"Le Nocturne 21 " de Frédéric Chopin
- Ginette Flora Amouma

- 4 mai 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 janv.
Les 21 nocturnes de Chopin ont été élaborés de 1827 à 1846 ; les deux derniers nocturnes, 20 et 21 ont été composés en 1830 et en 1837 mais ne seront publiés qu’en 1870, bien après la mort de Chopin qui décède le 17 octobre 1849 à Paris.
Il a popularisé le genre que le compositeur irlandais John Field (1782-1837), né à Dublin, affectionnait. Fréderic Chopin était son grand admirateur. Tous deux se rencontrent et se reconnaissent dans le choix des sonorités qu'ils développent. Field était dubitatif quant aux compositions de Chopin qui, lui, ne cessera de vouer une admiration sincère pour celui qui inspira ses nocturnes. Field dit de Chopin qu' "il a un talent maladif " et Chopin, influencé mais non plagiaire, reste ce qu'il est dans ce qu'il va créer d'après le terreau laissé par John Field. Le malheur de Field, disent les critiques les plus sagaces, c’est que le Polonais a porté " le genre à de tels sommets que toutes les plus belles anticipations en sortent inévitablement dépréciées."
Ecoutons le nocturne N°5 de Field
et puis écoutons le Nocturne 21 de Chopin
Sur une structure ternaire ABA, on a :
- Un mouvement lent qui amorce une onde de langueur, caractéristique des Nocturnes, qui indique la tonalité.
- Puis une partie centrale qui forme un sursaut, un détachement comme l’expression d’une émotion qui entre dans l’âme, le nomme ou du moins cherche à le faire en le composant.
- Enfin un dernier mouvement qui reprend le mouvement initial en le modifiant et en lui apportant des ornements comme si la souffrance ou le chant exprimé s’exposait avec pudeur.
Sur ce schéma convenu, Chopin en fera une scène dramatique et lyrique.
C’est ce qui fait toute son originalité et la marque de son expressivité. Il pose sur l’ensemble de ses Nocturnes un je ne sais quel air qui leur donne une résonance particulière.
Le Nocturne 21 ou le chant pur de Chopin
Chopin est déjà à la fin de sa vie quand il compose le Nocturne 21.
Miné par la maladie et ses souffrances personnelles, il trouve dans le genre musical que lui offre le nocturne, un lieu où il peut se confier, laisser son piano puiser dans son âme ce qui l'émeut.
Car le nocturne n’est pas l’expression d’une torture ou d’un cri déchirant.
Tout l’art de ce morceau est d’être élégiaque, le mouvement est lent, une discrétion, le sursaut du mouvement central, non pas un sanglot mais une larme qui vient d’un murmure exhalé enfin après s’être longtemps tu.
Chopin donne au silence un langage musical.
Le rubato, la reprise de la démarche initiale, est assorti d’un chuchotement qui réveille ou ramène des scènes d’un infini qui fait battre par secousses légères un cœur qui avoue son émotion.
L'émotion est sous-jacente, elle voltige, elle saute par dessus les touches noires et les touches blanches. " C'est la mélodie de la main droite " que l’utilisation de la pédale renforce en intensité.
En utilisant davantage la pédale, la musique gagne en expressivité et fait durer la sensualité de l’émotion.
Une respiration dramatique s’installe. Ce sont des fioritures inspirées du bel canto italien.
La main gauche assure la continuité des arpèges, on entend les notes glisser comme des pas tandis que la main droite s’agite, part sur des lignes mélodiques, atteint une harmonie dans l’agencement des notes, tout est fluide.
C’est un morceau très apprécié des pianistes. Il annonce une certaine modernité. La muse songeuse de Chopin rivalise avec une voix lyrique.
Ce sont des romances, dit-on car on se surprend à vouloir fredonner et des mots viennent, un épanchement sur l’écoulement d’une source.
D’une élégance rare, où le pathos ne s’invite pas car la pudeur en ces instants intériorisés reste la maîtresse du jeu du musicien.
Les interprétations du Nocturne 21
Elles n'ont pu échapper aux critiques des mélomanes, de leur écoute subjective, de leurs compétences en musicologie.
Tous s 'accordent à dire que l'interprétation de Claudio Arrau est la plus bouleversante.
Les exécutions au piano sont variées, émouvantes, appréciées, toujours reprises, c’est le nocturne le plus accessible.
Mais d’une interprétation à l’autre quelque chose reste, un goût suranné. Il réveille tout de suite les sens, les met en suspens, il déterre une racine. C’est soudain, c’est immédiat. Les sens, tous les sens, sont sollicités, pour visualiser un sujet qu’il suggère.
Car outre la captation des sens, il y a le sujet évoqué qui va se dessiner et qu’on peine à discerner, pourtant si net mais ineffable.
Avant d’être du Chopin, le morceau vient du tréfonds de nous-mêmes. Il nous parle.
Dès les premières notes, on se met aux aguets car le son, les notes nous conduisent vers ce sujet qu’on a senti exister en nous-mêmes et que nous seuls pouvons faire revenir à la lumière.
Nostalgie ? Morsure de l’infini ? Appel de l’absolu ? Ou rappel de ce qu’on a vécu ? Si loin est-il qu’il revient nous hanter.
Car c’est aussi une hantise amorcée avec pudeur, flamme allumée alors qu’elle se consumait.
Sur quoi veillait-elle cette flamme ? Les notes s’agitent, se cherchent, reviennent à la source prendre les premières notes et repartent prendre la " chose " qui s’éloigne.
Certains pianistes se penchent sur le clavier comme pour s’en emparer de ce qui va leur échapper sans pourtant le faire, ombre ondulante mais si enterrée dans nos cœurs !
Le Nocturne N°21 cherche à imiter la voix humaine, disent d’autres musiciens, pour extraire les mots qui sont dans les notes mélodiques.
Faire corps avec le piano, semble dire Sokolov qui joue comme aspiré par sa muse.
Mais il suffit d’écouter pour comprendre l’impact qu’une telle mélodie peut faire sur notre inconscient.
Ginette Flora
Mai 2024






Magnifique...j'ai adoré, Ginette ... Merci en grand
" Certains pianistes se penchent sur le clavier comme pour s’en emparer de ce qui va leur échapper sans pourtant le faire, ombre ondulante mais si enterrée dans nos cœurs !" Vraiii ❤️
pudeur, sensibilité et grande virtuosité, Chopin est réellement le plus grandiose des compositeurs pour piano seul... Merci de ces morceaux choisis qui bercent mon dimanche matin...