Le Mont Aigoual
- Ginette Flora Amouma

- 3 févr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 oct.

Sommet de l'Aigoual (Peinture de Babeth Louisa )
On dit que l’eau a donné son nom au Massif des Cévennes. Le Mont Aigual est traversé de rigoles, de cours d’eau, de rus, ces petits ruisseaux qui surgissent près des racines, que des fougères dissimulent. De brusques sources suintent derrière les pierres renversées dans les végétaux.
On a même créé un lac de retenue car l’eau, il en fallait beaucoup pour les troupeaux paissant dans les pâturages.
Les arbres, l’eau, les pâturages, c’est l’histoire du Mont Aigual qui se découvre dans tous ses bouleversements.

Lac de retenue au sommet de l'Aigual (Peinture de Babeth Louisa )
« Je te salue , Ô Mont Aigual »
( Poésie d’Emile Reinaud, maire de Nîmes au XIXème siècle ). C’est un long poème qui chante les parures naturelles de la montagne. Après l’avoir lu, on est curieux d’aller à la rencontre de la montagne occitane.
Le mont Aigual est une montagne située au sud du Massif Central, entre le Gard et la Lozère. Il culmine à 1565 m d’altitude. Il a trois sommets qui empiètent sur deux départements, le Gard et la Lozère. Le pic de la Fageolle dans sa partie sud-est, la Tourette de Cassini avec l’observatoire météorologique et sa table d’orientation, sommet qui bascule déjà dans le Gard et le Portalet en Lozère.

Sont-ce ses jardins aux essences multiples suspendus à des hauteurs à peine imaginables ou ses quelques quatre mille marches à monter qui séduisent les randonneurs qui ne reculent pas devant l’appel du destin ?
Car en plus d’apparaître comme un blanc promontoire tout de granit et de schiste vêtu, le Mont Aigual traîne encore dans ses racines l’aigreur d’un sortilège qu’on lui a souvent prêté. Il ne s’en est jamais tout à fait départi. Une légende le couvre de mystère en prédisant que de :
« Là-haut, le premier qui remontera jusqu’à la tour du guet connaîtra le destin du monde ».
Chaque randonneur s’en souvient quand il se rend dans la montagne et qu’il s’accroche aux buissons ardents pour progresser.
Le village de l’Espérou
Il est situé au pied du mont Aigoual. Tous les commerces, les aires de stationnement y sont concentrées. C’est aussi là que l’on s’engage dans une piste neigeuse où l’on peut faire de la luge et des raquettes.
Si l’on vient des villes occitanes, de l’Ouest, du Sud ou de l’Est, le petit village est une aire de transit appréciable quand on doit prendre le sentier des marches qui emmène au sommet.
L’on vient de Nîmes, dans le Gard, on vient de l’Aveyron, on vient de Montpellier dans l’Hérault pour voir l’observatoire météorologique et les jardins suspendus dont les noms évoquent une étrange mythologie.
L’Hort de Dieu, l’arboretum la Foux , le jardin Puéchagut…
Les Forêts de l’Aigoual
Autrefois, le Mont Aigoual était couvert de forêts, le temps des sonnailles annonçant la transhumance, voyait bêtes et bergers remplir les plateaux et les prairies. C’était au sommet de la rocaille que des chants résonnaient au XVIIIème siècle. Les forêts denses et opulentes, aux diverses essences libéraient de suaves senteurs boisées très caractéristiques des sommets montagneux, faisant le bonheur des habitants qui avaient besoin du bois pour se chauffer, se nourrir et construire un logement. L’abattage hétéroclite des arbres eut raison de la forêt qui perdit son peuplement.
Au XIXème siècle, force était de constater que le déboisement provoquait des crues dramatiques (celles de 1844 et de 1868) à tel point que l’opération « Reboisement » pour l’implantation d’une forêt de protection vit le jour.
C’était l’Aigoual, c’était surtout de belles étendues de forêts de hêtres, des "chourradous" qui sont des hêtres ayant plus de 200 ans et des sapins qui lentement se sont clairsemés.
Les pâturages se sont développés de manière anarchique parce que les bergers avaient besoin de l’herbe pour leurs troupeaux. Des châtaigniers trouvèrent à résister quand on les plantait.
Au XIXème siècle, les sols n’étaient plus que des landes de bruyère et de genêts.
Le reboisement en 1850 ne fut pas facile car les bergers retardaient les travaux en brûlant les jeunes arbres en pleine croissance.
Le forestier Georges Fabre se consacra au reboisement avec l’aide du botaniste Charles Flahault venant de Montpellier pour le choix des espèces adaptées.
Fabre améliora le réseau routier permettant de se déplacer en forêt. Il fit construire l’Observatoire météorologique dans le château du Moyen-âge aux tours crénelées qui domine le Mont Aigoual.
Grâce aux conseils du botaniste Flahault, le forestier eut l’idée de créer des espaces verts, des horts, des jardins qui se développent à plus de 1000 m d’altitude en complétant l’inestimable apport en végétal dont a besoin le massif pour freiner les inondations.
Ces jardins appelés des arboretums concentrent des espèces d’arbres pouvant résister à la vie en altitude. Dix jardins sont ainsi créés aux noms évocateurs comme le Hort de Dieu, la Foux et le Puéchagut.
Grâce à ces jardins suspendus, l’Aigoual est devenu un haut lieu de tourisme.
Les 4000 marches et la montée balisée

La station météo et sa table d'orientation

Au sommet de la Tourette de Cassini a été construite la station météorologique qui avec son relais radio amateur a conservé son allure médiévale. Le château et ses tours crénelées sont les grandes curiosités du Massif mais pour y accéder dans la plus pure tradition du terroir, il faudrait aller à l’assaut des 4000 marches sur des sentiers aux larges pavés qui serpentent jusqu’aux remparts du château qu’on accède après avoir pris le temps de côtoyer d’énormes rochers fichés dans le sol comme des glaives.
On aborde ces marches si on est déjà habitué à faire de longues randonnées tant la distance sinue à travers des bocages, des châtaigniers et des fougères, une forêt dense. Le chemin est balisé par un amoureux du sentier, un baliseur qui peint des icônes sur le tronc des arbres selon un itinéraire qui permet aux randonneurs de ne pas se perdre.
En suivant cette piste, on découvre des œuvres d’art à même l’humus, laissés par les travailleurs du matériau végétal. Les ateliers de Land Art, à travers ses artistes a produit des enchevêtrements de branchages en utilisant le matériau végétal exclusivement. Des nids, des greniers, des grottes deviennent le refuge des oiseaux. Avec des branches de résine, un artiste fait des arches végétales, véritables trouées dans la lente ascension vers les nuages.
C’est dans cette forêt étroitement enserrée de feuillages que les maquisards ( les résistants) de la 2ème guerre mondiale se cachaient pour échapper à leurs poursuivants de même qu’avant eux, les camisards de la guerre entre les huguenots ( les protestants ) et les catholiques y trouvaient également refuge.

Les oeuvres végétales par Land Art et les roches des altitudes

La littérature de la sylve cévenole
Les écrivains n’ont pas hésité à parler de l’Aigoual qui ne cesse de produire un engouement sauvage et farouche quand on pénètre dans le cloître bourdonnant de la solitude.
André Chamson parle des Cévennes. Il écrit le livre des Cévennes où il consigne tout l'amour qu'il porte à sa terre. C'est un ancien résistant marqué par la culture montagnarde et dans un de ses récits intitulé "l'Aigoual", il rapporte des souvenirs de balades d'enfant et de jeunesse " ...quand adolescent, je venais chercher sur les crêtes de l'Aigoual, le secret de la valeur de la vie ..."
Emile Reinaud écrit une longue poésie dans un livre intitulé : " Les beautés des Causses et des Cévennes "
Jean-Pierre Chabrol ( 1925-2001) est un écrivain français, poète, peintre, illustrateur. Il parle de l'épopée des camisards et du peuple cévenol. Sa production littéraire va du roman aux illustrations pour journaux. Il est conteur et on retiendra surtout de son œuvre le livre "Les fous de Dieu" où il stigmatise l'âme cévenole.
Jean Carrière est né en 1947 à Nîmes et mort en 2005. Il a parcouru les terres du Mont Aigoual. Il est d'abord critique musical et chroniqueur littéraire avant de s'essayer à l'écriture. Il publie en 1969 son livre " L'épervier de Maheux" qui lui vaudra le Prix Goncourt. Il raconte la vie d'un paysan cévenol aux prises avec les éléments contrastés de la terre souvent ingrate et capricieuse et le labeur des hommes, leur souffrance silencieuse. C'est un récit puissant, intemporel qui parle du rapport avec le spirituel quand le matériel devient trop lourd à porter.
La légende du Mont Aigoual
En des temps très lointains, les gens étaient différents, ils inventaient des machines, ils volaient dans les airs, ils se parlaient au moyen de boîtes dépassant de leurs poches comme des gantelets d’hiver.
L’Aigual, c’était la montagne sacrée avec un château en son sommet et de redoutables gardiens avec des épées et des lance-flammes. De cette tour crénelée, on pouvait voir le monde, la mer, les montagnes et les plaines du plus loin que la vue pouvait porter à cette altitude.
C’est le lieu où tous les hommes de tous horizons se rencontrent. Et un jour d’autres hommes sont arrivés, ont barricadé la montagne et installé des machines et ont fait des tours crénelées un lieu d’observation et des gens masqués allaient et venaient, surveillaient, furetaient.
Une onde superstitieuse de malédiction se propagea alentour.
Certains bravèrent l’interdiction de franchir la barrière mais ils ne sont jamais revenus.
Un jour qu’on appela « La longue journée », il advint une sorte de miracle.
La montagne a grondé, une lumière rouge et orangée est apparue au sommet du château, un nuage s’est élevé, a dévalé les pentes et s’est arrêté juste à l’entrée du village comme si des dieux avaient empêché leur propagation.
La montagne est devenue blanche, la calotte blanchâtre surmontée des deux tours est montrée depuis lors avec crainte.
La légende dit que le premier qui remontera à la tour du guet, connaîtra le destin du monde.
© Contes et légendes de l'Occitanie
Images Occitanie Ranozo
Gard-Lozère
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Peintures de Babeth Louisa
Texte de Ginette Flora
Février 2025




L'Occinatie : j'en connais une toute petite partie d'autant plus petite que ton texte, les photos et les oeuvres de Babeth me donne grande envie d'y retourner.
Belle journée, Ginette !
"« Là-haut, le premier qui remontera jusqu’à la tour du guet connaîtra le destin du monde ».
C'est une belle phrase ...Merci Ginette, tu nous invites et les peintures de Babeth le confirment, on a envie de découvrir ce coin du monde ❤️
Merci Ginette pour avoir renoué tous les fils pour réaliser ce bel ouvrage.
Chère Ginette, pardonne-moi ce mauvais jeu de mots,mais une nouvelle fois tu as rédigé là un texte sans Aigoual ! ^^ Par ailleurs, il me semble que je ne connaissais pas ces deux peintures réalisées par notre amie Babeth ! Aussi, merci pour ce grand bol d'air frais en montagne ! ^^