Le chant stendhalien
- Ginette Flora Amouma

- 15 janv.
- 6 min de lecture

Henri Beyle, de son nom de plume Stendhal qui fait référence à une ville allemande, est né le 23 Janvier 1783 à Grenoble, est décédé en 1842 à Paris. C’est un écrivain français qui s’inscrit dans le mouvement littéraire qui ne se veut ni réaliste ni symbolique mais qui conserve encore un peu de ce romantisme qui fleuronne au 19ème siècle tout en suivant l’esthétique du souci de l’analyse psychologique inhérente au roman réaliste.
De lui, on sait qu’il est un auteur incontournable et qu’il laisse des romans dont les titres sont entrés dans notre culture : Armance, Le rouge et le noir, Lucien Leuwen, La Chartreuse de Parme, ouvrages qui brossent une période sociale traversée par des sursauts politiques. Ce fonds social permet à Stendhal de faire le portrait de personnages confrontés à leur destin dans un milieu où la notion de classes sociales décide de leur place dans la société.
Ce qu’on sait peu, c’est l’aveu de Stendhal qui dit dans son livre « La vie d’Henri Brulard »
« Le hasard a fait que j’ai cherché à noter les sons de mon âme par des pages imprimées »
© Histoires de la musique / Radiofrance.fr 2020
Stendhal désirait être un musicien, il pianotait dans son cœur, un violon chagrinait sa sensibilité.

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Révélation
Un jour de l’année 1800, il fait un voyage en Italie et découvre l’opéra lyrique. Il comprend aussitôt d’où lui viennent les clameurs de son âme, les cris des ténors, il les reconnaît.
Pour Stendhal, ce fut une révélation. Il en éprouve un indicible plaisir.
Il assiste aux représentations du théâtre de la Scala et découvre l’œuvre " Le mariage secret" du compositeur napolitain Cimarosa. Sa passion pour la musique jusque là muselée, se déclare. Il admire ténors et divas, il souhaite même jouer d’un instrument, clarinette ou violon.
De retour en France, il n’a de cesse de fréquenter les salles de théâtre, de rencontrer les acteurs, de montrer son admiration pour les divas, de fréquenter les salons littéraires et musicaux, il ne demande qu’une chose. Qu’on lui parle musique, qu’on lui enseigne le langage même sommaire de l’opéra lyrique.
On est dans les années1800, sous la Restauration. Gioacchino Rossini triomphe à l’opéra de Paris. Stendhal pallie ses lacunes en proclamant qu’un roman est comme un opéra.
Dès lors, son écriture s’attache à suivre le cheminement d’un livret. Un roman comme l’opéra devient un texte réparti en tableaux et en actes.
Dans la musique, l’expression des sentiments se pare de leitmotivs, de tonalités c’est à dire tout ce qui échappe au registre littéraire voire poétique. Stendhal, avant Verlaine dit qu’il faut de la musique dans l’écriture littéraire du moins un chœur opératique.
Il souhaite surtout que musique et écriture fusionnent.

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L'aventure musicale classique
A partir de 1811, il séjourne beaucoup en Italie, revient à Paris et devient attentif aux grands opéras qui l’ont bouleversé. Domenico Cimarosa, compositeur napolitain marque son esprit réceptif et nerveux parce que l’amour y est dépeint avec le lyrisme émotionnel dont il se sent proche et affecté.
Puis il reste médusé par le Don Juan de Mozart. La corde triste que fait vibrer Mozart laisse Stendhal éperdument admiratif.
Il découvre Joseph Haydn et « La création »
« Le barbier de Séville » de Rossini l’enchante ( à l’instar de Nerval, lui aussi pourrait dire : « Il est un air pour qui je donnerai tout Rossini et tout Weber … . » ( Nerval, 1808-1855).
La musique influence peu à peu l’écriture de Stendhal qui y voit ce qu’il y a de précieux c'est-à-dire ce qui provoque la vivacité de l’imaginaire. Pour Stendhal, il devient de plus en plus certain que la musique suscite des émotions plus fortes que ne peut le faire l’écriture. La musique évoque tout, couleurs, douleur, bonheur, ferveur…
Un peu comme les tableaux de Carlo Dolci.

Sa déclaration résonne sans que le brandon avec lequel elle est allumée jamais ne s’éteigne :
« La bonne musique ne se trompe pas et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore »
Curieusement, son engouement pour le grand opéra italien et les compositeurs allemands de la musique classique fait qu’il se détourne de l’esthétique romantique.
Stendhal et la musique
Il est un livre publié en 2019 par le professeur de littérature comparée, à Paris-Est, Francis Claudon paru aux éditions UGA, qui éclaire davantage le lien intense, varié et complexe qui unit Stendhal à la musique.
Stendhal vit dans une époque très riche où la musique classique s’est constituée et enracinée dans la culture occidentale.
Stendhal aborde la musique d’une façon subjective. L’esthétique romantique ne l’intéresse pas ( ni Beethoven, ni Liszt ni Chopin ni les autres romantiques ) Il est appelé ailleurs par une autre voix qui ne se décline pas en chapelets de larmes mais en humanité.
De même, quand il s’agit d’opéra, il est très éclectique.
C’est ainsi que se distingue l’étude de Francis Claudon dans un livre qui nous indique les pistes pouvant renvoyer aux séquences d’un opéra. L’auteur dit que Stendhal est un écrivain sensible à la musique des notes et qui s’évertue à produire des mots qui renverraient la même sensibilité.
« Je ne désire être compris que par des gens nés pour la musique. » (Stendhal)
En d’autres mots, il faut retrouver le Stendhal à l’oreille fine dans le Stendhal qui écrit. La musique de Stendhal est d’ordre psychologique et poétique, ce qui lui permettait d’être si sensible à la musique.
Il fréquente assidument les théâtres lyriques, l’opéra est sa passion, l’opéra et ses arias, l’opéra et sa structure, son action, ses séquences oratoires.
Il en retire un chant, le chant stendhalien, le chant des âmes sensibles. Avec lui, le roman réaliste se double de l’analyse des sentiments contrastés, poussés au paroxysme traduisant une émotion qu’un destin implacable rend plus dramatique. C’est l’amour de deux êtres aux origines différentes, c’est le combat des classes sociales, c’est l’ambition née d’un affrontement qui le dispute à la sérénité d’un bonheur sans cesse recherché pour l’avoir entrevu. C’est la bataille des convictions dans un climat sociologique qui les engloutit.
Traduire une telle émotion sur la page, c’est la démarche de Stendhal. Ce faisant, on apprend ainsi à connaître l’homme dans ses atermoiements, ses étonnements, son trajet car il entend ce qui résonne en lui. Cette musique-là est intraduisible. Stendhal veut s’en approcher le plus complètement possible en écrivant des scènes qui rappellent des tableaux, des actes cloisonnés d’un opéra. Une scène dans l’opéra de Rossini décrivant l’arrivée du Roi Charles X lui permet de raconter l’épisode « Un roi à Verrières » dans Le Rouge et le Noir ».
Stendhal reprend une thématique de Domenico Cimarosa du « mariage secret » et l’introduit dans ses romans, dans « Le rouge et le noir », dans « Lucien Leuwen », dans « La chartreuse de Parme » où les épisodes de mariages secrets sont énoncés.

De même le très énigmatique roman « Armance » fait penser à Don Juan de Mozart et à Otello de Shakespeare.
Domenico Cimarosa est un compositeur tombé dans l’oubli pour nous les contemporains mais pour les gens du 19ème siècle, Cimarosa était très souvent représenté donc très apprécié et reconnu.
L’air " quelle pupille tenere" de l'opéra " Gli orazi e i Curiazi", les Horaces et les Curiaces de Cimarosa est l'air adoré de Stendhal. Le thème est inspiré de la tragédie de Corneille et qui met en scène le dilemme cornélien.
Des scènes de l’écriture de Stendhal sont restées ainsi inoubliables.
L’arrivée de Julien chez Mme de Rénal, la lente éclosion de leur attachement réciproque, passages que Stendhal s’ingénie à porter jusqu’à un lyrisme émotionnel tel qu’il ne peut résister de débouler dans le décor, d’être intrusif « nous ne nous répéterons point… » comme s’il observait la scène et qu’il assistait à une pièce de théâtre.
Le livre de Francis Claudon montre que Stendhal était particulièrement et profondément préoccupé par le langage musical dans un texte littéraire et que l’opéra lui a permis de transcender et de parvenir à toucher le lecteur par une écriture qu’il est intéressant de relire autrement pour mieux comprendre son essence. Les techniques de l’opéra y sont empruntés comme des points lumineux où Stendhal l’écrivain rejoint Stendhal le musicologue.

D’ailleurs toute l’œuvre de Stendhal trempe dans la manne de la musique. Stendhal a été un critique musical, il a également écrit un journal intime où il confie ses émotions et son recours à la musique pour les canaliser.
Ses romans abondent de passages où l’on sent combien l’auteur se pose, se laisse prendre, emporter par une émotion comme s’il se sentait au bord d’un message délivré.
Il s’est même risqué en 1816 à écrire un opéra comique en un acte.
Son œuvre littéraire reflète constamment son amour de la musique.
C'est le chant stendhalien.
Ginette Flora
Janvier 2025




Merci Ginette pour ce voyage stendhalien, ce n'est pas mon auteur de coeur mais j'ai aimé retrouver ses pas dans tes lignes ...et la musique de ses pages ❤️
un auteur que j'ai lu adolescente ! Merci de me le remettre en mémoire Ginette
Grand merci, Ginette, pour ce voyage dans l'univers de Stendhal dont je n'avais lu, adolescente, que "Le rouge et le noir" et "La chartreuse de Parme". Ces deux livres sont dans ma bibliothèque et j'ai toujours le projet de les relire un jour... et les jours passent si vite !
Stendhal, dans la littérature française, aura joué sa partition avec sa plume ! Un bel et intéressant article, Chère Ginette ! ^^