Catherine Pozzi, femme de lettres
- Ginette Flora Amouma

- 3 mai 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 janv.

La Belle-Epoque
Catherine Pozzi, née en 1882 à Paris et décédée en 1934 à Paris, enterrée dans son Périgord natal, est une figure de la Belle Epoque. Elle est issue de la bourgeoisie où l'on tenait salon quand on voulait faire partie d'un cercle d'auteurs et d'artistes et que les conversations ne tournaient pas seulement autour de la littérature mais aussi de la politique et des avancées scientifiques. Catherine a grandi au contact des personnages férus de science, de culture et d'arts.

La jeune Catherine en sera très tôt imprégnée et très tôt avide de consigner ses impressions dans des cahiers, sorte de journal intime où son talent d'écriture s'exerce déjà en filigrane.
Elle est suivie par des précepteurs, musique et sport font partie aussi de son éducation. L'envie d'exprimer ses " murmures intérieurs " lui viennent dès l'âge de dix ans.

Elle épouse en 1909 Edouard Bourdet, plus jeune qu'elle et qui se destine à la littérature. Ils ont un fils, Claude. Diagnostiquée de la maladie de la tuberculose elle se lance dans une série d'études disparates, scientifiques, historiques, littéraires et philosophiques comme possédée par une urgence de vivre et que sa vie maritale ne comble pas. Lasse des frasques de son époux, Catherine divorce en 1920.
En 1915, elle écrit son livre phare " Peau d'âme" , son " De libertate ".

Elle meurt à l'âge de 52 ans. Sur toute son œuvre, marquée par la soif d'absolu et le désir vibrant d'y croire malgré les désillusions, on sent passer les ombres de la maladie soignée par des remèdes de plus en plus lourds, ce qu'elle nomme "Scopolamine" du nom des drogues qui soulagent son mal. Devant la souffrance, la poésie devient aussi un remède.
Sa vie sociale lui permet de rester en contact avec beaucoup d'auteurs, d'artistes et de chercheurs. Elle sent qu'elle vit dans une époque où le talent féminin subit le joug de maints préjugés et que pour se faire reconnaître et imposer une création authentiquement personnelle, il lui faut résister avec une énergie hors du commun.
C'est dans ce contexte qu'elle rencontre en 1920, l'écrivain, le journaliste, le poète, le philosophe Paul Valéry.
1920-1928 : Catherine et Paul

Ce fut sa chance et son échec, une liaison tumultueuse, son paradis et son enfer.
D'abord ce fut une fusion intellectuelle et amoureuse. Une liaison secrète, exigeante, riche d'une réflexion quotidienne mais douloureuse. Quand elle le voit, elle sait que c'est son "alter ego", son âme soeur et si semblables sont-ils, si fusionnels que leurs esprits se répondent en diapason à tel point qu'une collaboration s'installe entre eux. Elle corrige et relit les carnets de Paul et lui, il lit les écrits de Catherine.
Puis Catherine découvre que Paul reprend les passages de sa nouvelle "Agnès" et de "Peau d'âme" pour écrire une nouvelle qu'il publie pour son compte.
Les prémices d'un doute fissurent la sensibilité de Catherine quand elle comprend que Paul s'inspire de son œuvre, de ses nouvelles pour écrire soit des préfaces d'auteurs comme l'Eurêka d'Edgar Allan Poe soit des récits que Paul écrit, des nouvelles comme Rhumbs où des morceaux de "Peau d'âme" s'y retrouvent.
Coïncidences, fusion de leurs esprits qui souvent se croisent ?
Catherine tente de se leurrer, d'inviter Paul à éviter ce genre de pillage.
Où est la vérité ? Catherine sent-elle venir l'emprise de Paul sur son esprit ?
Dès lors, son attachement à l'homme aimé lutte contre son arrachement à sa domination.
La trahison de l'être aimé, posé sur un piédestal distille un poison infernal dans l'âme de Catherine qui exigeante d'absolu, refusant de souscrire à des réalités terrestres, semble découvrir que Paul est accaparé par les dorures de son siècle, les honneurs, la course aux titres et au fauteuil notamment celui de l'Académie Française, hanté par la postérité alors que Catherine n'a rien et réalise qu'elle n'a rien publié.
En 1927, elle publie "Agnès" pour conjurer le sort et sortir de l'obscurité, imposer sa propre marque de fabrique car elle retrouve des passages de son texte dans les carnets de Paul.
La douleur de la rupture survient inévitablement et plonge Catherine dans la solitude. Elle perd du même coup, son lien avec les salons parisiens de la politique, du journalisme et des lettres. Après huit années d'une passion houleuse qui oscillait sans cesse entre le désespoir du doute et les joies d'une plénitude, elle préfère se retirer de la scène.
Les critiques s'emparent du trajet de leur conscience pour en faire une glose compliquée et dire que les deux auteurs se ressemblaient beaucoup jusqu'à écrire pareillement. Elle était mystique, lui était rationaliste à l'extrême, nul n'est totalement pareil.
D'autres critiques ont dit que Catherine dans sa souffrance physique tombait dans des crises de paranoïa au point de croire qu'on pillait son écriture.
D'autres évoquent le combat d'une femme pour s'arracher à l'emprise d'un cerveau viril. "Nos pensées sont pareilles " s'en défend Paul. Catherine le reconnaît mais elle sait qu'elle doit faire front partout, devant le clan Valéry qui couvre son maître, Catherine réalise que sa place est ailleurs.
La réalité, disent certains exégèses, c'est qu'il s'agit de deux âmes en fusion, qu'entre eux deux il y avait des moments de grâce, un synchronisme de pensée qui pouvait prêter à confusion.
Mais certains évoquent la résurgence du syndrome Camille Claudel et comparent les deux destins. Paul n'a pas voulu reconnaître Catherine comme son égal. Est-ce de cela que Catherine a le plus souffert ?
"La hiérarchie a perverti le rêve de l'idéal."


Elle écrit son testament littéraire : 6 poèmes portant des titres latins :
Ave , ( ce poème est affiché dans les rames du métro parisien) Connu également sous le titre de "Très haut amour"
Vale (Adieu écrit selon le modèle de "Ave atque Vale" de Catulle, un diptyque d'affirmation et de négation )
Scopolamine (du nom des drogues et des remèdes qui la terrassaient )
Nova ( du nom de l'étoile dont l'éclat est l'ultime salut qu'elle aurait voulu atteindre )
Maya (la civilisation maya découverte par ses études et dont elle se sent très proche)
Nyx , (la nuit , titre inspiré par un sonnet de Louise Labé)

C'est un écrivain inclassable tant elle écrit dans de nombreux genres : essais, journaux, poésie, nouvelles, lettres.
Sa correspondance avec Paul Valéry est un des fleurons de la littérature française. C'est l'écho d'un temps où l'on s'écrivait de longues lettres. La BNF n'en garde que la partie de la correspondance divulguée car Catherine exige dans son testament que sa correspondance avec Paul soit détruite, ce qui sera fait selon ses volontés. Il ne nous est parvenu qu'une seule partie .
Ne reste que la flamme qu'elle a bien voulu ne pas éteindre et les cendres qu'elle laisse pour que nous voyons ce qui reste de la flamme.


Méconnue, trop longtemps invisible de par sa maladie et ses blessures, elle meurt en ne laissant des souvenirs que dans l'esprit de quelques amis qui lui sont restés fidèles.
Sa poésie est proche de celle de Louise Labé. Elle remet à l'honneur la poésie amoureuse du XVIème siècle et rappelle par des effets stylistiques la poésie des poètes italiens comme Pétrarque .

Un embrasement au loin, qui aveugle pourtant notre regard, c'est qu'il nous faut penser un instant à des âmes qui ont répondu à une exigence, qui ont voulu assouvir l'appel d'un absolu qui les a obsédées mais que la réalité plus prosaïque les a fait se heurter sur les murs de la plate tranche des travaux et des jours, des sentiments, des lois rudes qui font que le bien et le mal se croisent sans cesse et qu'après l'éblouissement du bien survient l'avilissement du mal.
Tout le tragique destin de Catherine Pozzi restitue le drame puissant, ardent, au bord de ce goût de l'eau qui connaît le pourrissement.
Le 6 juillet 2003, dans l'émission "Une vie , une œuvre " dans France Culture, consacrée à Catherine Pozzi, on est saisi par le rappel de ce que peut devenir un esprit exigeant, épris d'absolu qui se trouve confronté aux affres d'un quotidien pragmatique et conciliateur, négociateur et faisant fi des sentiments.
" Tout cet amour qui n'est pris par personne, qui sait où il va ? "
Mai 2023
Ginette Flora




❤️J'ai adoré Ginette, le portrait que tu nous offres ...une histoire de vie que je trouve magnifiquement touchante et une découverte incroyable ... Merci à Toi..
Quel magnifique texte que le tien, Ginette ! Catherine Pozzi, "L'âme consumée", une femme qui m'a toujours émue. J'ai lu son "Journal 1913-1934 " (Phébus libretto), un livre pas toujours facile tant sa pensée était multiple. Elle avait écrit : "Je veux et j'entends que les lettres et papiers de la main de M. Paul Valéry soient détruits par mon exécuteur testamentaire [...] L'on avisera M. Paul Valéry de la destruction de ses lettres afin qu'il retrouve une certaine paix".
Que dire? Que penser? Fragilités des êtres par leur temps malmenés ! In medio veritas... Il y a bien eu du feu, puisqu'il y a eu de la fumée. Le feu des amours et des ego... et du statut de la femme... un peu "Sois mère et tais-toi".
Sieur Fabius, lors de la candidature de Dame Royal, ne s'était-il pas fendu d"un mémorable "Mais qui va s'occuper des enfants?"