l’histoire du quatuor à cordes par Hélène CAO, musicologue, professeur d’histoire de la musique et d’analyse à Paris, au CRR et au Conservatoire du XIIIe arrondissement. Article publié le 9 janvier 2018 dans le magazine de la Philharmonie de Paris.
____
« Le quatuor à cordes a fait partie des premières pierres du style classique, avant d’être le témoin privilégié de toutes les évolutions du langage musical. Il reste aujourd’hui un terrain d’expérimentation pour de nombreux compositeurs. Mais quel est donc le secret de sa longévité ?
Deux violons, un alto, un violoncelle : cette formation, qui se constitue vers le milieu du XVIIIe siècle, hérite de la sonate en trio et des œuvres à quatre parties de cordes de l’époque baroque. Entre 1760 et 1800, elle devient l’effectif de chambre préféré des compositeurs, comme en témoigne leur abondante production : presque cent quatuors à cordes chez Boccherini, une soixantaine chez Haydn, vingt-six chez Mozart.
Le genre arrive à maturité au moment où il adopte des structures formelles similaires à celles de la symphonie classique et une construction en quatre mouvements : un allegro de forme sonate ; un mouvement lent suivi d’un menuet (l’ordre de ces mouvements pouvant être inversés, le menuet se situant alors en deuxième position) ; un finale rapide, généralement de forme sonate ou rondo. Le premier violon se voit parfois doté d’une partie plus virtuose, voire d’un rôle concertant : ce type de quatuor, dit « brillant », aux allures de concerto pour violon, plaît encore dans la première moitié du XIXe siècle. Mais de façon générale, le quatuor à cordes vise à l’égale importance des instruments.
Dès lors, le genre revêt un enjeu particulier, car il atteste (ou non) de la maîtrise des techniques d’écriture et des formes : avec une telle homogénéité de timbres, impossible de se réfugier derrière des effets sonores cache-misère ou une virtuosité d’apparat. Il devient même un cadre privilégié pour les expérimentations. On songera par exemple aux six Quatuors « À Haydn », où Mozart parvient à fusionner style classique et contrepoint, aux cinq derniers quatuors de Beethoven, qui remettent en question tant l’écriture instrumentale que le langage et la construction formelle. Mais les générations suivantes n’osent pas s’aventurer au-delà de ces innovations radicales. Il faut attendre Bartók (six partitions entre 1909 et 1939) pour qu’apparaissent des idées aussi inédites que spectaculaires, grâce, notamment, à l’étude des musiques populaires d’Europe de l’Est.
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, le quatuor à cordes redevient un laboratoire privilégié, révélateur de l’évolution des esthétiques et des possibilités offertes par les nouvelles technologies. Steve Reich le superpose à des sons enregistrés (Différent Trains et WTC 9/11), George Crumb l’électrifie (Black Angels). Certains compositeurs travaillent avec l’électronique en temps réel pour amplifier les instruments et transformer leurs timbres, comme Jonathan Harvey (Quatuor no 4) ou Yann Robin (Scratches). Mais c’est sans doute Stockhausen qui, à ce jour, a imaginé le dispositif le plus fou : dans Helikopter-Streichquartett (1993), les musiciens jouent chacun dans un hélicoptère en vol, les sons instrumentaux combinés au vrombissement des pales étant captés et transmis simultanément aux auditeurs restés sur notre bonne vieille Terre. »
Hélène Cao
____
Ne croyez pas que Helikopter-Streichquartett de Stockhausen fut une performance unique. Cette création a été interprétée et filmée de nombreuses fois à travers le monde, notamment à Salzburg, Paris et Rome. Je vous laisse découvrir un bref extrait tourné dans la capitale italienne.
https://www.youtube.com/watch?v=iq7e9-5prZc
Après une telle expérience, voici, par le prestigieux Juilliard String Quartet, les quatre premiers Contrepoints de l’Art de la fugue ds JS Bach.
Il existe une continuité, une succession d’échos et d’admirations réciproques entre les quatuors de Haydn (1732 – 1809), Mozart (1756-1791), et Beethoven (1770-1827). Nous allons essayer d’en faire un succinct rappel. Tout cela peut sembler confus et superflu, mais en écoutant patiemment, on comprend la formidable fluidité inventive de l’ensemble.
Joseph Haydn
Les quatuors composés par Haydn sont trop nombreux pour en faire ici la liste détaillée, mais nous pouvons considérer plusieurs cycles. Les Quatuors Fürnberg, du nom du commanditaire (opus 1, 2 et 3 à partir de 1757) sont de simples commandes, sans grand intérêt sur le plan musicologique. Suivent trois séries de six quatuors dans lesquels la sensibilité du compositeur commence à s’exprimer (opus 9, 17 et 20).
À partir de 1770, des six quatuors de l’opus 33, (appelés « quatuors russes ») une certaine complexité interne se dévoile et cela n’échappera pas à Mozart, l’élève qui allait dépasser le maître (sans fâcher celui-ci qui à son tour admire le travail du jeune prodige).
Une interprétation pleine de fougue de l’op. 20 N. 3 - Final, allegro molto
https://www.youtube.com/watch?v=KOXDQrsUG4g
Le premier mouvement – Moderato – de l’op. 20 N. 5
Écoutons le final du quatuor op. 33 no. 3 dit « L’Oiseau »
Suivent les quatuors de la maturité, entre 1781 et 1790.
L’opus 50 comprenant les six «Quatuors prussiens », l’opus 51, sublime œuvre sacrée, « Les sept dernières paroles du Christ en croix » *, les opus 54, 55 et 64, suivis des Quatuors de Londres, opus 71 et 74, ces derniers étant particulièrement brillants et vigoureux.
Le Quatuor Hausmann joue l’opus 55, N. 1 en la majeur
https://www.youtube.com/watch?v=6i1Ldt3rqkI
Le magnifique final de l’opus 74 N. 3 « The River » par le quatuor Yas
Écoutons le quatuor Esmé, formé en 2016 à Cologne par quatre amies Sud-Coréennes. Elles jouent le Quatuor en ré majeur, op. 71 N. 2. Un délice.
https://www.youtube.com/watch?v=OI2L1u9WWcQ
Par le Quatuor Camerata, le menuet de l’op, 74 N. 3 dit «Le cavalier»
Les six quatuors de l’opus 76 (1796 -1797) sont hautement considérés. Certains y voient un monument du patrimoine musical de l’humanité, pas moins. Œuvres qui annoncent, au-delà de Beethoven, le XXe siècle, Bartók, Sibelius, et même d’après certains, Schoenberg ! Pour Michel Rusquet, auteur de « Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte » ( Musicologie org), le très « symphonique » opus 76 no 3en ut majeur (surnommé « L'Empereur »), est entièrement structuré autour de son majestueux deuxième mouvement où Haydn traite en variations le thème de l'hymne impérial autrichien qu'il venait d'achever.
Écoutons :
Nous approchons de la fin du survol des soixante neuf quatuors de Haydn. Citons, après les six œuvres de l’opus 76, les deux quatuors de l’op. 77 et le quatuor inachevé opus 103. Pour se repérer, notons que Beethoven commence l’écriture des six premiers quatuors opus 18 pendant cette période (entre 1798 et 1800). Quant à Mozart, nous en parlerons bientôt.
J’aimerais vous faire entendre (écouter plutôt) le subtil deuxième mouvement - andante - de l’op. 77 N. 2 en fa majeur, interprété par le prestigieux quatuor Juilliard :
https://www.youtube.com/watch?v=2RppEc6DNPA
Quittons Josef Haydn sur son ultime quatuor, l’opus 103 en ré mineur - l’ andante gracioso dans lequel on sent une bouleversante mélancolie.
* L’opus 51, « Les sept dernières paroles du Christ en croix », que nous avons évoqué dans l’article sur la musique sacrée, fut composé pour orchestre durant l’hiver 1786 - 1787 ( une commande du chapitre de la cathédrale de Cadix). Haydn en fit une transcription pour quatuor à cordes aussitôt après, puis, beaucoup plus tard (1796), une version en oratorio. C’est aujourd’hui la version pour quatuor qui est la plus souvent interprétée.
Wolfgang Amadeus Mozart
Mozart commence dès 1780 à s’intéresser à l’art du quatuor en suivant son maître Haydn. Dix ans plus tard, le disciple et ami aura dépassé le maître qui, admiratif plutôt que jaloux, saura rendre hommage au génie de l’élève. Les sept premiers quatuors dits « Italiens » sont déjà savoureux, mais à partir de 1780, ayant assimilé les op, 20 et 33 de Haydn d’une part, et découvert les richesses polyphoniques de l'œuvre de Bach d’autre part, Mozart crée quelques œuvres miraculeuses.
Nous allons suivre l’évolution riche et inspirée de cette première période, divisée en deux parties :
Quatuors « Italiens »
K. 157 - Allegro
https://www.youtube.com/watch?v=DhVkbfbcYFU
K. 158 – Allegro
https://www.youtube.com/watch?v=MvprApS9TNw
K. 159 dit « Milanais » - Andante
https://www.youtube.com/watch?v=8VpOtBRwuEM
Quatuors « Viennois »
K. 169 en la majeur
https://www.youtube.com/watch?v=_Tyntym91D0
K. 173 - menuet et trio (le bonheur d’une répétition)
https://www.youtube.com/watch?v=qilodrwiNac
Pour les suivants, les fameux "Quatuors dédiés à Haydn" et je cite Michel Rusquet :
On connaît le texte – historique entre tous – de la lettre de dédicace à Haydn que Mozart porta en tête de l'édition de ces six quatuors : en les présentant comme ses fils et en les confiant avec affection au parrainage de son grand aîné, il avoue que ces quatuors ont été « le fruit d’un long et pénible travail ». On sait en effet que leur composition s'est étendue sur au moins deux ans, le premier ayant été achevé le 31 décembre 1782 et le dernier le 14 janvier 1785. On sait également qu'elle lui a coûté d'énormes efforts, et les partitions autographes en témoignent : on ne trouve guère d’autres manuscrits du musicien comportant autant de ratures et de corrections, mais à l'arrivée, comme l'a souligné A. Einstein *, il n'y a plus la moindre trace d'effort ou de « sueur ».
(* je me permets de subodorer qu’il s’agir d’Alfred Einstein, le musicologue et je redonne la plume à M. Rusquet)
...autre circonstance décisive : la révélation, grâce à la bibliothèque du baron van Swieten, des richesses polyphoniques de l'œuvre de Bach. Car le miracle de ces œuvres brûlantes et merveilleusement inspirées tient avant tout à l'art, hautement personnel cette fois, avec lequel Mozart a su combiner un travail thématique extrêmement poussé et l'utilisation d'un langage contrapuntique superbement assimilé. On assiste ainsi au « retour d'un art de la fugue pleinement maîtrisé qui, allié aux audaces harmoniques inouïes de Mozart, devient une langue réellement révolutionnaire dont les âpres dissonances devaient semer l'effroi pendant de longues années. »** On comprend ainsi que, même pour un Schoenberg, ces six quatuors aient pu devenir un objet de culte.
** Rusquet cite ici Halbreich Harry.
Écoutons donc ces merveilles, en retrouvant d’abord le quatuor Esmé interpréter le
K. 387 « Le printemps » I. Allegro vivace assai
https://www.youtube.com/watch?v=YLhUmk7vGVc
K. 421 –-une œuvre sombre – IV. Allegro ma non troppo - par le Jerusalem quartet
https://www.youtube.com/watch?v=Nj2VPFK24lg
K. 428 - II . Andante con moto – par le jeune Quatuor Nadia
https://www.youtube.com/watch?v=DN8j9SlfKH0
k. 458 « La chasse » I. Allegro vivace assai – par le Quatuor Miró
https://www.youtube.com/watch?v=s60-rzmLOV0
K. 464 II. Menuet – par le Quatuor Latt
https://www.youtube.com/watch?v=vAPDHZ11a5I
Pour le dernier des six Quatuors dédié à Haydn, leK. 465 « LesDissonances », laissons la parole à l’historien Halbreich Harry : « On sait à quel point, avec ses audaces harmoniques insensées, l’introduction Adagio du K 465 en ut majeur « Les Dissonances » plongea les contemporains dans la stupeur. Certains musiciens bien intentionnés furent tentés de corriger les anomalies dont elle souffrait et, bien que lui-même assez effaré, Haydn défendit Mozart en disant : « Il doit avoir ses raisons ».
Écoutons donc le premier mouvement – Adagio - allegro
https://www.youtube.com/watch?v=-pT0pfiWG08
Les ultimes quatuors de Mozart sont au nombre de quatre, le K. 499 "hoffmeister"et les trois "Quatuors Prussiens" les K. 575, 589 et 590 dont l'analyse nous conduirait trop loin. Ecoutons une œuvre en marge des vingt-trois quatuors, l'Adagio et fugue en ut mineur K 546, ouvre d'une audace époustouflante, par le quatuor Casal,
Ludwig van Beethoven
Nous avons brièvement parcouru les premières étapes de l'évolution du quatuor à cordes, avec Haydn et Mozart. Nous allons voir quels pas de géant a effectués Beethoven pour atteindre une forme qui perdure encore de nos jours. Il a composé seize quatuors auxquels il faut ajouter la Grand fugue op. 133 qui devait constituer le dernier mouvement de l'op. 130. On classe ces œuvres en trois périodes.
Ce sont d’abord les six Quatuors opus 18, qui déjà affirment un langage tout à fait personnel. Ce sont ensuite les cinq Quatuors centraux - les trois «Razumowsky» opus 59 et les opus 74 et 95 dans lesquels Beethoven intensifie son langage. Enfin, les cinq derniers Quatuors et la Grande Fugue. "Le compositeur atteint le point extrême de ses recherches, de son indépendance et de toutes ses audaces d’invention. Dans les tout derniers Quatuors, les polyphonies sont plus complexes et escarpées que jamais" (citations extraites d'un article de Michel Rusquet). Il est rapporté que Beethoven considérait le Quatuor N°14 op. 131 comme son œuvre la plus aboutie. On peut donc la placer tout en haut, près de l'Art de la fugue de JSB.
Représentatif de la première période, un véritable chef-d’œuvre beethovénien, l'opus18 N. 3 par l'illustre Quatuor Alban berg :
De l'opus 59 N. 3, écoutons le final par le Quatuor Ebene :
https://www.youtube.com/watch?v=mKWvryDEY3I
Le somptueux mouvement central de l'opus 132 par le Praetorius-Quartett :
https://www.youtube.com/watch?v=ud4I4og-qOU
La Grande Fugue op. 133 par le Juilliard String Quartet :
https://www.youtube.com/watch?v=j5XAdttmOLo
________________
Nous avons vu Beethoven atteindre une sorte de point ultime dans la création pour quatuor à cordes. Fort heureusement, l'écriture musicale a poursuivi son évolution, de façon moins radicale, certes, mais avec quelques œuvres et compositeurs remarquables.
Franz Schubert a composé quinze quatuors que l'on peut diviser en deux parties, les cinq derniers étant plus graves, voire dramatiques (le N° 13, Rosamunde, ou le N° 14, La jeune fille et la mort étant les plus célèbres). Je vous propose d'écouter le Quatuor N° 4 D. 46 - final allegro par le Quatuor Arod
https://www.youtube.com/watch?v=Qbr_T_ZJZSA
Puis l'ultime et trop peu joué Quatuor n° 15 en sol majeur D. 887, 1er mouvement allegro molto moderato par le Quatuor Voce
https://www.youtube.com/watch?v=-9JKZdBr0iE
Félix Mendelssohn, tout comme Robert Schumann, ont été particulièrement inspirés par les quatuors de la période médiane de Beethoven. Comment ne pas penser aux Quatuors Razumovsky en écoutant le Quatuor op. 41 N°1 de Schumann– IV presto, interprété par ces jeunes musiciens ?
C'est en 2013 que parait l'intégrale des quatuors à cordes de Félix Mendelssohn, enregistrée par le Quatuor Talich. C'est une véritable découverte pour nombre de mélomanes. Sept œuvres sont des quatuors achevés, le reste ne manque absolument pas d'intérêt pour mieux percevoir la finesse et la créativité de ce grand romantique.
L'opus 44 est un cycle de trois quatuors de la période intermédiaire, dédié au prince de Suède. Cette partition toucha profondément Schumann qui composa son opus 41 en hommage à Mendelssohn.
Ecoutons l'op. 41 N°1, de son propre aveu le préféré du compositeur – I. Molto allegro vivace par le Quatuor Calidore
Ne pouvant interrompre subitement l'histoire du quatuor à cordes, nous allons citer les jalons principaux qui ont suivi, au moins jusqu'aux œuvres extraordinaires de Béla Bartók.
Max Bruch : Quatuor Op.9. II. 2 – Adagio par le Lincoln Center Orchestra
Pyotr Ilyich Tchaïkovski : quatuor à cordes n° 1 op. 11 - Andante cantabile par le Quatuor Casal
Bedřich Smetana : quatuor N° 1"de ma vie"I. Allegro vivo appassionato par le Dover Quartet
Antonín Dvořák : Quatuor N° 9 Opus 34 - I. Allegro par le Quatuor Emerson
Claude Debussy : Quatuor op. 10 III. Andantino doucement expressif par le Lincoln Center Orchestra
https://www.youtube.com/watch?v=DAKLvJMOJb8
Nous atteignons le virage du 20e siècle. L'écoute de ces œuvres, notamment celle de Bartók, demande une écoute ouverte et attentive. Les Six Quatuors du compositeur hongrois représentent un élément majeur de son œuvre.
Geoges Enesco : Quatuor à cordes n°1 - 1, Allegro moderato
https://www.youtube.com/watch?v=HVGtmu5O_8w
Béla Bartók : Quatuor N°3 par le Juilliard Quartet
https://www.youtube.com/watch?v=K7yfyIDdDBk
Nous allons conclure, car il faut bien s'arrêter un jour, avec Dimitri Chostakovitch, dont les quinze quatuors à cordes sont d'une importance telle au sein de son répertoire que l'on a pu dire ( extraits d'un excellent texte de Michèle Tosi (@ResMusica) :
[ ...ils constituent un véritable parcours initiatique, menant au bord du vide. Par rapport à la santé physique et mentale du compositeur d'une part, et en regard du régime politique de cette période en U.R.S.S. d'autre part (ces quatuors ont été publiés entre 1938 et 1974). Le quatuor devient un moyen de ressourcement stylistique et le lieu de sa sphère privée où il entend retrouver une liberté d’expression, dût-il l’exercer dans l’ombre ou par le biais d’un langage crypté. Les quatuors constituent une sorte de journal intime du compositeur *, le média privilégié de ses interrogations spirituelles où se « lisent » toutes les angoisses et les souffrances d’un homme miné dans sa conscience d’artiste puis par la maladie contre laquelle Chostakovitch va lutter désespérément : un combat suscitant dans l’écriture de ses œuvres tour à tour le grotesque, la violence, la révolte puis la désolation jusqu’à la paralysie émotionnelle du dernier quatuor.
Il ne peut renoncer à son autonomie créatrice et opte pour la solution la plus sage dans un tel dilemme, celle de la dissimulation. Les quatrième et cinquième quatuors resteront dans le fond des tiroirs jusqu’à la mort de Staline en 1953, année qui sonne le glas de la dictature infernale. Dans le final du quatrième quatuor construit sur un thème yiddish, Chostakovitch assimile la condition du peuple juif persécuté à sa propre situation d’artiste brimé et détourne ainsi les interdits jdanoviens. La présence d’éléments cryptés renvoyant à un monde intime et privé - on y décèle, par exemple, sa signature musicale dissimulée sous la forme CDSH ( do ré mib si) - témoigne de cette volonté farouche de ne jamais abdiquer. ]
* « En écoutant ma musique, vous découvrirez la vérité sur moi, l’homme et l’artiste ».
Écoutons Chostakovitch.
Quatuor N°1 op. 49 par le Jérusalem Quartet (le style est encore "classique")
https://www.youtube.com/watch?v=UVmU2RPhnSA
Quatuor N°3 op. 73 III. Allegro non troppo par le David Oistrakh Quartet (reflet d'une violence politique, voire guerrière)
https://www.youtube.com/watch?v=NJ3zzNI0oRc
Quatuor N° 7 op. 108 (dédié à son épouse défunte Nina Vazar)par le Jerusalem Quartet
https://www.youtube.com/watch?v=lYwyng31yCQ
Quatuor N° 10 op 118 (la passacaille du III. Adagio - que je tenais à vous faire entendre isolément, par l'excellent Emerson Quartet)
https://www.youtube.com/watch?v=-UF_Y3zWBcM
Ultime, terrible et sublime dernier quatuor du maître, document essentiel :
Quatuor N° 15 op. 144 – I. Elegie par le Rubio quartet
Article intéressant et plus complet : https://www.physinfo.org/chroniques/quatuor.html
Octobre 2023
Randolph




Encore un nouveau cours de culture musical, merci et bravissimo Maestro!
Quelle culture musicale, Randolph et je me sens si "petite" dans ce domaine mais, en écoutant ce que tu nous transmets, j'oublie un instant la déshumanisation du monde qui nous entoure... alors merci à toi.
Tu m'émerveilles avec ta culture musicale, ta façon de nous l'offrir...Merci chaque fois ...je suis si contente de découvrir et d'explorer des horizons jamais ou si peu ou trop mal reconnus ! Bises, Randolph ...et sourires aussi vers toi !
Un article parfaitement "dans tes cordes", ami Randolph. Via Bluetooth, j'appaire le téléphone à la chaîne hi-fi et je laisse "pleuvoir des cordes" en suivant les différents liens et en me disant tout de même combien la beauté exceptionnelle de ces quelques œuvres peut contraster à un point inimaginable avec la cruauté dont sont capables les humains quand nous est relatée une aussi effrayante actualité.... Merci infiniment pour ce beau partage dans lequel je parviens à puiser ce qu'il faut d'espoir en notre humanité....