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La chartreuse de Valldemossa

Dernière mise à jour : 22 janv.


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L'hiver 1838-1839 ne s'annonce pas de bon augure pour Chopin qui est très affecté par ses problèmes de santé.

George Sand propose l'escapade à Majorque.

Ils s'embarquent pour un séjour de trois mois dans la grande île des Baléares. Valldemossa n'est qu'un paisible village de montagne perché dans la Serra de Tramontana de l'île de Majorque. Agréablement situé dans les confins des forêts et offrant des paysages majestueux, le monastère est aussi un havre de silence.

De novembre 1838 à Mars 1839, Chopin et George Sand font un séjour dont ils se souviendront lui par ses compositions, préludes, scherzo, polonaises et ballades et elle par la publication d'un récit de voyage : " Un hiver à Majorque ".


Valldemossa


C’est un village rendu célèbre par deux figures emblématiques du romantisme français : Frédéric Chopin et George Sand. Chopin s’y rend  sur les conseils de son médecin qui lui demande d’aller respirer l’air pur de l’île de Majorque, propre à le soulager de ses bronchites récurrentes.

Quand Chopin et George Sand débarquent à Majorque, ils ne trouvèrent rien qui ne fut à leur convenance.

Chopin s’affaiblissait de plus en plus et George Sand, lasse de chercher un gîte plus confortable commençait  à perdre patience.

Très vite, ils devinrent persona non grata car ils ne correspondaient pas aux canons de l’époque qui vit d’un mauvais œil un couple qui n’était pas uni par les liens sacrés du mariage. Les aprioris de George Sand et sa franchise embarrassante déplurent et ils ne furent plus tellement en odeur de sainteté auprès de la société insulaire. Société conservatrice aux codes rigides, les manières et le franc-parler de George Sand ne favorisèrent pas  une approche amicale entre les parisiens et les insulaires.

 Le consul de France les aida en les logeant chez lui jusqu’à ce que la visite du monastère de Valldemossa enchanta George Sand qui décida d’y poser ses bagages. La chartreuse composée de treize religieux avait échappé à l’ordre de démolition des couvents  et les cellules étaient louées pour un loyer modique.

 En hiver,  les cellules y étaient quasiment vides et la chartreuse n’abritait à cette date qu’un pharmacien, un sacristain chargé de veiller sur la bibliothèque et les différentes cellules. Une femme de ménage Maria Antonia s'occupait de la maintenance.

 Les cellules des deux artistes étaient bien meublées et un silence bruissant régnait qui renforça les fibres imaginatives du compositeur. La petite famille recomposée s'adapta au fur et à mesure que les jours s'écoulèrent.  

Le refuge de Valldemossa apparut comme un havre de paix. C’est un ancien palais converti en couvent.  Ils arrivèrent en coche sur des chemins truffés d’ornières sur une île qu’ils pensaient être paradisiaque mais où  la pluie s’était mise à tomber. Mais ils souhaitaient mettre une distance entre eux et les regards indignés des insulaires qui voyaient arriver deux personnes qu’ils ne parvenaient pas à situer ni à admettre dans leurs cercles pétris de conventions et soumis aux codes de bienséance de l’époque.

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Chopin se refugia dans sa pièce tandis que George Sand occupa une autre pièce avec ses deux enfants   Solange et Maurice.

Chopin composa ses préludes et d’autres mélodies après avoir longtemps attendu que lui soit livré son piano Pleyel. George Sand se mit à écrire un récit de voyage «  Un hiver à Majorque »  où elle relata en quelques trois cent pages son séjour en termes truculents et embarrassants les aléas de la vie quotidienne en marge des salons parisiens. 

 L’air de la montagne, les paysages avenants et bienfaisants, les promenades dans les jardins apportèrent quelque réconfort au couple qui n’oublia pas d’admirer les beautés de l’île.

Tous deux habitués à des lieux de vie plus amènes dans les cercles citadins, se heurtèrent à la vie sommaire des insulaires et à l’austérité assumée des religieux de la communauté de la chartreuse de Valldemossa.

Le couple se recueillit dans les pièces monacales.  Chopin acheva ses compositions.


Les préludes, les polonaises, les ballades et un scherzo


Chopin souffre, George Sand ne se prive pas de monter sur ses grands chevaux et à la diplomatie en matière de sociabilité, elle préfère l’attaque frontale. Elle invective les insulaires, se gausse de leurs mœurs plus qu’ "affligeantes" pendant que Chopin attend son piano. Le piano qui finit par arriver après moult déboires à la douane, ne repartira jamais car chacun sait que le compositeur toussait à fendre l’âme sur les touches et que les virus crachotés sur les clés et les croches sont restés incrustés dans la table d’harmonie  de l’instrument, élément qui a fortement contribué à rebuter d'éventuels acheteurs.

Pendant les dernières semaines du séjour à Valldemossa, en Janvier 1839, Chopin compose entre autres le scherzo N° 3 en ut dièse mineur.

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C'est un chant intimiste, dramatique, toute colère rentrée, toute rage bousculée que le musicien fait éclater sur son piano. Son jeu est puissant, il frappe sur les touches, réveille des notes insistantes, il laisse transparaître une sourde révolte.

L'œuvre est difficile à jouer. On pense qu'au contact de la liturgie de l'Angelus et des différentes prières des religieux qu'il entendait au monastère, Chopin a eu l'idée d'en faire passer la scansion sur ses accords.

George Sand dit de lui :

" Chopin ne peut vaincre l'inquiétude de son imagination. Le cloître était plein de terreurs et de fantômes "





Un hiver à Majorque ( publié en 1852)


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George Sand écrit un récit pendant son séjour à Majorque ou du moins prend-elle quelques notes et rédige un mémoire pour une rédaction future.

Il a nécessité un temps de macération car le séjour n'inspire pas l'écrivaine qui prit le temps de se remettre de ses infortunes.

Le livre est publié en 1852.


" Malgré ses ouragans et ses aspérités, Majorque, à bon droit nommée par les anciens l’île dorée, est extrêmement fertile, et ses produits sont d’une qualité exquise. Le froment y est si pur et si beau, que les habitants l’exportent, et qu’on s’en sert exclusivement à Barcelone pour faire la pâtisserie blanche et légère, appelée pan de Mallorca. "

Le livre est divisé en trois parties :


 1/ La première partie évoque l’arrivée à Palma, les galères pour trouver un logis, les  premiers contacts difficiles avec les habitants.  

"La voiture à volonté du pays est la tartane, espèce de coucou-omnibus conduit par un cheval ou par un mulet, et sans aucune espèce de ressort ; ou le birlocho, sorte de cabriolet à quatre places, portant sur son brancard comme la tartane, comme elle doué de roues solides, de ferrures massives, et garni à l’intérieur d’un demi-pied de bourre de laine. C’est ainsi qu’on se promène : ravins, torrents, fondrières, haies vives, fossés, se présentent en vain ; on ne s’arrête pas pour si peu. Tout cela s’appelle d’ailleurs le chemin. Au départ, vous prenez cette course au clocher pour une gageure de mauvais goût, et vous demandez à votre guide quelle mouche le pique. – C’est le chemin, vous répond-il. – Mais cette rivière ? – C’est le chemin. – Et ce trou profond ? – Le chemin. – Et ce buisson aussi ? – Toujours le chemin. – À la bonne heure ! Alors vous n’avez rien de mieux à faire que de prendre votre parti, de bénir le matelas qui tapisse la caisse de la voiture et sans lequel vous auriez infailliblement les membres brisés, de remettre votre âme à Dieu, et de contempler le paysage en attendant la mort ou un miracle. Et pourtant vous arrivez quelquefois sain et vivant. " ( extraits des pages 182 et 183)

2/   La 2ème partie, c’est la description de Palma, de ses monuments et de l'architecture des maisons et bâtisses. c'est presqu'un manuel touristique destiné à guider les touristes.

"Ces impossibilités de leur part, nous fûmes bien à même de les reconnaître lorsque nous cherchâmes à nous installer. Il était impossible de trouver dans toute la ville un seul appartement qui fût habitable. Un appartement à Palma se compose de quatre murs absolument nus, sans portes ni fenêtres"

3/   La 3ème partie, c’est le séjour à Valldemossa  et un récit de la vie des chartreux et des lois qui régissent l'ordre des chartreux.

 C’est sans doute la partie la plus intéressante où l’évocation historique n’occulte pas la vie personnelle de Chopin et de George Sand dans le monastère, leurs efforts pour ne pas  se faire flouer et pour s’adapter aux façons de faire de l’habitant.

 Il y a de beaux passages sur la flore, les paysages  et les promenades dans les jardins et les environs. Georges Sand décrit les tartanes (carrioles) et les birloches ( cabriolet ) tirées par des chevaux.

 La cohabitation avec deux ou trois locataires, s’adapter aux usages pas très orthodoxes des uns et des autres  pour sauver les quelques commodités dont ils pouvaient en jouir dans le monastère quasiment inhabité en hiver, devient une lecture prégnante pour le lecteur qui attendait depuis le début une narration plus axée sur le voyage vécu.

Le vrai voyage, c’est peut être celui où  l’auteur et le compositeur se sentent en famille  pour quelque temps jusqu’à leur départ. C'est davantage une méditation sur la nature, sur son influence sur l'esprit quand le silence n'est que ponctué par un vol d'oiseaux ou par la caresse d'un vent frais. Le livre ne dira jamais rien sur elle et "l'autre" comme elle le nomme " le grand malade" comme elle le dit et "lui ", celui dont on voit le visage frémir lorsqu'en 1969, le cinéaste Jaime Camino en fit un film.

 " Pour atteindre la Chartreuse, il faut mettre pied à terre ; car aucune charrette ne peut gravir le chemin pavé qui y mène, chemin admirable à l’œil par son mouvement hardi, ses sinuosités parmi de beaux arbres, et les sites ravissants qui se déroulent à chaque pas, grandissant de beauté à mesure qu’on s’élève. Je n’ai rien vu de plus riant, et de plus mélancolique en même temps, que ces perspectives où le chêne vert, le caroubier, le pin, l’olivier, le peuplier et le cyprès marient leurs nuances variées en berceaux profonds ; véritables abîmes de verdure, où le torrent précipite sa course sous des buissons d’une richesse somptueuse et d’une grâce inimitable. Je n’oublierai jamais un certain détour " (page187- Un hiver à Majorque)
" Quand le temps était assez mauvais pour nous empêcher de gravir la montagne, nous faisions notre promenade à couvert dans le couvent, et nous en avions pour plusieurs heures à explorer l’immense manoir. Je ne sais quel attrait de curiosité me poussait à surprendre dans ces murs abandonnés le secret intime de la vie monastique. Sa trace était si récente, que je croyais toujours entendre le bruit des sandales sur le pavé et le murmure de la prière sous les voûtes des chapelles. ( page 208 - Un hiver à Majorque )

Le film


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C’est un film espagnol réalisé en 1969 par Jaime Camino.

 Le réalisateur a tenu à évoquer un seul thème, le principal, celui qui saute aux yeux quand on lit le livre de George Sand et qui est celui de  l’impossible entente entre les insulaires et l’arrivée sur l’île de deux personnages totalement différents et dans leurs manières et dans leurs propos.  


La société majorquine  ne voit pas d’un bon œil la relation marginale vécue par les artistes. Les regards tendus, les réserves faites à leur endroit, les médisances sont explorés par l’œil cinématographique, les visages des deux artistes jetés dans la fosse aux loups quand les majorquins ne leur offrent pas de logement décent.

La musique de Chopin, ses préludes, distillent une lente mélancolie tout le long du film   qui de la trame désespérée passe à la douce  rêverie.

 Ils s’installent dans la chartreuse de Valldemossa. Leur relation est déjà tendue, la santé de Chopin n’améliore pas leurs sentiments, la présence des enfants les contraint à dissimuler leurs dissensions réciproques.

 A cette discrétion  s’ajoutent les préjugés de la population locale,  les us et coutumes des co-locataires avec qui ils vivent, le personnel avec qui George Sand est en butte pour obtenir quelque  amélioration de leur condition.

 L’histoire est racontée du point de vue de Solange, la fille de George Sand. 

 Le film est marqué par des scènes musicales, ce sont les vecteurs d’une autre célébration, celle de l’art qui fait jaillir l’amour et la beauté  par-delà les obstacles.   



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Le musée ouvert au milieu du XXème siècle.


Le musée est établi dans les mêmes salles que celles occupées par Chopin et George Sand Le piano Pleyel est authentique.


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Cellule N°4 où séjourna Chopin.

"Dans nos cellules, des oraisons latines imprimées et collées sur les murs, jusque dans des réduits secrets où je n’aurais jamais imaginé qu’on allât dire des oremus, étaient encore lisibles"  page 208


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Dessin par Maurice Sand, le fils de George Sand qui a fait une série d'esquisses de la chartreuse de Valldemossa et de ses environs.

Les dessins illustrent l'ouvrage de sa mère " Un voyage à Majorque ", édition 1868.

Le récit portera peu après le titre de " Un hiver à Majorque "




Ginette Flora

Octobre 2024




2 commentaires


Superbe ...merci Ginette "l’art qui fait jaillir l’amour et la beauté  par-delà les obstacles." ....tu nous l'offres ... ❤️

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En réponse à

Le moment était probablement venu pour moi d'écrire cet article.

La vie de Chopin et de George Sand, c'est un chapitre que j'ai contourné, écarté en refusant de m'y aventurer.

Que peut-on savoir de deux personnes ? Seul l'art le sait et a su s'en approcher.

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