Jean Giono , "L'homme qui plantait des arbres"
- Ginette Flora Amouma

- 30 mars 2024
- 5 min de lecture
Jean Giono est né le 30 mars à Manosque où il est mort en octobre 1970.
On ne parlera pas du cinéaste ni du romancier qui a écrit « La trilogie du Pan » et « Que ma joie demeure » et bien d’autres récits. On ne parlera pas non plus de l’homme de théâtre.
On parlera de l’écrivain qui un jour répond à un appel de textes pour lequel il écrit « L’homme qui plantait des arbres ».
Le texte a reçu un tel retentissement dans les esprits, il a été si souvent repris dans tous les genres artistiques que j’ai voulu le lire d’abord pour connaître sa réception et sa résonance dans mon propre être, sans me laisser envahir par d’autres influences.
Le livre est du domaine public, l’auteur en a voulu ainsi.
Ecrit en 1953 et paru le 15 mars 1954, le narrateur, Giono lui-même, raconte une rencontre avec un berger au cours d’une de ses promenades. C’était dans une région éloignée, isolée entre la Drôme et la Durance, entre plaines et monts Ventoux, à plus de 1300 m d’altitude. Après avoir parcouru des landes sèches qui ne laissent juste voir que des herbes ligneuses et de la lavande pour seule vêture, il arrive à un village abandonné où ne subsistent plus qu’une vieille chapelle et cinq maisons en ruines. Une fontaine sans vie qu’un vent gratte et racle sans vergogne meurt doucement.
Il rencontre un berger qui lui donne à boire et l’invite dans sa maison de pierres. L’hospitalité est silencieuse et c’est dans le regard posé sur les objets que le narrateur devine la vie d’Elzéard Bouffier, 55 ans, resté seul après le décès des membres de sa famille. Le berger fait paître une trentaine de moutons, soigne son chien et ramasse des glands pour lesquels il a une attention particulière.
Le narrateur devine que dans un village d’à peine quelques habitants, les vices et les vertus s’exaspèrent. Les conflits qui couvent sous les toits de chaume ne sont que le désir sous-jacent de quitter les lieux qu'un déclin mortifère assombrit les esprits vidés de tout espoir et voués à la folie. Il comprend qu’il fallait une passion intègre et souveraine pour sortir de l’isolement rude et désertique d’un espace qu’un vent fouette avec hargne.
Il comprend le caractère du berger, s’aperçoit qu’il est devant un caractère inoubliable.
Le narrateur voudrait connaître la vie du berger et le suit pendant une journée. Il le voit prendre chaque gland mis à humidifier dans un sac, il le regarde creuser le sol pour le planter. Il le voit recommencer inlassablement le même geste jusqu'à ce que ce qu’il en vienne à lui demander la raison d’une telle action.
Elzéard répond qu’il plante des arbres mais que la tâche est rude car sur les quantités d’arbres qu’il a plantés, seuls dix mille chênes ont résisté aux attaques des insectes, aux frémissements des saisons et autres prédateurs.
Le narrateur tout d’abord étonné par la parole sans discours apprêté, portée sur une vie en apparence dépouillée et creuse, découvre en réalité un homme seul, silencieux, répétant un travail simple avec patience. La rigueur des gestes, le soin donné aux sols pour le remplir, l’inquiétude devant les difficultés qui surviennent, tels sont les jalons de l’action narrative d’un récit sobre, rapportée d’une voix sans éclat mais avec une étrange sobriété. Pas d’envol poétique, pas de grandes phrases alambiquées, ce qui réduit le récit à une histoire racontée à mi-voix pour rendre compte d’une existence. On est en 1913 et le lieu ressemble à un désert.
En 1914, la guerre survient et le narrateur doit suivre ses ordres de mission. A la fin de la guerre, en 1918, il revient dans la même région. Elzéard a développé ses activités et se concentre aussi dans un domaine différent, celui de l’apiculture. Il a continué à planter et en cinq ans, les chênes ont poussé et une forêt s’est installée.
« Tout était sorti des mains et de l’âme d’un homme. »
Bouleaux, chênes, hêtres gonflent leur feuillage et on entend l’eau ruisseler dans les ruisseaux jadis secs. Dans les lies des cours d’eau, dans les galets des ruisseaux, l’eau s’est mise à gémir, a réapparu en cet endroit où jadis vivait un village romain. Et comme l’eau est présente, les maisons du village ont fait leur réapparition avec un afflux nouveau d’habitants motivés et plein de gaieté et de jeunesse. Des jardins attenants aux fermes, des potagers, des fleurs et des légumes poussent dans un ensemble sans fêlures. Les champs d’orge et de seigle se dressent, les prés se couvrent de petites fleurs et l’osier sur les berges des rus devient le matériau propice à des travaux de vannerie.
« C’est Lazare sorti du tombeau !
« Il a suffi d’un seul homme pour faire surgir du désert ce pays de Canaan ! »
Le narrateur prend l’habitude de rendre visite à Elzéard qui n’a jamais douté de lui malgré la perte de ses érables et des espèces qui n’ont pas pu se développer. Le berger a compris à travers ses déboires que seuls les hêtres réussissaient mieux à s’acclimater.
Le berger est si solitaire qu’il a perdu l’habitude de parler.
En 1933, un garde forestier découvre l’endroit mais laisse le berger construire sa maison de pierres.
En 1935, l’endroit n’est plus un désert. Un travail paisible et régulier, une vie simple dans l’air vif de la montagne, des repas frugaux donnent au vieil homme une santé exempte de tout excès et résistante aux maux usuels.
« Il en sait beaucoup plus que tout le monde. Il a trouvé un fameux moyen d’être heureux. "
conclut le contrôleur venu aux nouvelles et qui n’en croit pas ses yeux en voyant une forêt à la place d’un lieu où rien ne poussait. Le berger et la forêt sont placés sous protection. Le berger ne semble pas craindre l’intrusion de quelque contrôleur. Sa confiance va à la nature qui sait se régénérer pour peu qu’on lui insuffle la foi.
En 1939, pendant la guerre, le bois des arbres est sollicité et la coupe des arbres fait craindre un appauvrissement de la forêt et un échec de tant d’efforts fournis. Mais l’éloignement de la région, son accès qui reste difficile font que l’action de coupe des arbres est interrompue.
Elzéard continue de planter.
En 1945, il a 87 ans et le lieu a complètement changé. Le hameau de 1913 qui comptait cinq maisons et cinq habitants en a une trentaine désormais et de belles maisons se bâtissent avec jardins et dépendances. Des fermes prospèrent et les prés sont verts.
" Tout le pays resplendit de santé et d'aisance. C'était désormais un endroit où l'on avait envie d'habiter. Les vieilles sources, jadis taries, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les forêts, se sont remises à couler. "
L’orge et le blé se cultivent et la lavande sauvage fait elle aussi de belles rencontres !
Pour cela, il a fallu de la patience, de la constance, un travail régulier et attentionné, un acharnement à résister aux infortunes pour qu’ une œuvre puisse naître.
« Je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien une œuvre digne de Dieu »
Il est mort en 1947 à l’hospice de Banon.
J'ai eu quelque peine à trouver des mots après un long moment de silence. J'ai attendu que la germination se fasse.
Fable écologique, hymne à la nature, message philosophique, légende ? La rencontre avec le berger relève d’une spiritualité intraduisible.
La poésie est d’une telle amplitude qu’elle est indécelable et ne passe pas par les mots.
Elle infuse par les gestes et les regards, elle transmue par le corps assoiffé et les mains portant la richesse de la terre, ces glands qui vont donner des arbres.
Toute la poésie de ce récit vient de ce dépouillement qui décrit le visage, l’âge qu’on ne compte plus puis la lente métamorphose qui transforme le vide en plénitude.
Quelle écriture poser pour porter à son zénith un silence aussi meublé ?
Ginette Flora
Mars 2024
Annexes:









Merci Ginette, j'adore cet auteur, ce poète de la terre et ce livre là est une merveille ... Quel cadeau ! ❤️
Superbe ! Un grand romancier et poète, qui a tellement bien compris la nature et son lien avec les hommes
Quel beau récit Ginette, merci de nous le faire découvrir. Comme quoi la constance d'un homme peut faire des miracles. J'aime beaucoup les romans Jean Giono, ce poète de la nature qui la raconte si bien.
Je retrouve Giono que j'avais un peu oublié... et j'ai recherché dans ma bibliothèque "Le hussard sur le toit". J'aime aussi Marie-Hélène Lafon et ses récits cantalous.
Cet livre petit de format, mais lourds de mots et de belles pensées est, pour moi une référence magnifique. Jean Giono est un conteur de le nature il sait parler d'elle avec amour et respect. Pour la petite histoire un projet existe en France mené par des ingénieurs forestiers
il s'appelle : projet Giono. L'homme est parti mais ses idées suivent leurs chemins !
Merci Ginette pour cet hommage bien mérité !