Le Baltistan
- Ginette Flora Amouma

- 18 oct. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 févr.
A la frontière Nord du Pakistan, jouxtant la frontière Nord de l’Inde, se trouve le Cachemire qui est lui-même entouré par les frontières de deux pays le Ladakh et les Territoires du Nord que sont le Gilgit et le Baltistan.
Leurs frontières sont redoutables. Elles sont délimitées par les gigantesques chaînes montagneuses himalayennes culminant à plus de 6000 mètres d’altitude qui servent de repères pour situer les petits pays engoncés dans les plaines encaissées assises sur près de 3000 mètres d’altitude.
Une guerre des frontières s’est installée ajoutant à la rude barrière des lieux, les coups de boutoir des querelles partisanes, chaque pays s’évertuant soit à s’extraire de la rapacité de ses voisins frontaliers, Chine, Inde, Pakistan soit à revendiquer vainement la pleine autonomie et la jouissance des droits fondamentaux en matière de politique, d’économie et de culture.
C’est le cas du Baltistan
Même à ces altitudes, la flore ne se décourage pas et se pavane .
C’est un pays qui s’étend à l’Ouest du Cachemire dominé par les sommets du Karakoram culminant à plus de 6500 m d’altitude dans une région si particulière qu’elle est sur- nommée « Le petit Tibet ».
Anciennement sous contrôle du Tibet, elle est passée sous l’autorité des Sikhs en 1842 puis sous la gestion des Britanniques. Les Anglais l’intègrent dans l’état princier du Cachemire. Lors de la partition qui divisa l’Inde en trois parties ( Pakistan, Inde et Bengla Desh ), les Anglais donnent le pouvoir au Cachemire de contrôler le Baltistan. Or le Baltistan est un pays de confession musulmane et il demande l’adhésion au Pakistan qui en profite pour annexer totalement le pays, le soumettre à son autorité et lui faire subir les pires répressions. Un régime militaire opprime le pays tout entier qui forme avec le Gilgit les Territoires du nord. C'est alors que l’Inde demande le contrôle de ce territoire.
Le Baltistan se révolte et revendique son autonomie.
Le Baltistan s’efforce de s’autogérer et d’échapper aux fourberies de son voisin le Pakistan qui l’a occupé en 1947 en créant les Territoires du Nord.
C’est la partie sombre de cette partie du monde si éloignée, si isolée, écrasée par les vents contraires que les soubresauts d’un peuple combatif passent inaperçus.
Resté à l’écart de la scène internationale, cherchant à se libérer des chaînes qui l’entravent et masquent sa véritable figure, il n’est que de contempler les paysages de sa région pour sentir planer une volonté fruste mais vivante, un esprit solitaire mais vaillant dans l’adversité. C’est comme si les glaciers blancs nous laissent lire une philosophie sauvage, irréelle, intemporelle, d’une inaccessibilité qui n’est pas de marbre mais de terre.
De ce joug permanent qui vient des hommes et des paysages, le Baltistan fait voir de plus en plus ses profils lumineux. Il s’enhardit à jouer à visage découvert, de son chant qui n’est ni triste ni joyeux mais un chant lancinant apporté par les crêtes des hauts sommets, un chant qui vient de si loin qu’on se sent égratigné par les défilés traversés pour nous atteindre.
Pendant longtemps, jusqu’à l’aube du 21ème siècle, le pays du Baltistan est écrasé par la répression pakistanaise qui contrôle tout au point qu’un mouvement nationaliste émerge, s’intensifie et fait valoir ses droits à l’autonomie, à l’indépendance et à l’application des lois sur les droits de l’homme.
La population est de confession chiite et leur culture différente de celle du Pakistan. Le pays qui est tombé dans une arriération générale privant le peuple de toute identité et de toute participation aux affaires de leur pays, s’est senti menacé dans ses racines.
En 2009, le mouvement nationaliste parvient à faire accepter une ordonnance interne pour l’application des droits élémentaires en matière de justice, d’éducation et de conduite des affaires. Une assemblée législative prend les rênes du pouvoir en se rendant vite compte que le pouvoir, le vrai pouvoir vient toujours de la Ligue du Pakistan, ce que critique le Baltistan qui remet sur le couvert sa demande d’autonomie complète sans avoir à subir le diktat de son voisin. Le gouverneur pakistanais a en effet tous les pouvoirs d’ingérence sur toutes les affaires. Le Baltistan est un pays sans constitution.
Le Baltistan et son âme
C’est un des jalons de la route de la soie. Marco Polo l'a suivie, Alexandre le Grand a emprunté aussi cette route et de nos jours bien des adeptes de varappe et de randonnée empruntent la même route, accompagnés de leurs guides de montagne.
C’est la vallée des immortels en référence aux hautes montagnes qui semblent toucher le ciel, s’y confondre les nuits où ses contreforts ressemblent aux portes du monde.
La longévité des peuples montagnards qui vivent de thé, de galettes de sarrasin, de légumes et de fruits leur donnent une aura de jeunesse continue, l’eau descendue des montagnes, l’air aux souffles de pureté font de ces hommes et de ces femmes une peuplade préservée malgré la dureté des conditions d’existence que les munificences de la fondation de l’Aga Khan et de son réseau de développement culturel et éducatif cherchent à pallier.
Même les fleurs se lèvent au milieu des roches et offrent leurs couleurs pour célébrer la vie si humble soit-elle.
Les seuls bruits qui s’amplifient et deviennent de plus en plus identifiables sont ceux de l’eau, de l’air, du ciel impassible sous son havre de silence.
Et le silence devient bruit et s’accompagne d’un bruit invisible, inaudible qui remplit ce côté de l’humain qui aspire à l’absolu.
Les vallées sont traversées par la rivière Hunza, le ciel est gris bleu comme les versants des montagnes, ces masses géantes qui entourent les petits hameaux. Des bergers conduisent leurs troupeaux, les guides chevronnés racontent leur vie en aidant les touristes, les chercheurs de vertiges à se rendre toujours plus haut. Des forteresses se dressent sur leurs routes, des lacs se découvrent, des temples avancent leur silhouette, des vestiges de pierre abondent et pour aller plus au centre de la terre, les villages deviennent pierre, sont bâtis de roches et de granit.
Le village de Gulmit est un village de pierre où l’on chemine dans des sentiers et des dédales empierrés.
Il existe un pays qu’on appelle la capitale des immortels. C’est Karimabad, il est dominé par le Fort Baltit.
C’est une halte importante pour tous les caravansérails. Le fort a beau être une forteresse, il n’est qu’un point, une rocaille devant les visages des géants qui l’entourent et qui culminent à plus de 6000 m d’altitude.
Penchés, inquiets, veilleurs, ils nous ramènent à une réalité inexorable, le temps qui nous est compté n’est plus le même quand on est dans le temps des hauteurs où l’oubli ne s’interroge plus quand le temps s’engage ailleurs.
Pour que chacun puisse venir se frotter à cette horloge du temps qui est immortelle, le Fort abandonné en 1945 est rénové dans les années 1990 par l’Aga Khan, celui qui est le guide de la confession ismaélite, une branche chiite de l’islam qui est la religion des peuples montagnards. C’est un bourgeon de la racine mère, concentré sur la spiritualité seule, dépourvue de rituels et de dogmes, c’est une branche de l’islam très ouverte, les femmes y ont une vie plus proche de leurs aspirations personnelles sans qu’aucune contrainte extérieure ne les avilisse.
L’Aga Khan en est le fondateur et travaille pour la préservation des arts et de la culture de cette partie cachée du monde.
Quand le soleil se couche, que la nuit enveloppe tous les contours construits et que les bruits s’épuisent, le blanc nacré des glaciers semble stagner dans le ciel comme un vaisseau spatial.
On y parle de l’immortalité de la pensée. Ici, elle plane, elle ne rit pas, elle est là, pure.
Ou bien l’on s’en va parce qu’on ne peut pas vivre avec cette présence qui ne prie pas mais se vide de tout ou bien on accepte ce qui existe parce qu’on n’a pas su l’atteindre ni aller jusqu’au bout de ce moi intérieur pesant, vieilli, noirci, lourd de vécus passés, de vie laissée à notre charge, celle des aïeux qui ont grevé notre inconscient des tas de leurs éclats brisés.
Ah ! L’inconscient !
Il n’existe plus à ces hauteurs.
Auprès de l’eau pure, dans le frémissement de l’air frais, auprès de la gravité des monts libres, l’inconscient palpite, glisse, fond, se précipite, chute, devient un lac immobile.
Cette expérience qui n’est pas celle de la solitude mais celle de soi-même est une chasse à l’âme car elle cherche à vouloir un présent immortel, un présent unique, celui qui nous échappe.
L’immortalité est hostile, fragile, c’est un exil. C’est l’origine, c’est le lieu où l’homme et la femme demeurent en silence. Retourner à cette origine en laissant choir ce qu’on a reçu exige une métamorphose totale.
La légende qui court en ces lieux
Un prince et un géant amoureux de la même princesse se seraient battus pour l’avoir. Le géant capture la princesse et la retient prisonnière. Le prince parvient à la délivrer mais le désespoir du géant est tel qu'il inonde de ses larmes la vallée qui se couvre de lacs où reposent les infortunés amants.
C’est la larme vertigineuse, romantique et immortelle de cette partie du monde.
© photos divers sites internet
Ginette Flora
Octobre 2024

















Quel voyage tu nous offres là, Ginette. Je me suis glissée dans la silhouette de cette femme qui contemple ce magnifique paysage
"C’est la larme vertigineuse, romantique et immortelle de cette partie du monde" Magnifique découverte...Merci , Ginette ....❤️