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La page d'Odile - Fragment 1



En l’an 1000, la poétesse japonaise Sei Shônagon, dame de compagnie de l’impératrice Sadako, prend l’habitude  de consigner dans un carnet de notes, de brefs poème appelés Makura-no-sôshi. Elle y relate ses peines et ses joies, elle y renferme ses secrets, ses intimes ressentis, les menus faits de sa vie. C’est un nouveau genre littéraire qu’elle inaugure à son insu. Au fil du pinceau " le zuihitsu ".

C’est une forme littéraire particulière.

En France, des auteurs comme Blaise Pascal avec « Sans titre » s’y sont aventurés. Fénelon écrit des textes de trois lignes.  Valérie Mréjen reprend cette forme pour parler de ses souvenirs familiaux  dans « Eau sauvage ». L’auteur Christian Bobin également insère de brèves pages dans ses œuvres.

Le fragment renvoie aux bribes de notre mémoire. Des morceaux d’une vie déchirée emportée par le temps voltigent jusqu’à nous.

C’est sous cette forme d’écriture que se rangent les courts récits d’Odile, textes comme poésies.


Un jour


Un jour, je partirai pour un pays lointain,

Sans que personne ne puisse retenir ma main,

Sans savoir ce que seront mes lendemains,

Sans me retourner,

J’irai jusqu’au bout du monde.

Pour que ma tête se vide de tout ce qui l’inonde.

 

Et quand je reviendrai, des rêves plein la tête,

Je les vivrai un par un,

Comme on effeuille une pâquerette.

Je dessinerai sur une grande feuille bleue

Tous les lieux qui m’ont rendue  heureuse.

 

Le Cormet de Roselend

(entre Beaufort et Bourg Saint Maurice)

 

La première fois où l’émotion m’a submergée comme une vague immense devant laquelle je ne pouvais reculer…

La première fois où un paysage m’a saisie si fort que tout mon être a pleuré…

La première fois où ces larmes n’étaient pas de chagrin mais de bonheur…

Ce lieu magique pour moi, cette route déserte, sinueuse, lumineuse qui plonge directement sur le lac  dont l’onde verte reflète montagnes et forets alentour…

La première fois où le silence, le calme, l’isolement apportèrent à tout mon être une sérénité jamais ressentie…

La première fois où j’accepte avec bonheur cette émotion.

 

Cela vaut bien quelques larmes, sans doute !!!

 

Mémoire en ruine


C est un vieux bâtiment à étages, planté au milieu d’une cour goudronnée.

Elle voit bien ce que lui raconte sa mère, elle sait bien qu’elle est venue à l’école ici, dans ce bâtiment aujourd’hui désaffecté mais qui ne lui suggère rien.

Aucun souvenir, aucun mouvement dans sa tête qui pourrait réveiller ce cerveau blessé.

Depuis l’accident, depuis son réveil à l’hôpital, miraculeusement intacte dans son corps, le cerveau reste silencieux, paralysé.

Elle tente aujourd’hui de ne pas oublier ce que chaque jour lui offre comme découvertes, elle construit une nouvelle mémoire, désolidarisée de tous les souvenirs d’avant.

Ce vieux bâtiment à étages pourrait aussi bien être un lieu d’habitation sans plus personne. Alors, pourrait-on  y loger des sans-abris comme ils disent aujourd’hui ?

Il aurait pu être un lieu où l’on fabriquait des outils, des vêtements, des bonbons ?

Une école ? Pour apprendre ? Pour apprendre quoi ?

Sa mère lui a dit qu’elle avait appris plein de choses, qu’elle connaissait ses tables de multiplications, le théorème de Pythagore et quoi encore ?

Elle ne se souvient de rien, elle ne sait plus rien.

Elle est comme ce vieux bâtiment et si la cour l’a vue jouer un jour, il ne lui reste rien de ses jeux d’enfant.

 

Sans domicile fixe

 

J’avais rendez vous hier, chez un docteur, rue de la République à Orléans.

J’aime cette rue, j’aime ce quartier. Le portail menant au cabinet, est au fond d’un court passage couvert.

Un  jeune homme était allongé par terre, deux couvertures sur lui, bonnet et petits objets personnels autour de la tête. Il dormait.

En sortant de l’immeuble, une heure plus tard, il dormait toujours…

 J’aurais voulu lui parler, lui proposer un café, un croissant, lui offrir une chambre d’hôtel.

Endormi, peut être était-il paralysé par le froid ? Peut-être son cerveau le laissait-il tranquille, sa précarité mise de coté le temps d’un lâcher-prise, d’un repos salvateur.

Je l’ai regardé…. Puis j’ai repris le tram.

Bonne chance Bonhomme !!!

 

 

La vieille dame


La vieille dame s’ennuyait chez elle. Elle allait sortir son carton de photos, ces photos jaunies qui prenaient l’air tous les 10 ans peut-être.

Elle s’attarda sur cette mystérieuse photo qu’elle avait retrouvée dans les affaires de sa mère, après le décès de celle-ci.

Oui, c’est bien elle, sa mère, cette jolie femme assez  distante mais complètement consciente de l’attirance qu’elle provoquait chez les hommes.

Qui était celui-ci ? Il semblait se cacher d’elle et à la fois vouloir attirer son attention.

A-t-elle trouvé cet œillet sur la table pour en faire une marque page ? Est-ce lui qui l’avait déposée là, préalablement ?

Le cœur de sa mère, si jeune, a-t-il battu plus fort en prenant cette fleur ?

A-t-elle repris aussi vite cette attitude lointaine qui la rendait à la fois désirable et inabordable ?

La vieille dame n’a pas connu cet  homme, les souvenirs pourtant précis de son enfance n’ont pas rencontré le visage de celui qui a dû, pourtant, éprouver du désir, de l’amour peut-être et de la désillusion pour sa mère.

Photo sans réponse, sans personne pour y donner encore du sens.

Elle ouvre la cheminée et jette au feu ce bout de papier.

Odile, Fragment I

 Juin 2025

1 Comment


nicole.loth
nicole.loth
il y a 2 jours

Avec vous Odile, je parcours ces fragments de vie. Cela donne envie de connaitre la suite...

Merci pour ce beau partage.

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