My tender soul
- Ginette Flora Amouma

- 31 janv.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 janv.

Je n’étais qu’une de ces femmes, toutes pareilles quand elles se déplaçaient ensemble car nous sortions ensemble à pied ou à vélo, nous avions nos chapeaux et le vent jouait dans les larges plis de nos tuniques réglementaires d’une fluidité aérienne, colombes légères qui allions tous ensemble vers nos écoles ou nos ateliers.
Avions-nous du talent ? Nous voulions apprendre et comprendre, nous voulions enseigner et transmettre.
Nous parlions des personnes que nous voulions connaître, nous dessinions les endroits dont on nous disait du bien, nous bavardions et nous aimions l’heure où nous nous réunissions.
Le chemin n’était jamais trop long quand nous allions ensemble comme des nuées d’oiseaux avides de s’envoler au loin.

Nous n’évoquions jamais ceux qui nous avaient façonné et confiné dans un havre de raison. Jamais non plus nous ne cherchions à rompre les codes qui régissaient les groupes auxquels nous appartenions.
Je ne savais pas comment on nous voyait quand nous traversions les rues de notre cité mais les yeux brillaient de félicité devant notre passage. C’était ainsi qu’on voulait que l’on soit, palombes discrètes et pudiques, une fleur à la main car nos prénoms étaient des noms de fleurs, nos habits évoquaient le feuillage d’un arbre qui tenait bon et nos chapeaux couvraient nos longs cheveux noirs qui nous tombaient sur les épaules comme des soieries sombres d’un destin qui nous était prédit à l’avance.
En arrivant aux portes des instituts où nous nous formions pour un avenir d’infirmières ou d’esthéticiennes, un poste de fonctionnaire ou d’enseignante, nous laissions tomber nos masques en même temps que nous laissions choir nos chapeaux.
Anh la sauvageonne ne se privait pas de nous surprendre. Derrière le visage lisse et calme, il y avait un volcan. Nous la retenions parfois de trop vouloir conquérir le monde « Tu ne sais pas ce que c’est ! »
– Je sais qu’ici tout est étriqué et faux. Insuffisant.
Son doigt qui suivait le mouvement de la sédition nous faisait sourire.
Maï la matière grise ne cherchait qu’à obtenir rapidement ses diplômes. C’était celle qui avait tracé à la règle plate et précise le cours de sa vie.
Et quand on me demandait ce que je voulais faire, je leur répondais que j’obéissais d’abord pour savoir où me diriger ensuite.
Et nous riions de nos projets d’escapade.

Je ne saurais situer le jour où je le vis. Quand je le fais, tout se transforme, le ciel n’est plus le même, ni la rue ni le lieu vers où j’étais censée arriver.
De ce que j’ai pu comprendre, le faisceau d’un regard posé sur moi au moment où je croisai le sien fut à l'origine d'une cristallisation.
C’est à ce moment-là que s’est opérée la magie. Tout s’est transformé et depuis j’ai porté seule cet éblouissement qui fit de moi l’unique, la seule préservée dans un groupe uniforme qui m’assimilait.
Je devins singulière et je pris plaisir à m’isoler pour retrouver ce moment qui fit de moi la seule à exister parce qu’il s’était approché de ce que je cachais, mon véritable calice de sang et d’ossements hybrides.
Chaque jour, je me demandais d’où venait l’ivresse à laquelle je goûtais partout où je me déplaçais.

Je devins différente à mes yeux d’abord car il ne s’agissait plus de la différence qui existe entre les êtres et leurs pensées. Il s’agissait d’une autre forme de pensée radieuse et précieuse, une entrée dans un temps inexistant mais brusquement ouvert pour moi et moi seule. Il pouvait s’agir aussi d’un appel car je reçus chaque bruit avec effarement. Il pouvait s’agir d’une lumière car je m’attardais près des champs et je prenais les ponts pour mieux voir l’eau se changer en coupelle ruisselant d’entre des mains offertes. Il pouvait s’agir d’une ombre qui venait à moi et que je voyais furtivement se rendre à mon chevet. Il pouvait s’agir d’une voix qui me murmurait des mots dans une langue que je désespérais de déchiffrer.

J’étais ailleurs et souvent la scène recommença quand il s’approcha lentement. Il nous arriva de faire des pas ensemble, lui et moi. Nous refîmes les rues de la cité, je souriais mais je ne savais pas parler. J’avais du bout des lèvres des mots que personne ne comprendrait.
C’est ainsi qu’on ne me vit plus avec les autres femmes.

Je préférai partir seule et rentrer seule pour prendre tout le temps qui se libérait, lui laissant davantage le temps de vivre le temps qui me restait.
Il ne me fuyait pas mais vivait d’une présence constante dont je sentais qu’elle était durable pour ne pas dire éternelle et je vis plus d’une fois son ombre s’allonger sans disparaître.
Un jour, il ne fut pas loin de moi et ce visage que je languissais de revoir, je le vis dans l’aveuglement d’un rayon de soleil et même mes yeux ne suffirent plus à me rassasier de lui.

Ginette Flora
Janvier 2025
© Peintures d 'Art Saigon
Vietnam vn
Galerie Création




Un magnifique texte tout en pudeur, illustré par des œuvres d'un bel raffinement ...⛩️
Une confidence d'une rencontre qui donne le vertige. Merci Ginette pour ces mots si pudiques.
Quel texte magnifique qui décrit avec délicatesse et justesse ce que ressent toute jeune fille qui vient de capter le regard qui la rend unique. Merci beaucoup.