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La page de Colette Alice - Elfriede Lohse-Wächtler

Dernière mise à jour : 17 juil.

L’oubliée de l’Art Dégénéré

Elfriede Lohse-Wächtler

(1899-1940)

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© Autoportrait (vers 1921)


Elfriede Lohse Wätchtler, née le 4 décembre 1899 dans la ville allemande de Dresde, grandit au sein d’un foyer bourgeois. Ses parents, ébranlés par la créativité et l'excentricité de leur fille, tentent en vain de l'empêcher de devenir peintre. Malgré cette résistance, Elfriede quitte le foyer familial à l’âge de 16 ans pour fréquenter, de 1915 à 1918, l'École royale des arts appliqués de Dresde. De 1916 à 1919, elle suit également des cours de peinture et de dessin à l’Académie des beaux-arts de la ville. Elle loue une chambre et gagne rapidement sa vie avec du batik, des cartes postales et des illustrations. En 1919, elle rejoint le groupe de la « La Sécession de Dresde» et cotoie notamment Otto Dix (1).

En juin 1921, elle épouse le peintre et chanteur d'opéra Kurt Lohse (1892-1958), un ami d'Otto Dix. Le couple s'installe à Hambourg en 1925 où Elfriede devient membre de l'Association des femmes artistes hambourgeoises, fondée par Ida Dehmel (2).

Rapidement crises conjugales et difficultés financières rythment le quotidien du couple qui se sépare en 1926. La même année Elfriede adhère à l’Association des artistes de Hambourg et participe à plusieurs expositions de la Nouvelle Objectivité (3). Mais vivant dans une extrême pauvreté, elle est victime en 1929 d'une dépression nerveuse qui la conduit à être admise à l'hôpital d'État de Hambourg-Friedrichsberg. Durant son séjour de deux mois, elle réalise la série de portraits « Les Têtes de Friedrichsberg », un ensemble d’une soixantaine de dessins et pastels qui restitue avec brio le quotidien d'un hôpital psychiatrique, dans le style de la « Nouvelle Objectivité ».

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©Les têtes de Friedrichsberg - 1929

ll est étonnant qu' Elfriede ait pu créer de telles œuvres malgré d’intenses soucis quotidiens qui la rongent comme l'isolement émotionnel et le fait d'être parfois sans domicile fixe. Ses tableaux représentent principalement des personnes en marge de la société : des exclus, des minorités et des parias. Ses estampes sont alors saluées avec enthousiasme par la critique d'art lors d'expositions et de salons personnels à succès, faisant d'elle une artiste locale célèbre… mais toujours pauvre.



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© « Se reposer douloureusement » - Autoportrait 1929


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 ©Autoportrait vers 1930

En 1930, Elfriede, qui souffre de problèmes psychologiques croissants, décide de retourner chez ses parents à Dresde.

Mais d'anciens conflits familiaux refont alors surface et son état s'aggravant, elle est placée deux ans plus tard en soins psychiatriques à l'hôpital d’État d’Arnsdorf où les médecins diagnostiquent une schizophrénie. De 1932 à 1935, elle continue cependant à créer, dessinant des portraits et travaillant dans l’artisanat. En 1935 Kurt Lohse, dont la maîtresse a donné naissance à plusieurs enfants, demande le divorce en raison de la « maladie mentale incurable » de son épouse. Cette même année une procédure de stérilisation est engagée contre Elfriede qui s’y s’oppose, rejointe par ses parents et son frère Hubert… en vain. Elfriede est stérilisée de force le 20 décembre 1935 à l'hôpital municipal de Dresde. La stérilisation est une telle atteinte à sa personne que de plus en plus résignée et brisée émotionnellement, elle cesse peu à peu toute activité artistique. Ses parents qui maintiennent pourtant des contacts réguliers avec elle sont incapables de la soutenir émotionnellement. À partir de 1939, elle est soumise à un « régime spécial » introduit dans les hôpitaux publics saxons pour des raisons d'économie. Il s'agit d'un régime pauvre en viande et hypocalorique à base de bouillie, administré aux patients incapables de travailler et qui suffit à peine à les rassasier, un régime anti-nutrition par ailleurs extrêmement bon marché. Elfriede tombe alors dans le piège du programme centralisé d'extermination, connu sous le nom d'« Action T4 », lancé en 1940. Elle assiste à l’arrivée de plusieurs centaines de personnes venant d'autres établissements psychiatriques et les conditions de détention, déjà exiguës, deviennent encore plus préoccupantes. Soumise à la « Loi pour le prévention des maladies héréditaires à la descendance », privée de liberté et entravée dans sa créativité, Elfriede insiste à plusieurs reprises pour être libérée : « Je suis désespérée d'être entassée dans un espace confiné avec des femmes qui bavardent sans cesse [...] », écrit-t-elle à sa mère. En vain.

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À l'été 1940, sont déportés 33 hommes et 53 femmes, dont Elfriede Lohse-Wächtle. À 41 ans, elle est assassinée dans le cadre du Programme Nazi T4 de meurtres de masse contre les handicapés au monoxyde de carbone dans la chambre à gaz et probablement l'une des 14 751 personnes assassinées par les nazis dans le centre d'euthanasie de Pirna-Sonnenstein entre 1940 et 1941.


Aujourd'hui, Elfriede Lohse-Wächtler est considérée comme l'une des artistes allemandes les plus importantes de la première moitié du XXe siècle.

Après avoir été longtemps oubliée, son œuvre et son destin sont redécouverts dans les années 1980 et plusieurs expositions majeures au cours de la décennie suivante font enfin connaître cette artiste au grand public.


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N.B. : On peut d’autant plus regretter que dans l’exposition « L’Art dégénéré » qui a eu lieu à Paris du 18 février au 25 mai 2025 au Musée Picasso, seules deux œuvres dont une présentée ci-après, ont été négligemment accrochées dans la troisième salle...

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NOTES

(1) Otto Dix  (1891-1969) : peintre et graveur allemand associé aux mouvements de l’expressionniste et la Nouvelle Objectivité dont il est un des fondateurs.

(2) Ida Dehmel (1870-1942) : poétesse et muse lyrique allemande. Féministe, elle est également connue comme une activiste du monde de l’art.

(3) Nouvelle Objectivité : mouvement artistique actif entre 1918 et 1933 qui se développe en Allemagne dans les années 1920.


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Colette Alice

Juillet 2025

6 commentaires


nicole.loth
nicole.loth
26 juil.

Je suis touchée par ce destin, comme tous ceux qui ont été assassinés lors de la deuxième guerre mondiale. Merci Colette Alice de nous dévoilée ce destin tragique de Elfriede Lohse Wätchtler. Cela m'attriste d'autant plus, en tant que peintre !

Belle journée à toi !

Modifié
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Alice
27 juil.
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Merci pour ton passage sur ces lignes et belle journée également, Nicole !

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De te lire avec bien du retard, Chère Alice ! ^^ Mais l'essentiel est de venir à la rencontre de ce portrait d'Elfriede Lohse Wätchtler au destin tourmenté et dont l'oeuvre dédiée aux oubliés, à ceux que l'on remarque à peine, ne peut que nous toucher au plus profond du coeur ! Belle journée à toi, Alice ! ^^

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Alice
22 juil.
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Merci, cher Fred, pour être venu à la rencontre de cette femme qui m'a également beaucoup touchée et belle journée à toi aussi 🌞 !

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viviane parseghian
17 juil.

Magnifique, touchant en grand , superbe portrait mon Alice, j'ai adoré mais tu le sais ... ça m'a rappellé le livre de C.Juliet " Lambeaux" ...une émotion en grand et quel destin encore et quelle tristesse aussi dans ce destin ! ...Merci de Toi ❤️

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Alice
18 juil.
En réponse à

Merci ma fidèle Brocéliande 💝 !

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